« Très satisfaite des acquis arrachés » à travers les amendements par ordonnance des codes de la nationalité et de la famille, Mme Nouara Saâdia Djaâfar, ministre déléguée auprès du chef du gouvernement, chargée de la Famille et de la Condition féminine, déclare dans cet entretien que le maintien du principe du tuteur pour la femme répond à une « considération sociale ». Vous avez été membre de la commission chargée de la réforme du code de la famille qui a présenté un projet d'amendement de cette loi. A la surprise générale, le chef de l'Etat a maintenu le principe du tuteur (wali) pour les femmes. Pourquoi, selon vous, ce recul ? Dans leur globalité, les deux codes de la famille et de la nationalité vont régler des problèmes énormes d'injustice sociale occasionnés par l'actuel code de la famille et qui ont engendré la dislocation de la cellule familiale à travers ce nombre important d'enfants qui se retrouvent dans la rue avec la mère, après que cette dernière a été chassée par le père du domicile conjugal. Le projet d'amendement va également régler la question du divorce pour les femmes, l'obligation du certificat médical attestant l'inexistence de maladies graves, l'instauration de l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'âge du mariage. Il a réglé ce problème énorme des enfants nés d'une mère algérienne en dehors du mariage et qui ne pouvaient avoir droit à la nationalité algérienne. Ce texte va créer un équilibre dans la cellule familiale qui, faut-il le reconnaître, a beaucoup évolué ces dernières années. Les propositions de la commission ont été d'ailleurs faites dans ce sens. Le seul point qui a été revu en Conseil des ministres, après un long débat riche et serein, est celui consacré à la présence du tuteur (wali) pour le mariage des femmes. Ne pensez-vous pas que le maintien du principe du tuteur pour les femmes est un recul par rapport aux engagements publics du Président ? Il est important de bien relire le contenu de cet article, parce qu'il s'agit de la seule disposition qui a été revue en Conseil des ministres pour des considérations beaucoup plus sociales et sur la base de sondages sociaux. “La femme majeure conclut son contrat de mariage en présence de son wali, qui est son père, un proche parent ou toute autre personne de son choix.” Le tuteur perd ainsi son droit de veto. Sa présence est beaucoup plus sociale. Notre société accorde beaucoup d'importance aux traditions et acceptent difficilement les changements. Pour tout le monde, le mariage est un lien garanti en premier lieu par l'implication directe des deux familles. C'est uniquement dans ce sens que la présence du tuteur a été maintenue dans le texte. Vous êtes algérienne et vous savez très bien qu'aucune femme en Algérie, quel que soit son statut dans la société, ne peut se marier sans la présence de sa famille. Lorsqu'elle a des problèmes avec son mari, c'est toujours à sa famille qu'elle fait appel. C'est pour préserver ces liens interfamiliaux que le principe du tuteur a été maintenu. Mais au fond il n'a aucun pouvoir sur le cours du mariage. Il a valeur de témoin seulement. Mieux, la femme peut même choisir elle-même son tuteur parmi des personnes en dehors de son père ou de son frère. De plus, il faut prendre en considération qu'il s'agit là d'un texte et non pas du Coran. Demain, il pourra être revu et corrigé par les spécialistes et ce texte subira la pression de l'évolution socioéconomique du pays. Il faudra donc attendre vingt autres longues années, selon vous ? Je ne dis pas cela, j'espère que non. Mais sachez qu'il y a eu une évolution assez importante dans le débat autour de la question du code, comparativement à celui qui a précédé le vote par le Parlement de cette loi en 1984. Il y a eu d'énormes changements. Ce sont des acquis arrachés à la suite d'un combat de longue haleine. Je voudrais vous rappeler aussi que le code de 1984 n'a à aucun moment empêché la femme algérienne d'investir tous les secteurs y compris ceux ayant été toujours le monopole des hommes. Elle a les mêmes droits que l'homme en matière d'accès au travail, de salaire, de santé, d'éducation, de sécurité sociale, etc. C'est cette situation qui a permis aujourd'hui d'opérer le changement. Pensez-vous qu'un jour le volet consacré à l'héritage sera revu ? Cette question est presque un dogme, parce qu'elle est dictée directement par le Coran. Aucun pays musulman n'a pu la toucher. De toute façon, beaucoup de familles contournent ce texte par la donation du vivant de la personne. Donnons le temps au temps. Les changements viendront avec le développement de la condition féminine. Que pensez-vous des associations de femmes qui ont dénoncé le contenu du projet d'ordonnance, surtout en ce qui concerne le maintien du principe du tuteur pour les femmes ? Les associations sont libres d'avoir les réactions qu'elles jugent nécessaires et que je respecte. C'est cela la démocratie. Chacun a droit à la parole et à un avis.