Monopole sur la publicité publique, pressions sur les annonceurs privés et menaces de fermeture : pour mater à nouveau les journaux libres, le pouvoir ne lésine pas sur les moyens. Il distribue à sa guise la publicité et lorsque des entreprises publiques tentent, pour des raisons économiques, de s'affranchir des contraintes bureaucratiques, elles sont vite rappelées à l'ordre. A l'opposé du discours qui se veut libéral en donnant plus de pouvoir aux gestionnaires d'entreprises publiques, le gouvernement somme les sociétés à capitaux publics de passer obligatoirement par l'Agence nationale d'édition et de publicité (ANEP) avant de publier une quelconque annonce. Comme le monopole, instauré en 1993 par Belaïd Abdeslam au mépris des lois qui l'interdisent, ne suffit pas, le gouvernement veut donc empêcher les rares entreprises qui «osent» sortir de ce non-sens économique de donner leurs annonces aux journaux qui n'ont pas droit à la publicité publique. Une nouvelle circulaire, signée par Abdelmalek Sellal le 18 avril dernier, somme ainsi les entreprises et établissements publics de passer obligatoirement par l'ANEP en vue de publier leurs annonces. Le document, révélé par le journal El Khabar dans son édition de mercredi, porte la mention «confidentiel». Cette nouvelle instruction fait suite à une note du même ordre envoyée, en août 2004, aux entreprises et établissements publics. Lors de la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse, le ministre de la Communication, Hamid Grine, a relevé que «des entreprises publiques» continuent de publier des placards publicitaires dans les journaux privés. Le ministre, qui mène une guerre sans merci aux rares journaux critiques, veut étrangler ces titres qui ne font pas son éloge et celui de son gouvernement. Il ne se contente pas de donner des injonctions aux entreprises publiques, il élargit à nouveau cet ordre aux annonceurs privés. Il lance un «appel à tous les annonceurs privés pour leur dire de ne pas contribuer à renflouer les caisses des journaux qui sèment la discorde et renvoient une fausse image de l'Algérie», a-t-il déclaré dans une interview accordée au site TSA. Pressions sur les annonceurs privés Ce n'est pas la première fois que Hamid Grine et le système utilisent la publicité pour exercer un chantage sur les journaux indépendants. A peine entré en fonction, en mai 2014, le ministre de la Communication déclenche les hostilités. Il évoque un «cercle vertueux» de la presse. Après des menaces publiques, l'ancien journaliste sportif passe à l'acte ; il réunit des annonceurs privés et les menace. Cherif Rezki, directeur de publication d'El Khabar, rapporte comment le ministre de la Communication a exercé un chantage sur certains annonceurs. «Nous avons les affirmations de ces annonceurs privés qu'on ne peut pas citer, car ils ont peur. Hamid Grine leur a dit, à l'époque, que Mohamed Djellab (qui était alors ministre des Finances) était son ami et qu'il pouvait les aider. C'est-à-dire que si vous ne marchez pas, on vous envoie le fisc pour des redressements fiscaux. C'est très grave ! On les instrumentalise pour tuer des journaux», dit-il au site TSA. Le journal arabophone avait écrit cela à l'époque. Les effets de ce chantage ont été ressenti sur-le-champ. El Watan a, par exemple, perdu 60% de ses revenus durant une bonne partie de l'année 2014. Des annonceurs ont été contraints de renoncer à leurs commandes de peur de subir des représailles. Ces pratiques des autorités ne sont pas nouvelles. Alors que le pays a théoriquement ouvert le champ médiatique à l'initiative privée, le pouvoir a vite senti le danger que provoquerait une liberté d'expression sur sa survie. Après s'être attaqué aux journaux libres par le biais des impôts et des imprimeries d'Etat (des journaux ont été fermés à plusieurs reprises dans les années 1990), le pouvoir assèche, dès 1993, les vannes de la manne publicitaire. Contrairement aux lois de la République qui interdisent les monopoles, l'ANEP détient l'exclusivité des annonces publiques. Malgré leurs requêtes, les entreprises publiques sont obligées de passer par l'ANEP pour diffuser leurs annonces. Pis, ces sociétés et entreprises n'ont même pas le droit de choisir les supports qui doivent recevoir leurs annonces. Résultat : des placards publicitaires, censés faire la promotion d'une entreprise ou d'un produit, se retrouvent dans des journaux qui ne se vendent même pas. Pis, certaines de ces publications ne sont même pas distribuées dans les kiosques. Alors que des journaux (notamment El Watan, El Khabar, Liberté, Le Matin et Le Soir d'Algérie à un moment donné) sont exclus de la publicité étatique, d'autres titres bénéficient des largesses des autorités. C'est le cas de deux journaux appartenant à Mohamed Betchine qui, selon un document révélé récemment, captaient toute la publicité qui passait par l'ANEP. C'était il y a 20 ans. Mais rien n'a vraiment changé. Puisque si des fermetures arbitraires sont maintenant difficiles du fait qu'El Watan et El Khabar disposent de leur propre imprimerie, les autorités font toujours du chantage par la publicité. Quitte à retarder, par exemple, des projets publics qui ne trouvent pas d'entreprises de réalisation à cause d'annonces mal diffusées. Et rien ne semble freiner le pouvoir dans sa volonté d'exercer un chantage permanent sur la presse libre. A la lumière des derniers développements survenus dans le secteur, les pratiques liberticides vont se poursuivre.