Décrochage scolaire et déscolarisation : facteurs déterminants et procédures institutionnelles d'accrochage» a été le thème central de cette journée d'étude. Plusieurs intervenants ont tenté de décortiquer les raisons pour lesquelles l'élève, peu à peu, rejette l'autorité professorale avant de rejeter, pour de bon, le système éducatif. Il faut comprendre que le décrochage de l'élève ne se fait pas du jour au lendemain, mais s'installe peu à peu, au fil des semaines, voire au fil des années académiques. Dans cette optique, le professeur Aïcha Benamar, chercheure au Crasc, a essayé, lors d'une communication intitulée «Parcours de décrocheurs et images de l'école chez leurs parents», de décortiquer les raisons qui conduisent les élèves à cette déperdition scolaire. Pour cela, elle s'est appuyée sur le parcours de huit jeunes «décrochants», certains vivant à Oran et d'autres à Adrar, tous âgés de moins 16 ans. Elle a enrichi son enquête en faisant parler les parents de ces élèves sur «l'école en général et son échec en particulier». «Si certains travaux montrent que les variables familiales sont des facteurs de risque, la communauté éducative (acteurs pluriels) au sens qui lui est attribué par la loi d'orientation 08-04 du 23 janvier 2008 (article 19, titre II), est concernée par le maintien à l'école des enfants de 6 à 16ans», précise-t-elle dans sa communication. L'enquête menée par le Pr Benamar a consisté donc à poser une série de questions aux élèves «décrochants» avant d'en poser d'autres à leurs parents — à noter que sept des parents d'élèves interrogés sont des femmes pour un seul homme. D'abord, pour ce qui est des raisons de l'abandon scolaire, la plupart des élèves interrogés ont répondu que l'abandon a été fait sur décision personnelle, c'est-à-dire qu'ils ont été seuls décisionnaires de l'arrêt de leur cursus scolaire. Quand on leur demande pour quelles raisons ils ont quitté les bancs de l'école, les réponses diffèrent selon qu'ils sont d'Adrar ou d'Oran. «Je ne veux pas rester à l'école pour rien !» Esquisse des réponses d'élèves «décrochants» à Oran : certains avancent qu'ils n'avaient «pas envie de rester pour rien», d'autres qu'ils «s'ennuyaient en classe», ou encore qu'ils «ne supportaient ces pacotilles». On peut citer encore «je voulais faire autre chose», «c'était du temps perdu», «je voulais gagner un peu de flouss», «le climat de l'école n'était pas bon (violence)», «c'est l'école qui ne voulait pas de moi», «les enseignants ne faisaient pas attention à moi» ou enfin «les enseignants ne savent pas enseigner». A Adrar, les réponses divergent quelque peu : «Mes notes n'étaient pas bonnes», «je ne me sentais pas bien», «c'était trop difficile», «je voulais aider ma mère». Car il y a ce point aussi, explique le Pr Benamar : bien souvent à Adrar, certains élèves «décrochent» pour aider leur parents. «Certains vous disent qu'ils doivent travailler ou que leur mère est seule à s'occuper du jardin familial et qu'ils doivent lui venir en aide. Il y avait même une époque (même si ça a changé aujourd'hui), où on mariait une collégienne au sortir du collège». L'autre phénomène qui incite à ce que l'élève décide de quitter l'école est bien le taux d'absentéisme élevé (en moyenne 6 fois par mois). Là encore, les réponses des élèves, que ce soit ceux d'Oran ou d'Adrar, ne manquent pas d'étonner : «Les cours ne me plaisaient pas», «je n'aimais pas l'enseignant, du coup, je m'absentais à son cours», «j'aidais mes parents», «les profs n'étaient pas justes», «j'étais mieux dehors», «j'étais fatigué de temps en temps», «je ne voulais pas me forcer», «on ne perd rien quand on est absent», «on n'est pas obligé d'y aller tous les jours», «les programmes n'étaient pas intéressants». Cette dernière réponse ne manque pas de faire sourire car elle indique que de nos jours, c'est à l'élève qu'appartient le rôle d'évaluer le programme scolaire. Mais il faut préciser, dit encore le Pr Benamar, que cette situation incombe également au fait qu'il n'y a pas d'évaluation préalable : «Parfois c'est l'enseignant lui-même qui ne maîtrise pas la discipline. On prend le tout-venant ! Ainsi, certains enseignants diplômés en arabe, enseignent les mathématiques ou le français…» Qu'y a-t-il lieu de faire ? «Au niveau du ministère, on a élaboré une stratégie, cependant cette stratégie couvrira-t-elle tout le territoire national», se demande encore le Pr Benamar. Pour ce qui est des antécédents scolaires de ces huit élèves ayant décroché, les entretiens avec eux ont démontré que les difficultés en classe se situaient surtout en français et en mathématiques puis, dans une moindre mesure, en anglais et en sciences naturelles. Pour ce qui est de l'interrogation des parents de ces décrochants, ce qui en ressort est qu'ils imputent l'échec scolaire de leurs enfants, en premier lieu, à l'école et à l'Etat. Ils avancent que leurs enfants ne se plaignaient jamais de ce qu'ils vivaient à l'école et que d'une manière générale, il n'y avait aucun contact famille/école (sauf en cas de convocation des parents par les enseignants ou l'administration). Pour ce qui est de l'absentéisme, beaucoup de ces parents balayent ce phénomène d'un revers de la main : «L'absentéisme, et alors ?» «Dans l'imaginaire collectif, nous explique le professeur, une fois que le parent met son fils à l'école, c'est l'Etat qui doit se débrouiller pour l'habiller et le faire manger et l'école doit le sortir avec un diplôme.» Ces parents d'élèves affirment aussi que les enseignants ne font pas le travail pour lequel ils sont payés et que «les directeurs d'établissement ne les respectent pas». Sur ce chapitre, on peut déduire que la responsabilité du décrochage scolaire chez l'élève est pour le moins partagé : il y a d'un côté la permissivité de l'Etat et, de l'autre, la démission des parents. Enfin, en remarque conclusive, le Pr Benamar affirme que l'axe de recherche à laquelle elle a pris part en vue de cette journée d'étude sur le décrochage scolaire «a exploré le rapport à l'école de jeunes décrocheurs de moins de 16 ans et analysé quelques unités discursives extraites des entretiens. Considérant leur trajectoire contrasté, l'axe a tenté d'examiner les processus qui concourent à leur rupture». Aussi, «l'approche préconisée cette année académique 2015-2016 devra être basée sur les entretiens approfondis à caractère biographique avec des enseignants et chefs d'établissement pour tenter d'émettre quelques hypothèses explicatives, car le résiduel quantitatif ne peut pas nous aider. Reste à décider, à travers d'autres trajectoires singulières de décrocheurs, les traits communs et les divergences nous permettant d'émettre de nouvelles hypothèses». L'exigence de qualité Les spécialistes préfèrent le terme «décrochage» pour parler de déperdition, car ils considèrent le phénomène comme une extension de l'absentéisme qui se solde par l'abandon. Cette question a été débattue lors de cette journée d'étude. A travers la loi d'orientation 08-04, le gouvernement s'était fixé, il y a huit ans, l'objectif de permettre à 90% des élèves scolarisés en première année primaire d'atteindre la quatrième année du cycle moyen en 2015 sans redoubler. D'après les chiffres présentés par Baghdad Lakhdar, expert consultant en sciences de l'éducation, il y a un vieillissement de la population scolarisée à tous les niveaux et les redoublements explosent, notamment en première année du cycle moyen. «Le tiers des élèves scolarisés au primaire sont plus âgés que les autres. Au BEM, 61% des candidats sont plus âgés que l'âge normal alors que 96,51% des candidats au bac ont plus de 18 ans», a révélé l'expert. En bref, il y a un retard de scolarité à tous les niveaux. Cependant, ce vieillissement de la population scolaire a-t-il permis une meilleure rétention des élèves et moins de décrochage ? Pas forcément, puisque les objectifs quantitatifs assignés se heurtent à la réalité d'une exigence de qualité et les disparités existant entre les établissements des 48 wilayas du pays, mais aussi le fossé qui se creuse entre les établissements d'une même commune. Ceci est à conjuguer avec les conditions sociales dans lesquelles évoluent enseignants et enseignés. Sur ce point, Mme Rosa Mahdjoub, de l'Institut national de recherche en éducation (INRE), préconise une enquête approfondie pour «trouver le ou les coupables responsables de cette situation». Mme Nekkal Fatima, enseignante chercheure à l'université Oran 2, préconise : «Il faut des pratiques pédagogiques différentes avec plus de justice et d'humanisme (…) Certes, les taux de réussite augmentent d'une année à une autre, mais diminuent d'un palier à un autre.» Mme Nekkal a donné l'exemple de la Finlande où l'expérience du système s'éducation donne à l'école tout son sens.