Le village de Bouhiane, 4 km au sud de la ville côtière de Melbou, paisible, avale goulûment ses bols d'air méditerranéen en s'exaltant devant la vue édénique de ses espaces verdoyants. Depuis la création d'une carrière d'agrégats, au lieudit Agradj Abdallah, le tableau est contrasté. La région qui fait pâmer d'admiration ses visiteurs n'est plus dans la pleine quiétude. Les villages situés dans la périphérie sont sur le pied de guerre. Ils s'opposent à l'exploitation de cette carrière en un conflit vieux maintenant de près de quatre ans. Bataille juridique, requêtes répétées, pétition, route barrée, intervention policière... le bras de fer n'a pas cessé. L'endroit s'est révélé être une poudrière lorsque le 1er mars, des escarmouches, dont les conséquences auraient pu être fâcheuses, ont éclaté. Les deux parties en conflit ont failli en venir aux mains lorsque l'exploitant, Zidane Mouloud, patron de la Sarl Gravem, muni d'un titre minier, a décidé de mettre fin à l'interdiction qui lui est faite d'accéder à son exploitation depuis près de 20 mois. Engins et hommes en renforts, sa tentative a vérifié l'intacte mobilisation des villageois. La route ne sera dégagée des engins, aux vitres cassées et stationnés là après les incidents de la veille, que le lendemain à la faveur du déplacement, en mission de bons offices, du chef de la daïra de Souk El Tenine et du chef de sûreté de la même daïra. Moins d'une semaine après, cet épisode houleux, ce sont des villageois, résolus, encore sur le qui-vive que nous avons rencontrés sur les lieux. « Nous réclamons notre droit à la paix », « nous faisons le serment qu'il en est fini de cette carrière ». La tension est encore là comme l'est cette baraque de fortune érigée pour les besoins de la cause. Elle abrite des jeunes et moins jeunes qui se relaient pour monter la garde, les yeux braqués sur une sirène installée aux fins de la faire hurler en cas « d'incursion ». Comme dans une Intifadha. « On ne veut plus de cette carrière », crie un septuagénaire qui nous montre du doigt les murs lézardés de sa maison. Ceux de l'école primaire Chahid Amrouche Ali du lieudit Tihmilt, à une encablure plus haut, le sont beaucoup moins. « C'est sûr qu'elle (la carrière, ndlr) nous dérange », nous répond, avec réserve, une enseignante en plein cours. L'école est à près d'une centaine de mètres à vol d'oiseau de la carrière comme le sont les demeures de Djamel et Djelloul qui présentent aussi des fissurations plus ou moins accentuées. Nous sommes au village Bouhiane, coincé dans le creux de la montagne. Ici, la conduite d'eau qui alimente aussi les villages limitrophes (Aït Anan, Tamridjt,...) n'est pas fonctionnelle, elle a cédé en 2003 sous les griffes des engins de la carrière. « Nous subissons des infiltrations d'eau et il viendra le jour où tout s'effondrera sur nous », s'inquiètent nos deux interlocuteurs. Nous constatons effectivement les lézardes. Reste à établir le rapport de cause à effet avec l'activité de la carrière. Pour les villageois, il n'y a pas de doute : « Les fissures sont apparues avec les tirs d'explosifs dans la carrière ». « Ma fille de trois ans a failli mourir quand les détonations l'ont fait tressauter en été 2003 », se souvient Djamel. C'est six jours plus tard que la carrière a été déclarée zone interdite. 22 associations se sont impliquées dans la protestation pour dénoncer les impacts sur l'environnement et la santé publique. Un certificat médical d'un pédiatre, exhibé par un villageois, constate « une recrudescence des affections respiratoires, notamment asthme, en rapport avec les nuages de poussières occasionnées par la carrière ». Le spécialiste conclut que l'« impact écologique et sanitaire est très destructeur ». Un autre villageois se rappelle qu'« en 2003, les pluies ont charrié gravier et boue à partir de la carrière jusqu'à obstruer la route pendant 3 jours ». La carrière a été créée au milieu des années 1990. Aucune opposition ne s'est manifestée alors. Les raisons ? Les riverains les résument dans le non-recours du premier exploitant aux explosifs. Interrogation sur l'enquête comodo incomodo En été 2004, une commission dans laquelle figure le directeur des mines et de l'industrie (DMI) et la députée Fourar (FLN), entre autres membres, s'est déplacée à Melbou et au village de Bouhiane. L'entrevue ayant eu lieu avec le président de l'APC de Melbou (FFS) n'a pas réussi à changer la donne, celui-ci s'opposant à l'exploitation de la carrière et sa position apporte de l'eau au moulin des protestataires. « Nous n'avons pas été consultés au départ et je n'ai absolument rien reçu de la part des services techniques. Je ne peux être qu'avec la population », nous déclare-t-il en mettant l'accent sur la vocation touristique de la région. « Ce ne sont pas les sites qui manquent, on peut leur en proposer un autre », suggère-t-il. Une deuxième carrière d'agrégats dans la même commune de Melbou est en cours de réalisation. Elle pourra naître sur les hauteurs du village Messada. L'APC a donné son aval pour l'exploration et attend d'être sollicitée pour une autorisation d'exploitation, laquelle reste tributaire des suites de l'enquête comodo incomodo à faire. A-t-elle été engagée pour la carrière de Melbou ? « Non », dit l'APW qui a adopté en février 2004 une résolution (n°12) dénonçant aussi « la transgression du périmètre autorisé qui va au-delà des 3 ha pour s'étaler sur 50 ha ». Les élus de l'APW avaient alors recommandé la création d'une commission tripartite (élus, administration, mouvement associatif) et la désignation d'un bureau d'études techniques spécialisé pour « examiner sérieusement, scientifiquement et en chiffres les risques relevés ». Depuis, la résolution n°12 a trouvé place dans la littérature revendicative des villageois.