Le plus grave, en effet, n'est pas que les diplômes soient copiés ou achetés moyennant des pièces sonnantes et trébuchantes ailleurs, loin du pays. Le plus grave c'est quand ils sont volés, au sens propre du mot, à l'intérieur même de l'Algérie et validés comme d'authentiques diplômes. Le dernier scandale en date remonte à janvier 2010, lorsque on apprend qu'un haut cadre au Mesrs a« volé un doctorat » de sociologie soutenu à Constantine par un de ses collègues pour le présenter publiquement, en juillet 2009, devant un jury de thèse à Alger, jury qui ignorait manifestement l'acte ce vol éhonté. Le collègue spolié de sa thèse par le haut cadre plagiaire est un enseignant à l'université de Biskra. Sa thèse soutenue il y a quelques années s'intitule « Sociologie de l'Etat algérien » (susyoulijyate ad Dawla al jazaïriyya) que le faussaire a copiée intégralement en changeant uniquement le titre. Après enquête, la victime fut auditionnée et tomba des nues lorsqu'elle constata de visu que sa thèse fut effectivement l'objet d'un pillage intégral de la part d'un de ses collègues, et de surcroît, de la part d'un ami ! Invité par les enquêteurs à s'en remettre au ministre lui-même, le spolié hésita dans un premier temps à franchir le pas, de crainte qu'il ne puisse obtenir gain de cause en raison de la haute charge occupée au département par le plagiaire. Mais encouragé, semble-t-il, par d'honnêtes gens au sein de la tutelle à en informer le ministre, quoi qu'il en coûtât, le plagié finit par lui faire savoir, preuves à l'appui, toute la vérité sur l'« arnaque » dont il a été l'objet(1). Plutôt que de relever immédiatement le fonctionnaire faussaire de son poste et de l'assigner en justice pour fraude manifeste, le ministre s'est contenté de lui retirer la thèse tout en le maintenant dans ses fonctions, comme s'il n'avait commis, en somme, aucune faute ou atteinte à l'éthique et à la déontologie qui devraient pourtant encadrer toute pratique scientifique digne de ce nom ! Mais le pire des pires, c'est que le haut fonctionnaire épinglé ne s'est senti nullement coupable et n'a pas rougi face à la dénonciation de ses forfaits dûment attestés ; il aurait continué au contraire à faire jouer le poids de son pouvoir, à exercer des pressions sur le Conseil national de l'université chargé de la promotion des professeurs pour se faire reconnaître la paternité de la thèse des cinq cents pages qu'il a honteusement plagiée sans le moindre scrupule ! Le mutisme inexpliqué du Mesrs autour des trafics de diplômes... Mais ce qui laisse l'esprit tout pantois, c'est ce silence de la tutelle sur la gravité de ces révélations scandaleuses. Obstinément muette, elle ne confirme ni ne dément publiquement les informations relatives à ces dérives dangereuses, dérives que signalent à longueur d'année la presse nationale et que dénoncent maints universitaires soucieux de la qualité de l'enseignement et de la recherche scientifique en nôtre pays. Comment un ministre en charge d'un département aussi sensible que le Mesrs peut-il se montrer à ce point à la fois magnanime et longanime envers les auteurs de tels actes délictuels ? Comment peut-il avoir la conscience tranquille et dormir d'un sommeil profond et apaisé lorsque l'un de ses proches collaborateurs se trouve impliqué dans une affaire de détournement caractérisé du produit scientifique d'autrui ? N'est-il pas extrêmement dangereux pour le pays que de le laisser se vautrer dans la turpitude et l'infamie ? Le comble de l'opprobre n'est-il pas justement ce laxisme, voire cette complicité tacite, de la part de certains de nos responsables (ministre, recteurs, doyens...) envers les faussaires et tous les escrocs effrontés pour qui le titre du « diplôme » décroché à coups de tampons administratifs vaut bien mieux que la science et le savoir effectivement acquis à la sueur de leur front ? En tant que citoyen, qui aime de manière désintéressée son pays, je m'interroge avec perplexité sur le comportement désinvolte des responsables de notre secteur qui ne semblent guère se soucier de son état sinistré. A la baisse constante de la qualité de l'enseignement et de la recherche, baisse qu'attestent mille indices, s'ajoute de plus en plus cette pratique perverse du plagiat qui gagne de plus en plus de terrain en provoquant sur son passage des effets d'entraînement, puisqu'elle n'épargne même pas certains responsables chargés en principe de promouvoir l'enseignement et la recherche d'« excellence ». Ainsi, certains doyens, d'après nos sources qui restent cependant à vérifier, auraient cédé aux charmes du plagiat en reproduisant des thèses de doctorats qu'ils ont réussi à faire valider. D'autres sont devenus par le même jeu de passe-passe docteurs d'université, et se font les porte-drapeaux du LMD, lui-même honteusement copié de l'UE et plaqué mécaniquement au contexte algérien. Je ne parle pas de ces ex-professeurs du secondaire qui, parvenus à l'université par je ne sais quel itinéraire emprunté, crachent aux étudiants des cours faits de galimatias et de définitions erronées de concepts historiques et sociologiques. Le silence et l'opacité sont la traduction fidèle de l'incurie « parlante » S'enfermer, quand on est haut responsable, dans un silence presque total sur ces faits gravissimes, c'est non seulement fuir ses responsabilités de « commis de l'Etat », c'est aussi se montrer impuissant à comprendre les enjeux essentiels de la recherche scientifique dans un monde où la compétition dans ce domaine se fait aussi âpre qu'agressive que la concurrence commerciale. On ne saurait imaginer, en effet, une nation compétitive sur le plan économique sans qu'elle le soit au plan scientifique. Or, notre retard économique souffre incontestablement de notre retard scientifique, mais aussi de notre pensée sclérosée. Nier ce fait, serait faire preuve d'une ignorance crasse. Le plagiat, l'imitation aveugle, et cette paresse qui nous dispense de l'effort productif et de l'autonomie de réflexion et de création, sont les points vulnérables, le talon d'Achille de notre système éducatif en général, et de celui de notre système de l'enseignement supérieur en particulier. La discipline, l'ordre et la sanction pour les fautifs n'y sont pas de rigueur, et c'est ce qui explique ces glissements dangereux que reflètent les trafics de diplômes, la distribution des notes indues, mais aussi l'incurie de nos hauts gestionnaires de la chose scientifique. La performance d'une institution ne vaut en fait que par les hommes qui la gèrent. Lorsque ces hommes se révèlent être indifférents ou oublieux de leur devoir de « commis de l'Etat », il en résulte immanquablement une mauvaise gestion de l'institution concernée, et le constat fait montre que cette gestion brouillonne de notre secteur est le signe patent de l'absence d'une stratégie cohérente et bien ordonnée de l'enseignement et de la recherche scientifique dans notre pays ... Note de renvoi : 1) Lire à ce propos Chourouk du 23 décembre 2009, et An Nahar du 6 janvier 2010.