Quel diagnostic faites vous de l'économie algérienne? En Algérie, les restructurations libérales inaugurées sous Chadli Bendjedid nous ont plombés dans le surplace depuis trois décennies. L'échec du triptyque : libre échange-privatisation-IDE qui en constitue la clé de voute est cinglant. Le libre échange a été une ouverture économique «improvisée et non préparée qui a été fatale à bon nombre d'industries»,une opération à pure perte pour l'économie algérienne. Il a conforté la domination du marché algérien par ceux qui en ont toujours fait une stricte destination commerciale. Le capital étranger n'a d'yeux que pour l'or noir. Quant au capital algérien, investisseur, preneur de risques, vecteur d'innovation, il est inexistant. Une voie sans issue. La courbe de l'évolution des importations totales en milliards de dollars est équivalente à celle des importations à partir de la France. L'Algérie est le premier marché africain des produits agricoles français, un statut objectif de client stratégique de 1er plan mais qui ne s'est traduit par aucune construction d'usine, aucun investissement productif. L'Algérie est le 10 ème pays importateur de médicaments de la France ; 37% des exportations françaises vers l'Afrique du Nord et 20% de ses exportations vers l'Afrique. C'est le 3ème marché pour les exportations pharmaceutiques françaises hors OCDE. Quant aux IDE, on constate leur quasi absence hors hydrocarbures, bien que l'Algérie ait ratifié 83 accords internationaux incitatifs à l'IDE dont 46 accords bilatéraux et 6 accords internationaux d'investissements. L'Algérie a signé 42 conventions de protection réciproque et des investissements, 27 conventions fiscales de non double imposition En 10 ans l'Algérie a importé pour près de 200 milliards de dollars de l'Union Européenne, en contre partie durant la même période les investissements de l'Union Européenne en Algérie ont été de moins de 7 milliards de dollars, soit moins de 3,5% et essentiellement dans les hydrocarbures. La privatisation se résume, elle, à une série de constats successifs d'échec dont le plus retentissant est celui de la privatisation d'El Hadjar qui plutôt que de doper la sidérurgie algérienne l'a dupée, en réalité. El-Hadjar ne fournit le marché national qu'à moins de 10%, obligeant l'Algérie à recourir à l'importation qui lui coûte annuellement environ 10 milliards de dollars. Le privé, c'est son inclination naturelle, recherche des gains à court terme, il est peu enclin à investir dans la sphère productive. Lors d'une réunion avec les représentants du patronat et de la centrale syndicale UGTA, en novembre 2012, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a révélé que seulement 15% des entreprises algériennes sont connectées à un réseau Internet, à peine 9% ont une adresse électronique et aucune entreprise ne propose sur son site un catalogue des produits qu'elle veut commercialiser. C'est la rechute dans le sous-développement avec pour corollaire l'aggravation des menaces sur l'indépendance nationale
L'informel porte-t-il vraiment un coup dur à l'économie algérienne ? Il ne faut pas se tromper de cible. Ceux qui portent vraiment un coup dur à l'économie algérienne ce sont le cartel bancaire mondial transnational qui est derrière la manipulation à la baisse des prix du pétrole, les dirigeants saoudiens qui ont inondé le marché de l'or noir pour provoquer l'effondrement de régimes auxquels ils sont hostiles, les barons locaux de la chkara qui travaillent à l'effondrement de la monnaie nationale, en accélérant l'évasion des capitaux pour les placer dans l'immobilier de luxe outre-mer. Quant au phénomène de l'informel, cette économie non enregistrée, qui échappe au fisc à la règlementation, l'économie de bazar, en fait, elle n'est que la conséquence de trois décennies de restructurations libérales qui ont démantelé les bases sur lesquelles pouvait se construire une économie digne de ce nom, un système productif national capable d'offrir des débouchés qualifiants et valorisants à notre jeunesse. La dévitalisation de la sphère d'activité productive, au nom du « basculement à l'économie de marché », et de « la diversification de l'économie », est attestée par la part accaparée par les importations dans l'offre et par celle prise par le marché informel dans la satisfaction de la demande. C'est le corollaire de l'ouverture sans garde-fous qui a produit l'essor, nourri par les revenus pétroliers, des activités parasitaires et spéculatives du négoce import/ revente en l'état. Privée de sa substance productive, l'économie algérienne est gangrenée par les phénomènes de transfert illicite de devises.
Est-ce que l'Algérie est prête à faire face à une crise économique ? Aujourd'hui, la chute des prix du pétrole est l'occasion de nous proposer un nouveau coup d'accélérateur du processus de démantèlement libéral inauguré sous l'ère de Chadli. La « contrainte extérieure » est le prétexte pour d'autres recompositions internes. Une recomposition et un repositionnement des intérêts économiques et politiques au profit du renforcement et de l'extension des positions du capital (privé algérien et multinationales) et des couches qui lui sont liées, au détriment des intérêts du peuple algérien et de son développement Elites et patronat de concert, dissertent d'autant volontiers sur le thème des nécessaires sacrifices à consentir par la masse, qu'ils en sont, eux, dispensés par la grâce de Dieu. La malédiction de la pétrodépendance est décriée ad nauséam, mais les politiques qui ont, des décennies durant, aggravé les vulnérabilités et les handicaps structurels historiques de l'économie algérienne, la maintenant dans une position de mono-exportateur d'énergies (pétrole et gaz), sont toujours données comme la seule alternative possible. On sait que la contrainte extérieure a été, dans les années 1990, le prétexte d'une ouverture désindustrialisante et de révisions qui ont aggravé les carences structurelles de l'économie algérienne et installé la précarité sociale. La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l'Indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et qu'elle n'ait atteint sa phase de maturité. L'édification d'une économie de production a laissé la place à une économie de bazar axée sur le seul commerce d'importation. En réalité, la « contrainte extérieure » est le prétexte pour d'autres recompositions internes.
De quels recompositions parlez vous… Une recomposition et un repositionnement des intérêts économiques et politiques au profit du renforcement et de l'extension des positions du capital (privé algérien et multinationales) et des couches qui lui sont liées, au détriment des intérêts du peuple algérien et de son développement. La clameur idéologique assourdissante des partisans d'un nouveau round des thérapies de choc exagère délibérément, et c'est dans son intérêt, la situation difficile du pays, On assiste à la promotion d'un discours délibérément alarmiste visant à apeurer la population et faire qu'elle aille désarmée sinon consentante à l'abattoir social qu'on veut lui préparer. Pour eux, l'impasse est de nature conjoncturelle, il manquerait « une politique économique « digne de ce nom »Ils tirent argument de la conjoncture baissière du baril qui représente, on le sait, la donne-clé fondamentale dans l'élaboration des politiques économiques dans notre pays, pour exiger une relance du fameux triptyque libre-échange, IDE, privatisation qui a échoué- de l'aveu même des officiels- et qui nous a plombés dans le surplace depuis trois décennies. Focalisés à outrance sur les ajustements économiques et sociaux qu'ils somment l'Algérie d'opérer instamment – comme si elle avait la capacité de manœuvrer avec les mêmes armes et dans le cadre des mêmes règles du jeu que le capital mondialisé-les partisans d'un nouveau round de thérapies de choc occultent délibérément et volontairement la responsabilité fondamentale du capital financier et du cartel bancaire mondial dans la manipulation à la baisse des prix de l'or noir, masquant l'enjeu véritable qui se profile derrière la scène du chaos du marché pétrolier. Comment pourraient-ils, d'ailleurs, mettre en cause les agissements d'un modèle qui constitue pour eux la référence des références. Ils feignent d'ignorer qu'on est dans une logique de restructuration violente, guerrière et hors normes du rapport de forces international dont le chef d'orchestre sont les Etats-Unis (notamment les institutions et organismes-clé : FED, FMI, Banque Mondiale, AIE, mais aussi Pentagone, services spéciaux, think thank et réseaux affiliés…) et que dans latrès grande reconfiguration géopolitique en cours, il est une construction qui est menacée, c'est l'État-national. Et singulièrement l'Etat périphérique. En réalité, et l'exemple de notre pays le montre, l'impasse est de naturelle structurelle et elle traduit l'impossibilité radicale d'apporter les réponses qu'exige le développement économique et social de notre pays dans le cadre de la dépendance de la mondialisation capitaliste. Il nous faut sortir de la politique de gestion de l'impasse qui conforte les privilèges mal acquis et les agissements des prédateurs de l'économie nationale, dont elle aggrave les vulnérabilités, creuse davantage les inégalités et érode en définitive les capacités de réponse aux menaces impérialistes dans la et à nos frontières. L'argent, dit-on, à juste titre, est le nerf de la guerre. Celle pour sortir du sous-développement ne fait pas exception. La question du financement a toujours été la question-clé du développement économique. Mais on sait qu'elle n'épuise pas toute la problématique. D'autres conditions sont à réunir. La crise exige une réponse centralisée de l'Etat, un secteur public fort entendu comme principal instrument de la maîtrise économique, car « là où est la propriété, là est le pouvoir » Elle exige une vision de long terme qui traduise l'ambition de construire une économie productive performante, des institutions solides et compétentes dans le rôle de vecteur de cette ambition, un Etat garant des priorités productives et environnementales, des acteurs efficaces et engagés parce qu'impliqués, des organes de contrôle indépendants et représentatifs, un climat politique et social de mobilisation démocratique pour le développement national
Est-ce que le fait que le pouvoir d'achat de l'Algérien soit affecté est le signe des prémices d'une crise économique ? Je ne crois pas du tout qu'on puisse parler aujourd'hui d'un pouvoir d'achat de l'Algérien en général. Ce qui structure la réalité sociale, aujourd'hui, c'est la dynamique des inégalités croissantes qui séparent le haut et le bas des revenus, des inégalités de patrimoine, biens fonciers ou immobiliers, produits financiers, ressources en devises, des inégalités en termes de mobilité internationale et de statut citoyen y afférent, des inégalités de statut d'emploi, permanents, occasionnels. Si l'on se réfère aux résultats de l'enquête consommation des ménages de l'ONS pour 2011, le modèle d'ouverture libérale dont on connait le pouvoir de séduction sur les consommateurs a davantage profité aux classes aisées, les 20% les plus riches de la population. C'est cette strate qui consomme l'essentiel de ces « bienfaits » : Part du dernier quintile dans la dépense annuelle par produit : Biens électroniques 52,6% ; Biens électroménagers 43,6% : achats auto 92, 9% ; pièces de rechange : 56,5% frais de transport et communication : 64,7%. Pour eux, la crise, comme l'austérité, c'est une abstraction. Pour la grande majorité de la population, les revenus modestes, en revanche, le pouvoir d'achat a effectivement subi une forte baisse sous le coup des augmentations des prix des biens alimentaires et de l'énergie. Les bons Samaritains docteurs en thérapies de choc veulent leur faire subir un nouveau tour de vis. Cela pourrait déboucher sur une grave crise sociale menaçant la stabilité du pays.