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Problématique des affrètements de navire
Publié dans El Watan le 08 - 02 - 2016

Le transport maritime de marchandises a connu durant les vingt dernières années une évolution très dangereuse pour la nation caractérisée par deux phénomènes :
– l'effondrement de l'armement national ;
– la situation quasi-monopolistique des transporteurs étrangers sur le marché algérien.
Pour ce qui de l'effondrement de l'armement national et ses causes, il est préférable de laisser le soin aux personnes qui l'ont vécu d'en parler.
Quant à la position de monopole acquise par les transporteurs étrangers, elle est due au vide laissé par l'effondrement de l'armement national ainsi que par le cadre juridique relatif au transport maritime des marchandises dans sa partie relative aux affrètements.
Généralement, les transports maritimes sont réalisés soit par des propriétaires de navire, soit par des non-propriétaires qui exploitent commercialement des navires loués auprès de tiers. Cette forme d'exploitation des navires par le louage s'appelle «affrètement».
Dans le monde d'aujourd'hui, de façon générale, il y a d'un côté les armateurs propriétaires de navires (fréteurs) et de l'autre ceux qui les exploitent commercialement en les louant (affréteurs). Il s'agit là de deux métiers complètement différents, mais très complémentaires.
Pour une bonne compréhension de tout cela, il faut savoir que le «déplacement» des marchandises par voie maritime relève de deux types de trafic :
– celui des navires qui sont affrétés ponctuellement en vue d'accomplir un voyage ou d'être exploités pendant une certaine durée ;
– celui des navires desservant une ligne régulière, qui sont en état d'offre permanent, pour transporter, entre les ports desservis, toutes les marchandises qui leur sont offertes.
A ces fonctions économiques correspondent deux genres de conventions :
– l'affrètement,
– le transport sous connaissement.
L'affrètement, sous sa forme au voyage, est le mode le plus ancien d'exploitation du navire. Il naît de la conjonction entre le besoin d'un marchand de transporter sa marchandise et la recherche par le propriétaire d'un navire, sans emploi, d'un voyage à effectuer. L'armateur (fréteur) met la capacité de son navire à la disposition d'un marchand (affréteur) et s'engage à accomplir un certain voyage. Le marchand paie un prix convenu pour ce service dénommé le fret, d'où l'origine du mot affrètement.
La convention d'affrètement est constatée par un contrat appelé charte-partie.
Le code maritime algérien de 1976 définit dans l'article 640 le contrat d'affrètement comme «une convention par laquelle le fréteur s'engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la disposition d'un affréteur». Cette définition très générale est commune à tous les types d'affrètement. L'affrètement d'un navire présente des conditions avantageuses pour des lots homogènes de marchandises offrant un chargement complet au départ et le plus souvent à destination d'un seul port.
Le code maritime algérien, toujours dans son article 640, distingue trois types fondamentaux d'affrètement : l'affrètement au voyage, l'affrètement à temps et l'affrètement coque nue.
Le critère de la distinction entre ces trois variétés de contrat réside dans la teneur des pouvoirs conférés à l'affréteur sur la gestion, commerciale et nautique, du navire.
Cette présentation schématique est rendue nécessaire pour faciliter la compréhension du sujet relatif aux affrètements, notamment les règles législatives et règlementaires y afférentes.
La loi n°98-05 du 25 juin 1998 modifiant et complétant l'ordonnance n°76-80 du 23 octobre 1976 portant code maritime dans son article 44 stipule ce qui suit : «L'article 649 de l'ordonnance n° 76-80, susvisée, est modifié et rédigé comme suit :
Article 649 : les activités d'affrètement de navires peuvent être exercées par toute personne physique de nationalité algérienne ou toute personne morale de droit algérien ayant la qualité d'armateur et dont le centre principal d'activités se trouve sur le territoire national. Les dispositions du présent article sont précisées par voie règlementaire.»
Qu'est-ce qu'un armateur ?
Le code maritime en donne une définition dans deux articles différents :
– Article 384 : «‘Armateur' signifie toute personne physique ou morale qui exploite un navire et engage dans ce but des gens de mer.»
– Article 572 : «Est considérée comme armateur toute personne physique ou morale qui assure l'exploitation d'un navire en son nom soit à titre de propriétaire du navire, soit à d'autres titres lui attribuant l'usage du navire.»
A travers ces définitions, nous comprenons ce qui suit : est armateur toute personne physique ou morale qui exploite un navire soit en tant que propriétaire soit en tant qu'affréteur, qui en assure soit la gestion commerciale seulement soit la gestion nautique et commerciale pour un temps selon les termes de la charte-partie.
De ce fait, nous avons donc deux catégories d'armateurs :
– l'armateur propriétaire de navires ;
– l'armateur disposant, par le biais de l'affrètement de navires.
Ainsi, pour avoir la qualité d'armateur, au sens du code maritime, il faut être soit propriétaire de navires soit en disposer par le biais d'affrètement.
Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de rappeler que ces dispositions juridiques du code maritime algérien ne sont applicables que sur le territoire national sur les Algériens, personnes physiques ou morales. La question qui se pose maintenant consiste à connaître les rouages juridiques initiés par les responsables de la mise en œuvre des dispositions législatives relatives aux affrètements.
Le premier texte jamais appliqué en la matière est le fameux arrêté interministériel daté de février 1987 qui n'a jamais fait l'objet de publication au Journal officiel.
Quatre articles ont été consacrés aux affrètements des navires étrangers afin de préciser les conditions des règlements financiers, i.e., les modalités de paiement des loyers dus aux affrètements au voyage et à temps. Il y est stipulé que toutes les modalités de règlement bancaires sont conditionnées par la production de «l'autorisation d'affrètement» délivrée par les services du ministère chargé de la marine marchande.
Cette autorisation, jamais délivrée, sauf à quelques entreprises publiques telles que Sonatrach, Naftal, OAIC, etc., a constitué un obstacle absolu au développement de la pratique des affrètements par les nationaux.
Toujours en matière de paiement des loyers dus au titre des affrètements, le nouveau décret n°14 365 du 15 décembre 2014 relatif aux comptes d'escale et comptes courants d'escale, pris pour remplacer l'arrêté suscité, stipule dans son article 44 : «La régularisation de ce paiement doit intervenir dans les 90 jours par la production à la banque domiciliataire de la charte-partie tenant lieu de contrat d'affrètement, appuyée d'une copie de la convention de concession d'exploitation des services de transport maritime.»
Or, pour bénéficier de la convention de concession d'exploitation des services de transport maritime, il faut être armateur propriétaire ou disposant comme l'énonce le décret exécutif n°08-57 du 6 février 2008 fixant les conditions et les modalités de concession d'exploitation des services de transport maritime comme suit, dans son article 4 : La concession est octroyée à toute personne physique ou morale telle que définie par les dispositions de l'article 571-1 de l'ordonnance n° 76-80 du 23 octobre 1976, susvisée, disposant de capacités de transport maritime nécessaires à l'activité et remplissant les conditions suivantes :
Alinéa n°5 : disposer d'au moins un navire soit à titre de propriétaire, soit à d'autres titres lui attribuant l'usage du navire.
Nous avons vu plus haut que pour pouvoir régulariser le paiement dans les 90 jours, l'intéressé doit présenter à sa banque domiciliataire la charte-partie tenant lieu de contrat d'affrètement, appuyée d'une copie de la convention de concession d'exploitation des services du transport maritime.
Donc, pour affréter un navire, il faut obtenir une concession d'exploitation des services maritimes. Mais pour avoir cette concession, il faut être armateur propriétaire ou affréteur-disposant.
Le serpent se mord la queue. Voilà comment est construit réglementairement le «cercle vicieux» qui empêche les nationaux de pratiquer ce mode d'exploitation commercial des navires le plus répandu dans le monde. Il faut savoir que ces règles ne sont imposables et opposables qu'aux Algériens résidents qui souhaitent investir dans ce créneau.
Monopole inversé
La nature ayant horreur du vide, ces blocages ont donné lieu à deux phénomènes qui font très mal.
– Quelques Algériens ont décidé d'expatrier leurs capitaux et d'investir à l'étranger en créant des sociétés pour réaliser des opérations de transport en lignes régulières sur l'Algérie par le biais de l'affrètement de navires, et ce, au grand bonheur des pays qui les accueillent où ils créent des emplois et paient des impôts.
– Des étrangers, venus de toutes parts, se sont rués sur le marché algérien des transports maritimes en créant des lignes régulières sans aucune formalité particulière, contrairement à celles imposées aux nationaux.
– Les importateurs de marchandises homogènes comme les céréales, le bois, le ciment, le rond à béton, le sucre, etc., passaient des contrats d'achat en coût et fret (C&F) laissant le soin au vendeur de choisir du navire et de négocier le montant du fret maritime, montant qui sera intégré dans la facture de vente de la marchandise et transféré le plus simplement du monde sans aucune autorisation préalable.
Compte tenu des besoins immenses en matière de moyens de transport maritime générés par les importations massives durant les 15 dernières années, d'une part, et de l'affaiblissement de l'armement national, d'autre part, une situation de monopole «inversé» a été créée, au profit de transporteurs étrangers, mettant le pays en danger, sachant que presque tout est importé pour la satisfaction des besoins nationaux.
N'ayant pas de chiffres précis, mais partant du ratio coût du transport/valeur des importations, il est facile d'imaginer les montants exorbitants qui ont fait l'objet de transfert à l'étranger.
Ainsi, avec le recul, il est possible de dire que cette situation très préjudiciable apporte un démenti cinglant aux rédacteurs de la législation actuelle qui ont posé tous ces verrous empêchant le développement des affrètements par les nationaux au motif de protéger le pavillon national.
De tout ce qui précède, il devient clair que l'urgence, aujourd'hui, est à la libéralisation, réelle et sans préalable, des activités d'affrètement des navires au profit des personnes physiques de nationalité algérienne ou morales de droit algérien détenues en majorité par des Algériens résidents.
En matière d'affrètement, la liberté des conventions est totale ; les deux parties étant considérées comme de poids économique égal, les législations nationales n'édictent pas de règles impératives. Elles sont seulement supplétives à la volonté des parties. Pour cela, le verrou à faire sauter se trouve dans l'article 04 du décret 08-57 du 6 février 2008 fixant les conditions et les modalités de concession d'exploitation des services de transport maritime, déjà cité plus, notamment l'alinéa 05 qui impose comme préalable d'être armateur, condition qu'aucun Etat au monde n'impose à ses concitoyens.
Le rôle de l'Etat consistera en le développement de la formation dans les métiers de courtage d'affrètement et de tous les métiers annexes nécessaires afin d'éviter le recours à l'expertise étrangère.

Par Ramdane Hamlaoui
Expert en transport maritime


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