Les enseignants contractuels poursuivent leur marche et tiennent bon. Grâce à la solidarité populaire. Reportage. "Grâce à Dieu et aux citoyens, nous sommes à mi-chemin de la victoire finale. Nous sommes certes fatigués, mais sommes encore debout", c'est par cette phrase pleine d'optimisme et d'espoir que nous a accueillis, mercredi en fin d'après-midi, au lycée Khalesse-Slimane de Bechloul (Est de Bouira), Saïdi Bachir, le porte-parole de la Coordination nationale des enseignants contractuels. Cet établissement a servi de "campement" aux centaines de marcheurs, ayant déjà parcouru plus de 130 km à pied depuis Béjaïa. Ces enseignants, qui venaient d'arriver à Bechloul, étaient très épuisés. Et pour cause, ils ont parcouru, en une journée, plus de 30 km sous une chaleur torride (32o degrés à l'ombre). Ambiance de repos de ces guerriers d'un genre particulier. Un lycée transformé en polyclinique de fortune Il fallait, d'abord, panser les blessures de cette longue et pénible marche pour "la dignité". Et des blessés, il y en avait ! Cela allait du petit cor aux pieds, jusqu'à des entorses et même aux pieds en sang. En quelques minutes, le lycée s'est transformé en une vaste infirmerie où les marcheurs se sont effondrés, à l'abri des regards, pour se faire soigner. "Vite, ramenez de l'alcool et des pansements", s'écria un enseignant, qui s'est reconverti par la force des choses en un infirmier. Il faut dire que le cas qu'il avait en charge prêtait à l'inquiétude. Des pieds en sang et entièrement enflés. Cet enseignant ne pouvait se tenir debout sans pousser des cris stridents. "Ne t'inquiète pas mon ami, je vais te soigner et en un rien de temps tu seras remis. Nous avons entamé notre périple ensemble et nous allons le finir côte à côte", le rassura son collègue. Madjid, un enseignant contractuel venu de Boumerdès, s'affairait, quant à lui, à masser les pieds engourdis de ses camardes. "Le métier d'enseignant mène à tout. Si l'équipe nationale de football a besoin d'un bon préparateur physique, je suis là", dira-t-il avec humour. Et de l'humour, il en fallait une sacrée dose pour surmonter certains "coups durs", comme la proposition de la ministre de l'Education nationale, qui avait déclaré la veille, vouloir "entamer des négociations avec la Fonction publique", dans le but de verser les salaires de ces enseignants dans les meilleurs délais. "Quand j'entends Benghabrit dire qu'elle va négocier le versement de nos salaires, je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer", dit Saïdi Bachir. Et d'ajouter : "Je l'estime bien notre ministre, mais là, elle délire. Tout compte fait, je préfère en rire." Un peuple en or... Après les pansements, il fallait bien refaire le plein d'énergie. Et rien de mieux qu'un repas qu'ils ont partagé ensemble. Et là, une mention "très bien" a été attribuée à la population de Bechloul et des environs, et aux élus locaux, notamment les P/APC d'El-Esnam et de Bechloul, qui ont fait preuve de responsabilité et de générosité, en organisant une quête en faveur des enseignants. On apprendra que 170 000 DA (17 millions de centimes) ont été récoltés auprès des citoyens de ces deux communes. Certains ont préparé des repas chez eux alors que d'autres, dans un accès de générosité, ont proposé d'héberger les marcheurs. Toutes les douleurs et autres blessures occasionnées par ce périple semblaient s'être estompées une fois que les citoyens sont venus s'enquérir de la santé et du confort de ces hôtes particuliers. "Je ne cesserai jamais de le répéter, nous avons un peuple en or. Quand je vois autant de solidarité, j'ai la chair de poule", dira avec émotion Karim Sahli, un enseignant-contractuel originaire de Bouira. D'autres marcheurs lui emboîteront le pas en saluant "l'extraordinaire solidarité" des citoyens. "Depuis le premier jour, jusqu'à aujourd'hui (mercredi soir, ndlr), c'est tout un peuple qui nous a soutenus. Cette marche, peu importe son issue, nous la dédions à tous les Algériens. Nous avons un peuple en or. Dommage que je ne puisse pas dire autant de nos responsables qui sont bornés à l'extrême", nuancera, toutefois, le porte-parole du mouvement. Une décision politique s'impose Une fois requinqués, les manifestants abordent les choses sérieuses autour d'une grande assemblée, où chacun donnait son avis sur leur action et l'ampleur de la situation. "Nous avons accompli de grands pas. Nous ne devons pas lâcher prise si près du but", notent-ils unanimement. Pour d'autres, à l'image de Fella, une enseignante de français souffrant d'un handicap moteur, qui ne l'a pas empêchée de prendre part à cette action, la ministre de l'Education doit "ouvrir les yeux" sur les souffrances de cette frange de la famille de l'éducation. "Je suis ici non pas par envie de prendre l'air ou voir du pays. Mes camarades et moi sommes ici pour dire à notre ministre : ouvrez les yeux. Nous vivons dans la précarité extrême. Nous risquons du jour au lendemain de pointer au chômage, alors que la majorité d'entre nous travaille depuis plus de dix ans", s'est-elle écriée. Fouad, un enseignant de mathématiques, contractuel depuis 2013, relèvera que "Benghabrit est une bonne ministre avec une vision nouvelle pour le secteur, mais elle doit se débarrasser des vieux dinosaures qui l'entourent et lui brouillent l'esprit (...). Au final, notre revendication est simple et légitime à la fois : un avenir pour nous et nos familles", a-t-il expliqué. Le porte-parole partage la position et la proposition faite par le député Khaled Tazaghart, qui plaide pour une solution politique, engageant le chef du gouvernement et le chef de l'Etat. "Pour moi, Benghabrit s'est exclue d'elle-même de l'équation à travers ses déclarations provocatrices. Nous plaidons pour une décision politique et je demande solennellement à M. Sellal de reprendre notre dossier en main", a-t-il tranché. Quoi qu'il en soit, ces contractuels se disent plus que jamais déterminés à poursuivre leur combat et pour eux, "la victoire est au bout du chemin". RAMDANE BOURAHLA