Homme de gauche depuis plus de trente ans, le philosophe Marc Crépon ne s'y retrouve plus : de gauche, ce gouvernement qui n'a qu'un souci – l'instauration d'une société super-sécuritaire, le contrôle permanent, et jusque dans les plus petits détails de la vie quotidienne, de l'activité, des relations, des échanges et des projets des citoyens ? De gauche, un gouvernement qui envisage d'installer chez les fournisseurs d'accès internet «des boîtes noires filtrant les communications de l'ensemble des internautes» ? Révolté par des mesures que la droite ne renierait pas, Marc Crépon passe au crible de la critique les initiatives et les projets de l'équipe Hollande et se demande : «C'est quand, la gauche ?» Ceux qui sont actuellement au pouvoir ont en effet jeté dans les poubelles de l'histoire les valeurs de la gauche. Réduction des inégalités et du pouvoir de l'argent, souci prioritaire de la justice sociale, extension des libertés et du contrôle citoyen, respect des minorités, hospitalité à l'égard de ceux que la misère ou la guerre chasse de leur pays : aucune de ces mesures n'est au programme du gouvernement. Il a manifestement d'autres soucis. Celui, par exemple, de limiter au possible l'afflux de réfugiés et de rappeler aux Roms, comme l'a fait l'actuel Premier ministre quand il était ministre de l'Intérieur, que leur place est en Roumanie, qu'ils ne doivent pas quitter ou qu'ils doivent réintégrer. Mais il y a pire, peut-être, et qui souligne à quel point la gauche oublie ou trahit chaque jour son idéal. S'il y eut une époque où elle se démarquait de la droite par son attitude critique à l'égard de l'argent, cette époque est révolue : «Les écarts de fortune, mais aussi de salaire (…), c'est l'impensé des politiques de gauche… Tout se passe comme si désormais l'argent était légitime et sacré, pourvu qu'il soit ‘‘honnêtement'' hérité ou ‘‘honnêtement'' gagné». La critique du capitalisme, de ses injustices, des souffrances qu'il impose à la plupart des citoyens, obligés de sacrifier au travail des heures de sommeil et de loisirs pour ne pas mourir de faim ou d'épuisement, cette critique a totalement disparu du discours de la gauche. Pour la raison très simple que la gauche elle-même a disparu. Celle, en tout cas, qui rêvait de transformer radicalement la société et de créer un monde meilleur, plus juste, plus fraternel. Celle qui chantait l'Internationale – et qui, solidaire de la droite à un point tel que souvent on les confond, ne chante plus que la Marseillaise.