Des structures dont nul ne peut mésestimer le rôle en tant que plateformes incontournables entre la médecine de ville et les services hospitaliers, mais également comme témoins référentiels de la qualité du système de santé dans son ensemble. Pourtant, aucune description statistique élémentaire n'a été introduite dans le but de contextualiser et d'appréhender de manière exhaustive un phénomène qui a pris de l'ampleur et que l'on voudrait certainement ignorer à dessein, tant auprès de la hiérarchie médicale que des autorités administratives. L'injection de financements importants dans la réforme de ces structures n'a pas atteint les buts escomptés en raison d'une défaillance conceptuelle et de vision stratégique dans la mise en œuvre des leviers d'intégration entre l'offre et la demande de soins pour une population qui a connu une transition épidémiologique rapide. Des raisons certes de structures – dans leur agencement inapproprié qui les rend insécurisés et leur organisation obsolète qui les rend inefficaces – mais aussi de moyens, de ressources humaines et plus encore de gestion et de management sont venues accompagner le comportement consumériste de l'usager pour renforcer et entretenir une tension permanente. En effet, le nombre de personnes qui se présentent aux urgences est en augmentation constante, et ce, pour de multiples raisons, parmi lesquelles la paupérisation, le vieillissement de la population et l'augmentation des consultations pédiatriques, la croissance du nombre de maladies chroniques, l'inefficacité des structures périphériques de soins, mais aussi cette facilité à accéder directement à une consultation gratuite et spécialisée à tout moment du jour ou de la nuit, sans rendez-vous et quel que soit le motif de consultation. Un motif qui dans les deux tiers des cas ne nécessite aucune prise en charge urgente et devrait normalement être traité de manière différée par d'autres structures sanitaires. Face à cette demande colossale, l'offre, quant à elle, demeure insuffisante, évoluant dans un cadre archaïque sans approche d'optimisation des ressources et des moyens, livrant les jeunes médecins à la violence du tout-venant. Selon une étude prospective menée à l'initiative de médecins résidents auprès de 500 praticiens des urgences, les violences verbales et physiques sont le plus souvent déclenchées par un défaut d'accueil et d'information, ainsi que par la durée d'attente mal comprise et jugée excessive par le patient et ses accompagnants. Ces derniers arrivent dans un univers dont ils ne maîtrisent pas les codes et dont ils ne connaissent pas les contraintes, la disponibilité des moyens, la multiplication des personnels et des responsabilités et ne reconnaissent finalement comme interlocuteur que le jeune médecin présent aux urgences, seul responsable à leurs yeux de tous les atermoiements, manquements et défaillances systémiques. Inquiets, stressés, désorientés, jugeant leur urgence comme prioritaire et considérant le soin comme un dû à faire valoir sans délai, les patients, mais surtout leurs accompagnants – reconnus dans cette même étude comme les agresseurs dans plus de 89% des cas – n'hésitent plus à passer à l'acte. Car si l'attente est souvent longue avant d'accéder à la consultation pour diverses raisons, dont le rush permanent aux pavillons des urgences, celle-ci peut être également sensiblement augmentée en raison de la nécessité de réaliser des investigations complémentaires de biologie ou d'imagerie, la préparation d'un geste technique nécessitant des moyens et un temps de mise en place, les pérégrinations intra et inter-hospitalières à la recherche d'un lit d'hospitalisation ou encore à la jeunesse des médecins des urgences qui sont pour la plupart encore en formation et qui doivent donc souvent consulter leurs aînés avant de prendre une décision. Tout cela a fait basculer les comportements vers un recours de plus en plus systématique à la violence, encouragé par l'absence de personnels de sécurité – rarement présent au moment de l'agression ou intervenant que très tardivement -, mais également porté par le sentiment d'impunité de l'agresseur, puisque les victimes ne déposent plainte que dans 8% des cas. Un taux très faible expliqué dans cette étude par peur des représailles, par un manque d'informations sur la procédure à suivre, mais chose plus révélatrice encore, dans plus de 56% des cas, par un manque de soutien de la hiérarchie, aussi bien médicale qu'administrative. Cette situation dégrade la cohésion des équipes soignantes, rogne leur altruisme et leur empathie au profit d'un désintérêt et d'un comportement d'évitement qui peut se révéler néfaste pour la santé des patients. Elle engendre chez plus de 73% des praticiens des urgences une démotivation profonde et un sentiment permanent d'insécurité qui les poussent à abandonner le secteur public pour s'installer dans le privé ou à l'étranger et fait naître chez plus de la moitié d'entre eux le désir de changer tout simplement de métier. Des solutions pourtant existent si la volonté institutionnelle de lutter efficacement contre ces violences s'émancipait des déclarations d'intention et des discours démagogiques du prêt-à-consommer médiatique. En amont et sur le plan de la formation tout d'abord, il serait profitable de mettre en place un diplôme de spécialisation spécifique à la médecine d'urgence de manière à qualifier et asseoir précisément les compétences nécessaires à cette pratique particulière et ne plus recourir à des médecins généralistes, le plus souvent nouvellement diplômés, pour «faire fonction» d'urgentistes. Il est nécessaire également de repenser la graduation de médecine générale pour en faire une spécialité à part entière, de manière à hisser le niveau de performance des centres de santé périphériques et diminuer le taux de patients adressés aux urgences pour «avis» ou prise en charge sans motif probant caractérisant l'urgence. En aval et du fait du vieillissement de la population et de l'augmentation des maladies chroniques nécessitant des hospitalisations de durées variables, la création de services de gériatrie et de services de soins de suite, inexistants jusqu'à aujourd'hui, sont une absolue nécessité afin de libérer des lits au niveau des services de médecine et de chirurgie, ce qui permettra de diminuer la pression sur les structures d'urgences où le défaut de places est à l'origine de 42% des actes de violence. Il faut impérativement instituer au sein des grands établissements de santé une organisation chargée de recenser administrativement les lits d'aval disponibles en les mutualisant dans le cadre d'une intégration en réseau afin de ne plus placer le médecin des urgences face à des problématiques qui ne sont pas de son ressort et qui pourtant sont génératrices de violences à son encontre. Au sein même des pavillons d'urgences, il faut repenser fondamentalement les conditions d'accueil et d'information de l'usager sur un plan organisationnel et structurel en mettant en place un véritable service d'accueil et de tri animé par des compétences médicales et paramédicales dévolues exclusivement à cette tâche. Ils réaliseront un premier bilan clinique de manière à qualifier le degré de l'urgence selon le score de gravité de la Classification clinique des malades des urgences (CCMU) permettant aussitôt d'optimiser le circuit de prise en charge du patient selon un circuit court (autorisant un turn over plus rapide des patients) ou plus classique (intégrant pour les étiologies les plus fréquentes des protocoles standardisés). Ce tri médical permet, tout en estimant le délai d'attente probable, de renseigner efficacement le patient et ses accompagnants sur la procédure thérapeutique qui l'attend. Car l'attente incomprise – et l'angoisse qui en résulte – est l'une des principales sources de débordement à laquelle il faut répondre en donnant une estimation de son délai. Un moyen simple serait d'installer au niveau de l'accueil un écran affichant clairement de façon continue et actualisée le nombre de patients en attente de consultation, le nombre de patients graves pris en charge, le nombre de patients en soins et le délai d'attente estimé, ceci en précisant que l'ordre d'arrivée n'est pas celui du passage mais que ce dernier est fonction de la gravité évaluée lors du tri. L'objectivation de cette attente exprimée de manière visible et chiffrée sur l'écran permettra la prise de conscience par le patient et ses accompagnants du fait que son attente n'est pas l'expression d'une négligence ou d'un désintérêt pour sa souffrance, mais l'inévitable et raisonnable délai avant sa prise en charge. Des brochures en accès libre dans les pavillons des urgences pourraient expliquer le fonctionnement de ceux-ci, leur organisation, le rôle de l'accompagnant, les raisons du délai d'attente, tout en faisant un rappel explicite des peines prévues par la loi en cas d'agression. Cette approche informative et explicative permettra une meilleure compréhension du fonctionnement d'un pavillon des urgences et désamorcera en amont les nœuds de tension et d'inquiétude. Procédure qui pourra être considérablement renforcée par la mise en place de médiateurs au sein des salles d'attente, dont la fonction sera d'aller au-devant des patients et des accompagnants dès leur arrivée de manière à les orienter, les rassurer, les informer sur les modalités de leur accueil, du tri et sur les raisons objectives du délai d'attente. Par ailleurs et dans un souci d'efficience, il est capital de ne plus permettre l'agglutination anarchique de la foule devant le box de consultation et ceci en réorganisant sur un plan architectural l'espace des urgences de façon à établir une séparation nette et inviolable entre la salle d'attente et les zones de soins et d'hospitalisation dont l'accès doit être strictement contrôlé et limité au seul patient et son accompagnant référent. Toujours dans un souci de rationalisation, la mise en place d'un réseau informatique intranet entre l'unité d'urgence, le laboratoire et l'imagerie permettant au médecin l'accès rapide et facilité à la donnée sans qu'il ait à se déplacer ou à faire déplacer le patient ou les accompagnants – souvent de manière répétée -, ce qui accentue la tension et l'exaspération. Mettre en place également au niveau des urgences des affiches expliquant aux patients et à leurs accompagnants que leur attente dans le service ou leur sentiment de manque de considération ne sont pas liés à une inactivité ou à un manque d'attention des personnels soignants, mais au fait que ceux-ci sont amenés à faire des interventions auprès d'autres patients. Ces affiches devront indiquer ostensiblement que l'administration portera plainte systématiquement en cas d'agressions verbales ou physiques et faire un rappel clair à la loi, notamment les articles du code pénal détaillant les peines de prison prévues et les amendes encourues. La législation doit s'adapter à son tour aux nouvelles formes de violence à l'hôpital et prévoir pour les cas d'agression sur les personnels soignants des dispositions pénales spécifiques aux sanctions exemplaires pour décourager toute velléité de passage à l'acte. L'administration doit impérativement déposer plainte aux côtés du praticien agressé puisqu'elle est tenue par voie réglementaire et statutaire de protéger ses personnels contre «les menaces, outrages, injures, diffamations ou attaques de quelque nature que ce soit dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice de leurs activités». Pour l'heure, elle ne s'associe à la plainte que dans 1,7% des cas, signant par là-même le désengagement de l'Etat dans la protection de ses personnels. L'étude a montré également que les agents de sécurité n'étaient pas présents lors de l'agression dans plus de 70% des cas. Ces derniers, souvent mal formés, mal rémunérés, en nombre insuffisant et peu protégés sur un plan légal, ne sont pas en mesure d'intervenir physiquement ou matériellement et hésitent donc à le faire. Il serait judicieux de confier la sécurisation des urgences de manière contractualisée à des sociétés de sécurité spécialisées avec l'exigence d'un cahier des charges et d'objectifs précis. Autre nécessité, la création d'un document simple et accessible au niveau des services des urgences pour la déclaration «systématique» de tout acte de violence détaillant les circonstances de l'agression, son type, ses modalités, ses conséquences, si elle a donné lieu à un arrêt de travail, si un dépôt de plainte a été effectué, si l'administration a assumé ses responsabilités en déposant plainte à son tour, si une assistance juridique a été fournie par cette dernière ainsi que tout autre information utile permettant un suivi détaillé des procédures et une mise en relief précise de la réalité des violences hospitalières de manière à leur apporter des réponses adaptées. Enfin, des campagnes de sensibilisation doivent être menées par les autorités publiques afin de lutter contre ces préjugés négatifs et idées reçues concernant le personnel soignant. Des idées encouragées par des menées médiatiques de dénigrement et de désinformation continuelle ayant fait le lit d'une désacralisation du médecin, ce qui rend difficile la réception d'une information positive, y compris chez une personne qui n'a jamais eu affaire aux urgences, mais qui, du fait du battage médiatique toujours à charge, va, selon le processus de distorsion sélective, déformer l'information lorsqu'elle est obligeante pour la rendre plus fidèle à ses appréhensions et aboutir à une formulation conative agressive. Aucune médecine ni activité de soins ne peut se réaliser sans sanctuarisation de l'hôpital et sécurisation physique et psychologique de son personnel. La violence manifestée par les usagers si elle n'est pas justifiable ni acceptable témoigne d'un stress, d'une inquiétude et d'une tension exacerbés motivés par des défaillances de structure et de moyens mais également et surtout par un défaut d'accueil, de dialogue et d'explications. Des efforts en ce sens s'intégrant à une démarche plus globale de formation, de réformes structurelles et organisationnelles permettront l'installation pour le bénéfice de tous d'une meilleure perspective relationnelle patients-soignants.