Par Ramdane HAMLAOUI * Historiquement, les opérations financières liées aux activités de transport maritime ont été encadrées, au lendemain de l'indépendance, par un texte juridique issu de la période coloniale, un Avis financier n° Z F du 14 janvier 1964 du Ministère de l'économie nationale relatif au trafic maritime, publié dans le JO n°10 du 31/01/1964. Ce n'est qu'en Février 1987 qu'un texte règlementaire en la forme d'un arrêté interministériel a été pris et signé par trois Ministres, ceux des Transports, des Finances et du Commerce. Cependant, on n'a pas conféré à ce texte la force juridique qui lui était nécessaire dans son application car il n'a jamais été publié au le Journal Officiel de la République Algérienne (J.O.R.A). Malgré ce handicap, et en dépit des réticences des banques, ce texte a permis à la profession de fonctionner, favorisé en cela par la situation de monopole de l'Etat sur la quasi-totalité des activités de transports maritimes et activités annexes. Mais à peine sa mise en œuvre entamée, plusieurs de ses dispositions se sont trouvées complètement dépassées par la nouvelle conjoncture et des nouvelles politiques économiques du début des années quatre vingt dix (90). En 1992, un groupe de travail, sous l'autorité du Directeur de la Marine Marchande du Ministère des Transports, constitué de représentants des entreprises du secteur des transports, de la banque d'Algérie et des douanes, a été chargé de procéder à la refonte de l'arrêté du 15 Février 1987. Le texte finalisé par ce groupe en 1993 a été transmis à la Banque d'Algérie qui devait le promulguer en la forme d'un règlement. Malheureusement, le premier jet sorti des structures de la Banque d'Algérie n'a été reçu au Ministère des Transports pour avis qu'en 1998. Déjà dépassé dans son contenu par les évènements, ce document, qui aurait pu servir de base de travail, fût traité comme un non évènement. Vingt trois (23) ans après la signature de l'Arrêté Interministériel de 1987, la Direction Générale des Douanes, faisant fi de toutes les règles et pratiques établies durant toutes ces années par la corporation des professionnels de la consignation des navires, dénommées us et coutumes des ports, a décidé l'élaboration d'une circulaire interne référenciée sous n°31 et datée de Janvier 2010 portant application de cet arrêté comme s'il venait d'être pris. Sans revenir sur l'interprétation qui a été faite des différentes dispositions de l'Arrêté Interministériel par les services des douanes, de sérieux problèmes sont apparus sur le terrain d'application de cette circulaire sensée apportée des clarifications et ce, en raison de la non préparation des personnels dédiés à ce contrôle. Notre corporation avait attiré, en son temps, l'attention des responsables concernés, par des écrits et en réunion, sur les conséquences négatives qu'allait provoquer la circulaire n°10 des Douanes. En pure perte ! De très gros montants dus aux armateurs et transporteurs maritimes, destinés à être transférés, ont été bloqués sans explications et de façon arbitraire parfois. Cet état de fait a amené les armateurs/transporteurs, détenant un quasi monopole sur les transports maritimes de et vers l'Algérie, à réagir fortement à travers leur association et via les canaux diplomatiques. Ces fortes pressions ont poussé les autorités algériennes à se décider, enfin, à revoir la réglementation en cours afin de débloquer la situation. C'est la loi des finances pour 2013, notamment son article 47, qui va donner l'encrage juridique nécessaire à l'élaboration d'un texte règlementaire pour l'encadrement juridique de ces aspects financiers des transports maritimes des marchandises que sont les comptes d'escale des navires. A cet effet, un groupe de travail, sous la direction de la Direction Générale des Douanes, au lieu et place de la Marine Marchande du Ministère des Transports, a été institué à l'effet de produire un avant-projet de décret exécutif fixant les modalités d'ouverture des comptes d'escale ou comptes courants d'escale, leur fonctionnement et leur contrôle, ainsi que les conditions d'affrètement des navires étrangers, thèmes, par définition, relevant du secteur des transports maritimes. Ainsi et à cause de la circulaire des douanes et des problèmes qu'elle a engendrés, il s'est opéré un glissement de prérogatives sur le dossier de la consignation des navires du Ministère des Transports vers celui des Finances en tant que tutelle des douanes. Le groupe de travail était constitué des représentants des trois Ministères concernés ainsi que les représentants de la banque d'Algérie et de ceux de l'association des agents maritimes (APAMA) en tant qu'experts en la matière. Après plus d'une année de travail, un projet consensuel a été produit et transmis par le Ministère des Finances au Secrétariat Général du Gouvernement(S.G.G) où il semblerait que la Banque d'Algérie ait apposé son véto, bloquant ainsi l'évolution du dossier et amenant le S.G.G à le renvoyer au Ministère des Finances, lequel a décidé d'instituer un autre groupe avec la même composante sous la présidence du Secrétaire Général de ce ministère. Notre association, en tant que représentant de la profession et la plus concernée par la mise en œuvre de ce projet, après une première séance où nous avions été entendus sans être écoutés, a été exclue des travaux de ce groupe au motif que cela ne concernait que les « institutionnels » et ce, avec l'aval des représentants du Ministère des Transports. L'objet du veto de la Banque d'Algérie porte sur le contrôle des comptes d'escale créditeurs préalablement à leur dépôt auprès des banques primaires pour transférer les soldes dus aux armateurs/transporteurs. L'arrêté interministériel de 1987 a attribué ce contrôle aux services des douanes qui ont toujours soutenu, à juste titre, que cela ne relevait pas de leurs prérogatives légales contenues dans le code des douanes. De plus, arguent-ils logiquement, les services des douanes n'ont pas les compétences nécessaires pour ce type de contrôle financier pur. Par conséquent, ils ont refusé de continuer à assumer ce contrôle. Pour être plus clair, les éléments constitutifs du C.E, notamment ceux constatés en « recettes » comme le fret maritime ainsi que les frais d'immobilisation des conteneurs, sont engendrés par la mise en œuvre du contrat de transport qui découle du contrat commercial conclut entre l'importateur algérien et son fournisseur étranger et domicilié auprès d'une banque locale. Partant de là (du contrat commercial), le règlement du prix du transport maritime des marchandises importées, dénommé fret, se fait de deux façons : – fret prepaid ou fret payé au départ avant le voyage maritime, – fret collect ou fret payable à destination après le voyage maritime. Dans chaque port d'escale, les compagnies maritimes mandatent un agent appelé « Agent Consignataire ou agent maritime » qui sera chargé d'organiser et de superviser les escales des navires exploités par ces compagnies maritimes. Chaque escale d'un navire dans un port donne lieu à l'élaboration par son agent consignataire, d'un Compte d'escale (C.E) du navire. Le C.E est la traduction financière et comptable des opérations commerciales réalisées à l'occasion de l'escale du navire. Il constitue une espèce de bilan de l'escale. Les éléments constitutifs d'un C.E. sont : Au débit : L'ensemble des frais engagés à l'occasion de l'escale du navire et notamment ceux relatifs aux services portuaires, à la fourniture de biens et services par des tiers, aux rémunérations diverses dues, aux taxes parafiscales, etc. Au crédit : Les frets (prix du transport des marchandises), les produits de la billetterie (pour le transport des personnes), les indemnités perçues au titre de la rétention/immobilisation des conteneurs par les clients (importateurs/exportateurs) au-delà des délais conventionnels fixés par les contrats de transport et, le cas échéant, les provisions d'escale (avances financières effectuées par la compagnie maritime pour couvrir les frais d'escale). Les soldes créditeurs ou débiteurs des comptes d'escales successifs des navires d'une même compagnie sur un ou plusieurs ports sont repris dans un « compte courant d'escales » (C.C.E). Les soldes créditeurs des C.C.E font l'objet d'un transfert à l'étranger en faveur de la compagnie exploitant le/les navire(s) tandis que les soldes débiteurs font l'objet d'un recouvrement / rapatriement par le consignataire. Revenons maintenant à la question du contrôle des comptes d'escale dont le solde est créditeur en faveur des armateurs/transporteurs étrangers qui ont effectué des transports maritimes commandés par des nationaux (importation de services non soumise à domiciliation). A ce propos, les services des douanes ont exprimé officiellement leur intention d'être déchargés de la mission du contrôle des comptes d'escale des navires pour les raisons énoncés plus haut, à savoir : le code des douanes ne prévoit pas dans ses dispositions ce type de contrôle, le personnel des douanes n'est pas formé pour ces missions à caractère financier. Le point de vue de l'APAMA, que nous avons représenté au sein de ce groupe, était que la responsabilité incombe en premier lieu à l'agent maritime, exerçant ce métier sur la base d'un agrément attribué par les services du M.T, qui a confectionné et dûment signé le compte d'escale avant de le déposer auprès de sa banque sous sa seule responsabilité. Nous avons insisté au sein du groupe en développant moult arguments en faveur du contrôle à postériori par les organismes habilités (Banque d'Algérie, Douanes, etc.), à charge pour le consignataire de tenir à disposition tous les dossiers relatifs aux transferts effectués, comme cela était le cas depuis l'indépendance sous l'égide de l'avis ZF DU 14/01/1964. Cependant, les représentants de la banque d'Algérie, compte tenu du poids de leur institution d'une part, et faisant état de certaines tentatives de fraudes, d'autre part, ont imposé le principe du contrôle à priori. Pour appuyer cette solution, on a fait appel au représentant de l'association des banques (ABEF) qui a déclaré en plénière devant tous les présents que les banques « n'avaient ni les moyens ni les capacités pour faire le contrôle des comptes d'escale ». Alors, quid des dossiers de domiciliation des importations beaucoup plus importants en volumes et en valeurs que les comptes d'escale ? Cet aveux conforte la mémorable et pertinente sentence publique du Professeur Benachenhou Abdellatif, alors Ministre des Finances en poste, quand il avait asséné que les « banques constituent un véritable danger pour la sécurité nationale ». Il faut savoir que le contrôle a priori préconisé ne porte que sur les frets payables en Algérie dont le taux est très faible par rapport aux frets payables au départ à l'étranger. Ce dernier type de payement est fixé dans les contrats commerciaux conclus en C&F (cout et fret) c'est-à-dire que le prix du transport maritime est inclus dans la facture d'achat des marchandises. Question : comment font les banques pour contrôler les montants des frets en C&F avant d'opérer les transferts ? De deux choses l'une : soit elles savent le faire et par conséquent contrôler les frets payables à destination leur est chose aisée, soit, comme il a été dit par un des leurs, elles ne savent pas le faire et là… Ainsi, dans le cadre du contrôle a priori, la première proposition retenue contre tous les bons sens, aussi irrégulière qu'incongrue, porte sur un contrôle par un commissaire aux comptes (CAC) spécialement affecté à cet effet, et ce en plus du CAC déjà en fonction pour les certifications des comptes sociaux. La mouture fut concoctée entre les « institutionnels » concernés et les représentants de la corporation des CAC. Notre association APAMA s'est encore une fois élevée avec beaucoup d'arguments fondés sur la législation en vigueur (nos analyses écrites sont disponibles) sans être écoutée. C'était une véritable tentative de passage en force de cette proposition auprès des services du SGG. Heureusement, et pour la 2ème fois, l'avant-projet fut rejeté sur la base des mêmes arguments développés par l'APAMA. Et encore une fois, il a été demandé aux institutions concernées de présenter une nouvelle rédaction qui tiendrait compte des critiques formulées. Le dernier tableau, de la pièce burlesque mal jouée par des bureaucrates-comédiens médiocres, a mis à nu toute l'incompétence de cette équipe qui ne savait plus quoi faire mais qui était pressée de faire, combien même ce serait n'importe quoi. Ainsi, à force de chercher un parapluie, une couverture, pour se déresponsabiliser quant à leur acte de transfert à l'étranger, en raison, selon les dires des leurs, de leur incapacité à contrôler les dossiers de transfert des comptes d'escale, ils ont poussé à la création d'une « chose » dénommée « comité technique chargé du contrôle et du visa des comptes d'escale » avant dépôt à la banque. Composé de quatre représentants des ministères concernés et d'un représentant de la DG des Impôts, ce comité sera installé pour trois années dans chaque port de façon uniforme et identique pour Alger comme pour Ghazaouet, sans aucune formation de base pour comprendre ce qu'est un compte d'escale et tous les mécanismes qui le génèrent en amont et en aval et par-dessus tout sans aucune procédure de travail clairement établie. A force de refuser d'écouter les professionnels nationaux, patriotes dans leur majorité quoiqu'en pensent les autres, nous allons, encore une fois, revivre pendant longtemps les situations antérieures puisque ce sont les services des douanes qui vont continuer à faire le travail des banques. Deux années à tourner en rond pour rien par la faute de bureaucrates invétérés qui se proclament défenseurs des intérêts du pays alors qu'ils font de nous la risée du monde dans ce domaine. Au lieu d'essayer de colmater les brèches par de fausses solutions, il fallait chercher l'origine du problème en ayant soin de le définir correctement. Pour tout le monde, le constat général est qu'il y a d'énormes montants qui sont transférés à l'étranger via les comptes d'escale des navires. Mais ces opérations ne doivent en aucun cas être considérées comme des transferts illégaux. L'argent transféré découle de services rendus le plus légalement du monde, en termes de transport maritime et de mise à disposition de conteneurs à la demande et selon des contrats dument conclus par les nationaux. Alors, où se situe le problème. Pour qui l'ignore, aujourd'hui le transport des marchandises par voie maritime est réalisé par quatre ou cinq armateurs/transporteurs étrangers qui, au péril des intérêts de la nation, se trouvent en situation de monopole de fait sur ce créneau stratégique. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Deux institutions sont principalement responsables. Il s'agit du Ministère des Transports qui délivre les agréments pour l'exercice de l'activité de consignation des navires et de la DG des Douanes qui octroie les agréments permettant la création de ports secs ou zone extra-portuaire. Avant l'année 1998, les armateurs/transporteurs pouvaient seulement réaliser le transport maritime de et vers l'Algérie. Les activités dénommées annexes aux transports maritimes étaient exercées par des entreprises nationales. De cette façon, à part les frets dus ainsi que les surestaries des conteneurs (un autre souci pas du tout géré et dont l'ampleur en valeur dépasse celle des frets), aucun transfert d'argent à l'étranger n'était effectué par les consignataires. C'était également le cas pour les activités portuaires avant l'introduction d'une nouvelle entité étrangère (D.P.World), sur les installations du port d'Alger, laquelle n'a marqué aucune amélioration dans la gestion des escales des navires. Cette société, sans réaliser aucun investissement lourd devant hisser la gestion du terminal à conteneurs au niveau des standards internationaux, dégage des bénéfices faramineux, grâce à son barème des tarifs exorbitant, qui sont transférés sous la forme de dividendes, au nez et à la barbe de tous. Depuis l'ouverture tous azimuts de ces activités annexes en 1998, les agréments étaient délivrés sans discernement par les services du Ministère des Transports à tous les demandeurs remplissant un minimum de conditions fixées par la règlementation, pour l'exercice des fonctions de consignation des navires. Il en a été ainsi également, s'agissant de l'agrément délivré par les services des douanes pour la création de zone extra-portuaire ou ports secs. Installés à moindre frais, ne prenant aucun risque dans la mesure où ils ne procèdent que par location de locaux et de terrain, ces armateurs/transporteurs occupent des situations de monopole sur toute la chaîne: transport, consignation de navires et entreposage des marchandises. Tout cela, grâce à des cadres algériens qui sont, par la suite, « dégagés » sans ménagement pour être remplacés par des expatriés ou des « binationaux » de service aux couts salariés faramineux. Cette nouvelle situation, qui sévit depuis plus d'une décade sans aucun contrôle par les institutions concernées, a favorisé le gonflement exorbitant du volume des transferts à l'étranger. Et ce ne sont pas les frets collectés ou les frais d'immobilisation des conteneurs, même s'ils ont été augmentés gravement, qui pourront expliquer, et à plus forte raison justifier, ce volume des transferts. Ce sont les dividendes générées par les activités de consignation des navires ainsi que par les ports secs par où passent tous leurs conteneurs qui expliquent la très forte augmentation du volume des transferts à l'étranger dans ce secteur. Cette grave situation appelle à des efforts de réflexion et d'action urgents à l'effet de tirer les leçons de cette libéralisation ravageuse et de faire un bilan serein pour en tirer les conclusions pratiques qui s'imposent en cette conjoncture de grandes difficultés économiques et financières. Dans ce cadre, ces mesures sont préconisées : – Algérianiser l'activité de consignation des navires, en la réservant exclusivement aux professionnels nationaux résidents, comme cela est pratiquée sans le moindre complexe par nos voisins. Cette activité ne nécessite pas de gros investissements et dont le savoir-faire est déjà largement maitrisé par les cadres algériens, – Revenir à la légalité en restituant aux entreprises portuaires la gestion des ports secs qui ne sont que leur prolongement juridique et dont la vocation est d'être un lieu de transit et de livraison de toutes les cargaisons de et vers l'Algérie, – Mettre impérativement en application le code maritime dans sa partie relative aux activités portuaires en séparant l'Autorité portuaire de l'entreprise portuaire commerciale. Il faut mettre un terme à ces tergiversations et sensibiliser les représentations syndicales qui pensent à tort à des pertes d'emploi. Aussi, des décisions d'essence patriotique, à l'instar de celles que n'avaient pas hésité à prendre beaucoup de pays, doivent être prises avec effet rétroactif, en remettant à plat les deux situations (consignation des navires et ports secs). Le temps nécessaire doit être donné à l'ensemble des actuels bénéficiaires des deux agréments pour leur mise en conformité avec la nouvelle situation juridique. Il ne peut y avoir de demi-mesures dans ces cas. A défaut d'appliquer la rétroactivité de façon exceptionnelle, compte tenu de la grave situation due à la baisse des recettes du pays, l'hémorragie et la fuite de devises dans ce secteur n'en finiront pas. *-Professionnel des Transports maritimes et de la logistique, -Membre fondateur de l'APAMA (Association des Agents Maritimes Algériens), -Secrétaire général de l'APAMA de Mars 2012 au 31/12/2014.