Deux tronçons d'autoroute sur lesquels des équipes de travailleurs chinois s'affairent à mettre les dernières couches d'un bitume encore fumant. Ces deux tronçons sont séparés par un monticule de terre coiffé d'un poteau électrique qui rappelle la légende du fameux clou de Djeha. Pour finir le travail et faire la jonction entre ces deux tronçons, les chinois sont priés de patienter et d'attendre que des Algériens en charge de libérer le couloir de l'autoroute veulent bien se donner la peine de déplacer l'inamovible poteau. Cette image, recueillie au niveau du PK (Point kilométrique) 90 de la pénétrante autoroutière qui relie l'autoroute Est-ouest à la ville de Béjaïa, résume on ne peut mieux la situation de ce projet structurant : les Chinois ont terrassé des montagnes, déblayé des terrains, franchi des oueds et en sont à poser les dernières couches de bitume. Là où ils ne rencontrent pas de contraintes, ils accomplissent admirablement bien leur part de travail. De leur côté, les Algériens en charge de lever ces fameuses contraintes le long du parcours ont toutes les peines du monde à déplacer une petite conduite d'eau, une modeste ligne électrique ou un quelconque obstacle. Des contraintes par centaines Si l'efficacité chinoise se joue assez facilement des obstacles naturels, elle bute remarquablement sur ces deux qualités que l'Algérien cultive avec zèle depuis l'indépendance : la nonchalance et le laisser-aller. Ces contraintes qui rebutent tant les Chinois se comptent par centaines, formant des piles de dossiers qui attendant une solution sur le bureau de ce responsable qui supervise l'avancement des travaux. Elles peuvent prendre une tournure très anecdotique, comme le cas de ce citoyen qui refuse obstinément de déplacer la tombe de son père. Mais le plus souvent, il s'agit de maisons ou de hangars à démolir, d'expropriations non effectuées pour cause de non-indemnisation, de conduites d'eau potable, de lignes électriques ou téléphoniques, de routes coupées ou de chantiers arrêtés par la population, cela sans compter des lourdeurs administratives diverses et variées. «Toutes ces contraintes sont censées être levées depuis longtemps et l'ODS, l'ordre de service, a été bel et bien donné aux Chinois en janvier 2014», rappelle avec amertume notre responsable. «Je vais vous faire une confidence. si ce n'étaient pas les Chinois, n'importe quelle autre compagnie aurait déjà plié bagages et quitté le chantier depuis longtemps devant le nombre de difficultés rencontrées : chantiers bloqués, oppositions de citoyens, lourdeurs administratives, routes fermées, c'est vraiment la galère», dit encore ce responsable qui n'a accepté de parler que sous le sceau de l'anonymat. Autre confidence, elle émane cette fois-ci d'un cadre chinois à l'un de ses homologues algériens : «Sans toutes ces contraintes, nous aurions livré ces 100 kilomètres en une année», lui a-t-il confié. «Vous savez, il m'arrive très souvent d'avoir honte devant eux quand ils viennent poliment vous rappeler pour la énième fois qu'un obstacle insignifiant signalé maintes et maintes fois n'a toujours pas été levé», avoue ce cadre.
Les chinois s'adaptent aux mentalités et au terrain Malgré tout, les chinois ont appris à s'adapter à certains de nos penchants bureaucratiques. Exemple : pour ériger un dos-d'âne, il faut une autorisation délivrée par le wali lui-même et cela requiert des semaines d'attente. Il arrive que pour les besoins de leurs chantiers, les chinois aient besoin de mettre des dos-d'âne sur la route que leurs camions empruntent. Ils le font désormais sans demander d'autorisation. Ils ont fini par comprendre que le temps de faire les démarches et d'obtenir les autorisations nécessaires, le chantier s'est déjà déplacé ailleurs. Le long de la piste de servitude, nous avons parcouru 52 kilomètres de cette pénétrante : de Takeriets jusqu'à Ahnif, notamment la section dite prioritaire entre l'échangeur d'Akbou et le point de jonction avec l'autoroute Est-ouest. En règle générale, les chinois ont avancé partout où il n'y a pas un poteau électrique ou une conduite d'eau suspendue en l'air attendant vainement d'être déplacés. «Voyez, les Chinois travaillent sur le linéaire. Ils ont ouvert pratiquement l'ensemble des 100 kilomètres de la pénétrante. Ainsi, là où ils sont bloqués, ils avancent ailleurs», dit le responsable qui nous accompagne. En effet, pratiquement toute la pénétrante autoroutière est en chantier et cela va du stade de décapage de terrain à celui de la pose du bitume. «En même pas une année, les Chinois ont tracé la voie de l'autoroute», dit-il avec admiration. Situé en zone dite prioritaire, le chantier d'Akbou est l'un des plus actifs avec deux grands viaducs à réaliser pour enjamber les lits de l'oued Sahel et de l'oued Bousselam, sans compter l'échangeur de Taharachth. Au niveau de cet échangeur, sis à Gueldaman, au PK 51, c'est un gigantesque chantier où s'active une noria d'excavatrices, de pelleteuses, de rétrochargeuses et de camions. A flanc de colline, tout un pan de montagne a été terrassé. Hélas, un peu comme partout ailleurs, il reste un îlot de terre avec un poteau électrique dressé comme un totem. Un peu plus loin, au PK 86, le viaduc de Beni Mansour est également un grand chantier. Les poutrelles du pont sont coulées sur place avant d'être tractées par des grues géantes pour être assemblées. A Ahnif, au niveau du point de jonction des deux autoroutes, la montagne a été ouverte en deux. Une prouesse technique, selon notre responsable : près d'un million et demi de mètres cubes de déblai ont été extraits en moins d'une année. Ils ont servi de remblai à des oueds pour offrir de nouvelles parcelles de terrains agricoles. Des centaines d'hectares gagnés Contrairement à ce qui s'est passé avec l'autoroute Est-Ouest, il faut signaler que la plupart des arbres déracinés ont été replantés. Etant donné que la pénétrante traverse le plus grand bassin oléicole d'Algérie, il va de soi qu'il s'agit de milliers d'oliviers. C'est le même cas pour la vallée de l'oued Sahel-Soummam qui s'est offert un lifting. Les Chinois ont extrait des millions de mètres cubes de tout venant des berges ou directement du lit de la rivière. Pour combler le vide, ils ont déposé les remblais de terre issus des travaux de terrassement, créant ainsi de nouveaux terrains. Si les conséquences sur l'écosystème d'un tel changement restent encore à étudier, on peut attester que des centaines, voire des milliers d'hectares appelés à être valorisés et plantés ont été gagnés. En dépit de toutes les contraintes et des nombreux retards, les travaux avancent à un rythme assez soutenu. La bonne nouvelle pour les milliers d'automobilistes qui usent leurs nerfs sur l'axe principal de la vallée de la Soummam est que la première tranche de la pénétrante, le tronçon Akbou-Ahnif, va être livrée entre début juillet et fin septembre 2016. «Disons fin septembre pour être sûr», nous ont affirmé plusieurs responsables qui assurent le suivi des travaux sur le terrain. Cela va sans doute permettre de désengorger la partie la plus encombrée de la haute Soummam, en attendant mieux et surtout plus.