Ici comme ailleurs se développe depuis quelques années un discours sur le «vieillissement» de la population et le «choc démographique» qui guetterait l'Algérie en 2025 «avec l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération «baby-boom» née dans les années 1970-1980». «Le poids des plus de 60 ans» combiné à la retraite avant l'âge légal serait une bombe à retardement que seule une «réforme courageuse et anticipée» pourra éviter. Par réforme, ils n'entendent pas une augmentation des ressources dont le potentiel est loin d'être épuisé, ce qui aurait mis à contribution les entrepreneurs, mais plutôt une diminution des pensions à travers le relèvement de l'âge de départ à la retraite accompagnée de la suppression ou la restriction de la retraite avant l'âge légal (retraite proportionnelle et retraite sans condition d'âge). Certains experts proposent même la privatisation graduelle de la retraite à travers l'introduction de la retraite à trois piliers, chère à la Banque mondiale et/ou la souscription à des assurances privées. Cette dramatisation des déséquilibres démographique et financier du système de retraite est un classique pour mieux faire accepter l'option libérale. Derrière cette offensive se cache la volonté du capital financier spéculateur de favoriser le déplacement des cotisations sociales vers le marché financier (épargne, assurances privées, capitalisation, etc.). Le gouvernement, en cédant à ce chant de sirènes risque de prendre des décisions qui pourraient nous entraîner sur une voie dangereuse, celle d'une réforme inadaptée et contre-productive de la retraite qui aura un impact négatif non seulement sur les travailleurs salariés et sur les plus vulnérables d'entre eux, mais également sur l'emploi. En effet, les véritables défis qui s'annoncent pour l'Algérie d'ici 2030 ne seront pas ceux des personnes âgées, mais seront liés à la santé, la scolarisation, l'emploi et au logement des nouvelles générations avec une natalité de nouveau galopante. Il ne s'agira pas de faire travailler plus les algériens, mais de les faire travailler tous et il y aura suffisamment d'actifs pour prendre en charge tous les retraités dans le cadre du système actuel basé sur la solidarité et la répartition d'ici 2050 et même au-delà. Le discours des tenants de l'option libérale ne résiste pas à la réalité des faits malgré les tentatives de l'envelopper avec des «arguments techniques». La population algérienne n'est pas vieillissante. Tous ceux qui l'affirment se basent sur des projections établies durant les années 2000, mais qui ont été contredites par l'évolution démographique récente. Des experts continuent de se baser sur un taux de fécondité proche ou inférieur au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants/femme) et une projection de la population algérienne de 48 millions à l'horizon 2050, alors que ce niveau sera atteint en 2025, soit un décalage de presque 25 ans. Selon les statistiques officielles, la courbe d'évolution du taux de fécondité (2,27 enfants/femme en 2006) s'est inversée depuis 2007 et ce dernier a atteint, en 2015, la valeur de 3,1 enfants/femme, soit l'un des taux les plus élevés du monde. On nous recommande de prendre exemple sur les pays développés qui ont augmenté l'âge de départ à la retraite à 65 ans, oubliant de nous préciser la progressivité des échéances et leur horizon (2025 pour Japon, 2026 pour l'Estonie, 2030 pour la Bulgarie, 2044 pour la République tchèque, etc.). On omet surtout de mettre en évidence la différence de la structure par âge de ces populations avec celle de notre pays. S'il est vrai que l'espérance de vie de la population algérienne s'est améliorée dans notre pays (77,1 ans en 2015), elle ne peut être comparée à celle observée dans les sociétés «vieillissantes», à l'exemple du Japon, la France, l'Espagne, l'Italie, etc. où sa moyenne dépasse les 82 ans. Mais l'indicateur espérance de vie ne peut à lui seul nous renseigner sur le «vieillissement» d'une population. C'est à l'évolution de la structure des âges que se mesure ce dernier à l'aide de deux ratios : la proportion des personnes âgées dans la population totale et le ratio de dépendance démographique des personnes âgées. En 2015, la proportion de la population algérienne âgée de plus de 60 ans était de 8,7%, soit trois fois moins la proportion de ce groupe d'âge dans les pays de l'Union européenne ou de l'OCDE. Pour retrouver dans ces pays un ratio démographique des personnes âgées aussi avantageux que celui de l'Algérie de 2015, il faut remonter un siècle en arrière. Par exemple, en 2030 la part des plus de 60 ans en Algérie sera inférieure à celle qui prévalait en France en 1983 (17,5%), année pourtant où ce pays avait décidé non pas d'augmenter l'âge de départ à la retraite, mais de le baisser de 65 à 60 ans. En 2015, pour une personne âgée de plus de 60 ans, l'Algérie compte sept personnes âgées de 15 à 59 ans contre 2,5 dans les pays développés. Pourtant, dans ces derniers pays on observe, sur la période 1960-2000, une baisse continue de l'âge de départ à la retraite alors que l'indicateur de dépendance des personnes âgées était, durant cette période, plus défavorable que celui projeté pour l'Algérie à l'horizon 2030. Le déséquilibre financier de la retraite n'est ni structurel ni lié à l'âge de son départ En 2015, la CNR n'a pu faire face à ses engagements vis-à-vis des retraités qu'après une ponction de 125 milliards de dinars sur le budget de la CNAS (entre autres) dans le cadre de la «solidarité inter-caisses» et l'augmentation de la part des cotisations affectée à la retraite de 17,25 à 18,25% au détriment des assurances sociales de la CNAS dont le taux est passé de 14 à 13% (un différentiel de 27 milliards de dinars). En 2016, sur injonction des pouvoirs publics, la CNAS devra encore verser à la CNR 200 milliards de dinars, soit un manque à gagner total de 230 milliards représentant 61% du montant des prestations sociales de la CNAS. Ces ponctions se font bien sûr au détriment de la couverture médicale des assurés sociaux et du remboursement des actes médicaux et des médicaments. Sans apporter une réponse durable au problème d'équilibre des comptes de la CNR, ces transferts mettent à rude épreuve l'équité de la solidarité intergénérationnelle qui caractérise le système de sécurité sociale en Algérie. En 2015, le nombre de salariés selon l'ONS est de 7,4 millions alors que le nombre de cotisants, selon les chiffres de la CNAS, n'est que de 5,1 millions. Soit un déficit de cotisations pour 3,3 millions de salariés. Une autre approche basée sur la masse salariale nationale de 2015 dont le montant avoisine les 4670 milliards de dinars nous donne des recettes potentielles pour la CNR de l'ordre de 850 milliards de dinars (taux de cotisation 18,25 %). Ce qui aurait largement couvert l'ensemble des dépenses de la CNR dont les prestations qui se sont élevées à 625 milliards de dinars en 2015, sans compter les recettes provenant du Trésor pour couvrir les dépenses de solidarité nationale. Pour l'année 2015, le manque à gagner (différence entre les recettes potentielles et les recettes réelles) pour la CNAS et la CNR (pour le secteur formel uniquement,) s'élève à 400 milliards de dinars.
Consolider le système par la relance de l'emploi productif & la lutte contre l'informel et l'évasion sociale
Premièrement : comme on l'a vu plus haut, il ne s'agit pas de faire travailler plus les algériens, mais de les faire travailler tous. En 2015, avec 10,6 millions d'occupés, le taux d'emploi global est seulement de 37,1% et celui des femmes particulièrement bas (13,6%). Le nombre officiel des chômeurs est de 1,34 million, auxquels il faut ajouter 0,94 million de «découragés», mais néanmoins désirant travailler et non classés comme chômeurs par l'ONS. La population «inactive» s'élève à 16,6 millions dont 3,7 millions d'étudiants et 3,5 millions âgés de plus de 60 ans. Ce qui nous donne 9,4 millions d'«inactifs» (dont 8 millions de femmes) âgés entre 15 et 59 ans qui ne sont ni étudiants, ni dans l'emploi, ni dans le chômage. Voilà un réservoir de forces potentiellement actives mais inexploitées qui montre que le profil démographique de l'Algérie est une aubaine à saisir et non celui d'une société vieillissante. Seule la relance de la croissance boostée par les investissements productifs et créateurs de richesses pourra valoriser ce potentiel. Deuxièmement : sur les 10,6 millions d'occupés, les salariés, avec 7,4 millions, en représentent 69,8% et «les indépendants» 30,2% (soit 3,2 millions). En 2015 seulement, cinq (5,1) millions de salariés cotisaient à la CNAS et 300 000 indépendants cotisaient à la Casnos. Soit 5 millions de non cotisants selon les chiffres des caisses et 4,1 millions de non affiliés selon les statistiques de l'ONS. L'année 2015 devait être celle du recouvrement, selon le ministre du Travail. Des mesures législatives ont été prises dans ce sens. Depuis, malgré l'expiration des délais, aucun bilan n'est fourni et les prévisions budgétaires des caisses ne reflètent pas une amélioration. Seule une volonté réelle de lutte contre la non-déclaration des salariés, les sous-déclarations des salaires accompagnées de l'élimination des différences exonérations de cotisations accordées aux entrepreneurs peut améliorer le taux de couverture et les équilibres du système de sécurité sociale.
Un potentiel de ressources pour le système de sécurité sociale non épuisé En sus des dépenses de revalorisation et de solidarité nationale (indemnités complémentaires des pensions minimum et complémentaires dont celles des moudjahidine) et de revalorisation la contribution de l'Etat à la prise en charge des dépenses de la CNR pourrait être envisagée pour couvrir notamment les pensions de retraite avant l'âge (servies avant 60 ans) avec remboursement à la CNR des sommes servies dans ce cadre par le passé. Dans tous les pays au monde, la contribution des Etats aux dépenses de sécurité sociale est réelle et souvent importante. Des ressources fiscales additionnelles pourraient être instituées au profit des caisses des salariés : impôt sur les fortunes et le patrimoine, impôt sur les dividendes, sur-taxations des activités économiques polluantes ou sources de maladies professionnelles et d'accidents de travail, ainsi que celles à faible intensité de main-d'œuvre, affectation à la Sécurité sociale d'une partie de la TVA et des droits de douane institués par la loi de finances 2016 pour protéger la production nationale… Mettre fin au financement par la CNAC (elle-même financée par les cotisations des salariés) de la politique de l'emploi qui relève de l'Etat. Le hic est que la totalité des bénéficiaires du dispositif CNAC ne sont pas affiliés à la CNAS. L'arrêt de ces transferts pervers permettra aux caisses des salariés d'économiser annuellement 40 milliards de dinars. De plus, le remboursement par l'Etat des dépenses passées pourrait être envisagé. Le taux des cotisations sociales dans 12 pays européens au moins dépasse 35% et la part patronale y est supérieure à 25% dans au moins 8 d'entre eux. Aucune étude sérieuse n'est venue étayer les affirmations qu'une éventuelle augmentation de ce taux mettrait en péril l'emploi en Algérie. Une augmentation progressive — sur 5 ans — de 3 points (dont 2 à la charge de l'employeur) pourrait être envisagée. L'impact sur le pouvoir d'achat des travailleurs aux revenus moyens pourrait être compensé par une réduction de l'IRG. Au 31 décembre 2014, les créances totales des caisses des salariés s'élevaient à 251 milliards de dinars dont l'Etat devait être garant. Le recouvrement de ces créances permettrait de renflouer les réserves des caisses.