– Votre ouvrage Raconte-moi les Aurès est un voyage au cœur de la région. Une région délaissée ? Pas forcément, même si jusqu'à nos jours, l'enclavement est au menu des citoyens qui habitent l'arrière-pays (rareté du transport, surtout scolaire). Le secteur de la santé ne se porte pas bien du tout, donc pas uniquement délaissé mais aussi inconnu et qu'on croit connaître, car vu sous un prisme proche du folklore, voire folklorisé. Les Aurès sont un pays avec une géographie bien délimitée, une histoire plurimillénaire, des traces matérielles le prouvent, à l'exemple du tombeau numide Imedghassen III av. J.-C. et peut-être même plus, selon les nouvelles recherches, tout en restant dans les Aurès, l'Homo aterien dans la région de Bir El Ater (wilaya de Tébessa) 5000 ans… Les Aurès peuvent être la mémoire de tout un pays, qui semble enfin se réconcilier avec son histoire. Il faut dire que le tombeau numide Imedghssen III av. J.-C. constitue, selon les historiens et autres spécialistes, une première tentative pour l'édification d'un Etat en Afrique du Nord, dans ce qu'on appelait la Numidie. A mon avis, l'Algérie de nos jours doit se réconcilier avec son histoire et que l'on cesse de parler de l'Algérie en tant que «jeune nation», alors que l'histoire de notre pays et invoquée par les Grecs, les Romains et des sommités comme Madaur, Saint Augustin. – Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans votre périple ? (administrativement) Le plus difficile, c'est la tracasserie, la sourde oreille et l'arrogance de l'administration. C'est à la troisième demande de subvention de mon beau livre au niveau du ministère de la Culture, car la réponse n'était que silence et mépris de mes doléances, vient enfin le Haut-Commissariat à l'amazighité pour prendre en considération mon projet. Une fois j'ai été contacté par la chef du cabinet de ex-ministre Khalida Toumi. J'ai fait le voyage de Batna à Alger, mais à la dernière minute, on m'a orienté vers un autre bureau où, quelqu'un presque en s'excusant, avait pris une autre fois ma demande avec des photos spécimen, etc., mais sans lendemain. – Pensez-vous que le patrimoine, matériel et immatériel, des Aurès a été préservé ? Je suis dans la logique du possible, préservé, pas en totalité hélas, mais une grande partie, pas par ceux qui étaient censés le faire, car ils sont payés pour. Naturellement, les habitants des montagnes et des Aurès aimaient leur terre, donc aussi ce qu'il y a dessus. Le mouvement associatif a joué un rôle important dans cette préservation, le Mouvement culturel amazigh (MCA), dont je suis membre fondateur à la fin des années 1980 et début 1990, a pu sensibiliser les citoyens, car présents, quant à l'importance de ce patrimoine, de la nécessité de le préserver et de le rendre visible pour sa promotion. Aujourd'hui, c'est aux institutions de jouer leur rôle. – Quelles ont été vos plus belles rencontres/ découvertes ? Les plus belles et marquantes rencontres restent les plus simples et les plus modestes à mon sens. Les auto-stoppeurs que j'ai pris, surtout les écoliers, les bergers, les hommes et femmes qui continuent d'exercer des métiers d'un autre siècle, à la force de leurs bras, faucheurs, semeurs… les mineurs de Ouenza, la famille Gasmi à M'chouneche dans la wilaya de Biskra où je trouve toujours, un couvert, un lit et l'hospitalité légendaire des Chaouis.