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Trajet jusqu'au bout de la pénétrante
Publié dans El Watan le 07 - 02 - 2016

La pénétrante autoroutière de Béjaïa se fraie son chemin doucement, péniblement et malgré tout. Poussière, bitume et boue, nous avons suivi le tracé de la pénétrante jusqu'au bout. Le wali a inspecté le tracé, d'Amizour jusqu'à Ahnif, marchant sur les plates-bandes de son collègue de Bouira. Nous avons été du périple. Reportage.
Pk13. Merdj Ouamane, Amizour. La zone est inondable, les Chinois de la CRCC ont attiré l'attention sur l'opportunité de surélever la pénétrante à ce niveau. La dernière étude a recommandé d'ériger un long viaduc, un pont de 12 km qui plongera presque dans le port. Mais le temps des vaches maigres remet en cause l'option. «C'est très coûteux», objecte le maître de l'ouvrage. Le viaduc coûtera à lui seul 40 milliards de dinars, il bouffera l'équivalent de 40% du budget de toute la pénétrante. Pour minimiser les coûts, ce sera désormais un viaduc raccourci et un tronçon de 11 km en 2×2 voies au lieu de 2×3.
Appétit vorace
Cependant, dans toute cette partie, sur les seize premiers kilomètres, se pose le sérieux problème du manque de matériaux. La pénétrante a un appétit vorace de 22 millions de mètres cubes de remblai. Oued Agrioune en dispose. Mais des citoyens s'opposent à l'extraction. Les autorités entendent mobiliser toutes les sablières de la wilaya pour les besoins du chantier et plus aucune nouvelle autorisation d'exploitation ne sera donnée.
La carrière de Toudja a été remise en exploitation pour fournir, quant à elle, des agrégats. Depuis quelques mois, une opposition de citoyens la fait tourner au minimum, la soumettant au rythme réduit d'une rotation de 40 camions. La pénétrante reste ainsi sur sa faim. Elle manque d'agrégats qu'il faudra donc chercher dans les wilayas limitrophes. Le ciment manque aussi et on appelle Aïn El Kbira à la rescousse.
Ni agrégats, ni ciment, ni acier…
Il s'avère que Béjaïa manque de tout. Y compris de main-d'œuvre. La pénétrante a besoin de 12 177 ouvriers algériens. Elle n'en a trouvé que 2678, dont très peu sont de Béjaïa. Bien que les annonces de recrutement passent inaperçues dans la presse, elle a intéressé des jeunes de Chlef, BBA, Bouira. Mais ce n'est pas dans les plans de la CRCC de compter que sur les Algériens. Heureusement. Elle a prévu de recruter 3645 Chinois. 1779 sont là et parmi eux des femmes en combinaison et casques de chantier. Elles sont coffreuses, ferrailleuses… comme narguant notre système de formation professionnelle incapable de satisfaire le marché des travaux publics.
Le rendez-vous incertain du 20 août
La liaison avec le port n'est pas encore le souci de l'heure. Le point de départ de la pénétrante reste pour le moment Merdj Ouamane bien qu'au Pk3, domaine Djebira, les Chinois sont déjà intervenus et même sollicités pour réparer une route qu'ils ont endommagée. Il reste encore à libérer, à partir de Timezrit, une quarantaine de maisons dont la majorité des propriétaires ont touché leurs dus. Le départ semble difficile pour les familles consentantes mais qui s'accrochent à leurs demeures promises à la démolition. C'est la rançon du progrès à laquelle se refusent en revanche d'autres citoyens. Mais les obstacles ne sont pas qu'humains.
Pk22. C'est là où doit s'élever l'échangeur El Kseur-Amizour. Sur le chantier, il n'y a pas foule. SAPTA, l'entreprise nationale, traîne la patte et fait douter les autorités. Le rythme de travail soutenu des Chinois tranche avec la lenteur de nos nationaux. «S'ils continuent avec cette cadence, nous n'allons pas être au rendez-vous du 1er novembre», s'inquiète le wali qui s'aventure dans le «défi» de raccourcir le délai contractuel de livraison qui est fin décembre 2016. Le risque d'une déconvenue est plus grand : on promet de livrer le tronçon Ahnif-Ighzer Amokrane le «20 août prochain», juste pour la symbolique de l'anniversaire du Congrès de la Soummam qui a eu lieu dans la région. Le pari est osé.
Tunnel : on creuse 60 centimètres par jour
Pk43. Mâala, dans la région de Sidi Aïch. Dans les entrailles de la montagne est creusé un double tunnel. Les foreurs chinois avancent prudemment sur un sol très mou et fracturé : à peine 60 centimètres par jour. Ils garderont ce rythme sur une centaine de mètres avant d'arriver à une autre couche moins fragile. La fragilité du sol et la proximité des habitations interdisent le recours aux explosifs. Jusqu'au week-end dernier, la montagne était percée sur 425 mètres. Et ce n'est pas encore le bout du tunnel. Il reste encore à affronter 1175 mètres de roche et de terres tenaces.
Pk46. Un chantier vide. Le tracé s'est arrêté à un site rocheux dynamité à moitié. Nous sommes sur le territoire d'El Flaye. Les explosions ont causé des fissurations aux habitations surplombant le site. Des dégâts collatéraux que les Chinois ne semblent pas assumer. Par colère, les habitants ont imposé l'arrêt des travaux. Pk47. Akhnak. Un grand ouvrage est réalisé en partie. On attend le déplacement d'un réseau d'eau pour pouvoir continuer. Et la pose de la nouvelle conduite n'interviendra pas avant le 15 mars.
Le poteau-totem
Pk54. Biziou. C'est là que sera implantée l'une des trois aires de service prévues des deux côtés de la pénétrante. Ce n'est pas encore en chantier. Dans ce point kilométrique, le problème se pose avec une demi-dizaine d'expropriés indemnisés mais qui refusent de libérer les lieux. C'est le cas de deux frères occupant la même maison expropriée. On a indemnisé l'un, le propriétaire, qui est revenu à la charge pour réclamer un appartement pour son frère. On bute aussi sur l'opposition de la mère d'un autre propriétaire.
Pk58. Amalou. Le même problème se pose avec deux indemnisés, payés en juillet 2015, qui refusent de quitter leurs maisons.
Pk63. Akbou. L'image d'un poteau électrique qui trône comme un totem au milieu d'un site dégagée est caricaturale. Et ce n'est pas le seul sur tout le tracé. Les services de Kahrif sont lents à la détente, mais à ce niveau c'est un citoyen qui s'oppose au passage par sa propriété de la ligne à déplacer. Celle-ci croise, un kilomètre plus loin, une autre ligne électrique, là où deux ouvrages d'art de 900 mètres sont à l'arrêt depuis deux mois.
Sachets d'ossements humains
C'est à hauteur d'Akbou que la 2e planche d'essayage, un tronçon bitumé, a été réalisée, après celle d'Amizour. En l'empruntant, on ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour les automobilistes coincés sur la RN26, de l'autre côté de l'oued Soummam.
Pk68. En contrebas du village Hendis, des sachets bordant le tracé de la pénétrante attirent l'attention. Ils sont remplis d'ossements humains remontés par les engins depuis au moins deux mois. On les a ramassés et continué le terrassement. N'a-t-on pas pu remblayer dans la hâte d'autres ossements ou objets ? On assure qu'il n'y a eu aucune trace de cimetière, et que les riverains n'ont aucune idée de ce que cela pourrait être. «Cela pourrait remonter à l'époque turque», prédit un cadre de la DTP, ce qui n'excuserait donc pas le remblai.
Vu le nombre important des ossements déterrés, il n'est pas exclu qu'il puisse aussi s'agir d'une fosse commune, œuvre «civilisationnelle» de la colonisation française. Un peu plus loin de ces ossements silencieux dans leurs sachets éventrés, le tracé effleure une tombe d'un chahid à déplacer. Elle fait partie des expropriations.
La colère d'Aftis
A Aftis, dans la commune de Boudjelil, le wali est accueilli par la population qui réclame de déplacer l'échangeur qui y est prévu vers la RN106, à une poignée de kilomètres plus loin. Le chantier engloutira deux maisons et plusieurs arbres fruitiers. «J'ai perdu 50 oliviers pour la pénétrante et l'échangeur frôlera ma maison», se plaint un septuagénaire, principale victime. «Ils préfèrent le faire à cet endroit parce que c'est moins coûteux pour eux», ajoute, à El Watan, un jeune du village. «Ou on le réalise ici, ou sur la RN106, ou on le supprime», leur a répondu le wali.
Pk77. Le propriétaire d'une maison en construction dans le cadre du dispositif Fonal refuse de toucher le montant de son indemnisation et de laisser passer la route. Le chantier est bloqué. C'est la 2e opposition qui persiste à Boudjelil, là où est posé le troisième bout de bitume qui s'arrête net aux abords d'une rivière qui constitue la frontière avec la wilaya de Bouira.
Droit dans une gare de péage
Avant de continuer à rouler, un bilan s'impose : une dizaine d'oppositions, des lenteurs, un chantier au ralenti et un manque d'effectif. Tout le long du tracé, il n'a été possible de croiser que très peu d'ouvriers à l'œuvre. Où sont donc passées les nuées d'ouvriers chinois ? «Beaucoup sont repartis chez eux pour la fête de la chèvre», nous répond un de leurs chauffeurs.
Un grand pont surplombant la rivière fait le trait d'union entre les deux wilayas. Les poutres sont posées sur la moitié de l'ouvrage. Le tracé ne souffre que de deux oppositions sur toute cette partie du tronçon qui est bitumée en certains endroits. La pénétrante finira à Ahnif, exactement là où se trouve un sens giratoire. Celui-ci sera éliminé.
La pénétrante autoroutière de Béjaïa aboutira droit dans une gare de péage par où les automobilistes devront passer avant de rouler librement sur l'autoroute avec le sentiment d'une libération.


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