Le chef du gouvernement, Fayez El Sarraj, conteste cette autorité et s'oppose à l'attaque de Syrte. Le chaos libyen se complique. La question de l'autorité sur l'armée crée, en ce moment, une polémique entre Salah Aguila et Fayez El Sarraj. Aguila conteste l'autorité d'El Sarraj et de son gouvernement avant l'amendement de la petite Constitution, qui gère la vie politique libyenne depuis 2011. Le président du Parlement exige l'intégration des termes de l'accord de Sekhirat dans cette Constitution provisoire, avant de voter la confiance au gouvernement El Sarraj. Ce dernier ne veut pas obtempérer à cette condition et compte même sur une réunion du Parlement à Ghadamès, au sud de la Libye et sans même la présence d'Aguila, pour arracher cette confiance. La polémique a redoublé d'ampleur parce que le général Khalifa Haftar a mis sur pied un régiment de plus de 1000 soldats pour libérer Syrte, à partir de l'Est. Haftar aurait même reçu, la semaine dernière, des centaines de voitures militaires pour ce régiment de Syrte. Forte de cet armement, l'armée a reçu l'ordre de Salah Aguila pour marcher sur Syrte. Ce dernier est l'autorité suprême de l'armée, selon les termes actuels de la petite Constitution, à laquelle s'attache le président du Parlement. Mais selon l'accord de Sekhirat, l'armée relève du conseil de la présidence du gouvernement, mais le gouvernement doit obtenir la confiance du Parlement, ce qui n'est pas encore le cas. Du coup, c'est le chaos. Il a suffi que le général Khalifa Haftar annonce son intention de marcher sur Syrte, afin de la libérer de Daech, pour qu'un vaste mouvement de troupes se fasse à l'Ouest libyen. Au lendemain de la déclaration de Haftar, le 25 avril, un convoi de plus de 200 pick-up militaires s'est installé dans la base de Barak Echataâ, située à 570 km au sud de Syrte. Vingt-quatre heures plus tard, près de 30 voitures militaires, appartenant au régiment Al Halbouss (Misrate), ont occupé la base militaire de la ville d'Al Djoufrah, située à 270 km au sud de Syrte. Al Djoufrah et Barak Echataâ se trouvent sur une même ligne, descendant de Syrte vers Sabha et divisant la Libye en deux. En réaction à ce mouvement de troupes vers Syrte, le chef du gouvernement, Fayez El Sarraj, a déclaré dans une allocution télévisée diffusée avant-hier, qu'il est nécessaire d'unifier le commandement des troupes avant d'entamer cette bataille contre le terrorisme. El Sarraj a affirmé agir en tant que plus haute autorité de l'armée et qu'il est en contact avec toutes les divisions de l'armée, à l'Est, à l'Ouest et au Sud. Toutefois, si l'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, soutient l'initiative d'El Sarraj et considère que cela entre dans ses prérogatives, cet avis est contesté par le président du Parlement, Salah Aguila, et le vice-président du gouvernement libyen, Ali Katrani. Ce dernier a considéré dans un communiqué, publié au lendemain de l'allocution d'El Sarraj, que «le président du Parlement de Tobrouk représente la tête de la hiérarchie militaire en Libye, en vertu de la petite Constitution, qui n'a pas été encore amendée». Pour lui, «El Sarraj ne dispose d'aucune autorité, même pas de décider au nom du gouvernement, tant qu'il n'y a pas d'unanimité, comme le stipule l'accord de Sekhirat». Rien n'a changé Pour analyser de tels tiraillements, le politologue libyen, Ezzeddine Aguil, constate que «Kobler et El Sarraj essaient de faire gober au peuple libyen une situation de fait accompli, sans regarder aux termes de l'accord politique». Aguil attire l'attention sur le fait que «Fayez El Sarraj n'a rien fait pour doter son gouvernement de forces institutionnelles pouvant rompre avec le passé». Sur le terrain militaire, souligne-t-il, l'Ouest libyen est toujours sous l'emprise des mêmes milices de Misrate et d'Al Moukatila (dirigée par Abdelhakim Belhaj). «Je me demande en quoi la situation a changé et comment il peut convaincre les Libyens qu'il est différent de Khalifa Ghouil (ancien chef du gouvernement provisoire) du moment qu'il continue à gouverner avec les mêmes milices», s'interroge le politologue. Dans le même sens, l'universitaire Mansour Younes, ex-membre du Conseil national de transition, remarque que «le général Haftar et le Parlement de l'Est sont parvenus à retirer à El Sarraj et Kobler l'alibi de lutte contre Daech et le terrorisme qu'ils n'ont cessé de ventiler, pour justifier leur empressement. Depuis que Haftar a annoncé la marche sur Syrte pour la libérer de Daech, avec des troupes libyennes, personne ne peut plus appeler à une intervention étrangère». Sur le plan international, les positions ne sont pas concordantes. L'Egypte, les Emirats arabes unis, voire la France soutiennent l'approche de Haftar, opposée à toutes les variantes de milices représentant l'islam politique, comme c'est le cas à Benghazi. Les autres pays occidentaux ménagent les groupes islamistes «modérés», comme ceux de Sabratha ou de Derna, plutôt affiliés à Al Qaîda. «Je ne comprends pas comment les gens d'Al Qaîda sont modérés, alors qu'ils s'opposent même aux élections», s'insurge le juge Jamel, ex-président du conseil local de Benghazi jusqu'en 2012. Bennour pense que «les Occidentaux ne voient que leurs intérêts, pas ceux des Libyens». La preuve, ajoute-t-il, le ministre britannique Philip Hamond se rend compte, aujourd'hui et après des mois d'alerte maximale contre Daech, que cette organisation ne justifie pas une intervention imminente en Libye. «Les Occidentaux nous prennent pour des dupes. Les Libyens doivent trouver une solution entre eux», conclut le juge. A souligner également que le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Genteleone, a demandé, jeudi dernier devant une commission du Parlement de son pays, de lever l'embargo militaire frappant la Libye et d'aider El Sarraj à s'armer pour qu'il puisse exploiter les champs pétroliers libyens. Genteleone a néanmoins écarté toute intervention militaire, tant qu'elle n'est pas réclamée par le gouvernement El Sarraj et conduite sous le pavillon de l'ONU. La situation libyenne reste explosive et ouverte à toutes les options.