Ils viennent de parcourir 25 km à pieds. Et 100 km depuis Béjaïa, le point de départ de la marche nationale «de la dignité», qui doit aboutir à Alger, afin de revendiquer leur intégration dans les postes de travail qu'ils occupent depuis des années dans le secteur de l'éducation. Effondrés de fatigue sur des chaises, déchaussées, la plus part des marcheurs «trainent» des ampoules aux pieds et des entorses aux chevilles après trois jours de marche. Certains sont allongés à même le sol, essoufflés, la tête bandée et les mains sur le front. D'autres, boiteux, sont épaulés par leurs camarades pour le moindre déplacement. Les enseignants ont marché sous un soleil de plomb, côtoyant les camions de gros tonnage qui sillonnent la RN26, au péril de leur vie et de leur santé. Mais leur détermination, la légitimité de leur combat ainsi que l'élan de solidarité qui a entouré cette manifestation leur donnent des ailes aux pieds.
Il est 19h30. Les adhérents du croissant rouge algérien, les sections d'Akbou, de Tazmalt qui seront relayés plus tard par ceux de Chorfa sont à pieds d'œuvre. «L'humanisme n'a pas de frontière géographique, nous les avons suivis depuis Béjaïa jusqu'ici, sur le territoire de Bouira. Les blessés sont tellement nombreux que nos boites à pharmacie n'ont pas suffi. Mais grâce aux pharmaciens de la région, nous avons pu collecter des pansements, des compresses et autres produits gratuitement pour examiner et traiter les blessures», dit d'emblée un élément du croissant Rouge d'Akbou. Notre interlocuteur a vu défiler plus de 200 personnes devant son tabouret d'infirmier. Depuis le début, le Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l'éducation (Cnapeste) qui soutient la lutte des contractuels a mobilisé ses «troupes» pour assister les « marcheurs » et leur apporter un soutien logistique (gite et logis). Une suite naturelle après le sit-in commun organisé à Béjaïa, récemment, avec cette catégorie d'enseignants nous explique Slimane Zenati, coordinateur de wilaya. Comme le Cnapeste, le CLA (Conseil des Lycées d'Alger), représenté par Idir Achour, n'a pas déserté le terrain. A Bouira il plaide pour «une décision politique ; je parle d'un décret d'intégration et la révision des lois d'application».
Fella, Imad et les autres, le même combat Fella, la fille au fauteuil roulant, qui ouvre cette marche est enseignante de Français dans un Lycée d'un village lointain de la commune de Arbatache, dans la wilaya de Boumerdés. Il y a quelque semaine, elle et ses camarades ont été sauvagement tabassés par les forces de l'ordre à Alger, devant la Grande Poste alors qu'ils tentaient de se rassembler. Elle s'en est sortie avec une entorse au genou et une déchirure musculaire dans la jambe. «Je m'occuperai du policier qui m'a forcé à la chaise roulante après cette marche. Je suis déterminée et je sent sincèrement que nous sommes à mi-chemin de la régularisation », lance-t-elle avec beaucoup de tenacité. Pour elle, il n'est pas question de décrocher maintenant. «Nous avons parcouru la moitié du chemin grâce, également, aux soutiens des syndicats autonomes et surtout de la population des villages de la Soummam qui ne cessaient, le long du trajet, de nous fournir de l'eau, de la nourriture et des mots d'encouragement», reconnait-elle.Fella, qui est loin de sa maison, raconte les yeux larmoyants, des séquences de sa vie quotidienne, de celui de nombreux collègues au sein des établissements de l'éducation de la république. Elle résume : «La précarité de notre statut nous rend vulnérable. Certains responsables d'établissement n'hésitent pas à nous humilier. Ils nous font subir un traitement à part et pourtant, nous faisons exactement les mêmes tâches que les titulaires, voire plus !».
Les «marcheurs» que nous avons interrogés sur la réaction de Mme la ministre de l'éducation, à l'issu de la rencontre avec la délégation des contractuels, ne semblent pas donner de l'importance à la sortie de la ministre. Imad est enseignant de science islamique dans un lycée à Oran. Ce patient du jour souffre d'entorse à la cheville. « S'il vous plait, ne prenez pas mon visage en photos», dira-t-il, attiré par le flash de l'appareil à photos. Car dit-il, «mes élèves ne savent pas que leur enseignant est… contractuel». Cela n'est pas étrange selon les enseignants contractuels interrogés à ce sujet. Ils estiment que «les élèves considèrent moins un contractuel, parce qu'ils se disent que nous sommes dans la précarité –ce qui n'est pas faux- et du coup, ils se rebellent et contestent notre autorité». Ce dernier pense que les problèmes que vivent les contractuels à travers le pays sont pratiquement les mêmes ; c'est ce sentiment d'être exploités qui les réunit aujourd'hui. Du même avis, Fella mise beaucoup sur la solidarité et l'union entre les enseignants pour que ce sacrifice ne soit pas vain.