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En finir avec les putschs et toutes les formes de dictature
Publié dans El Watan le 02 - 07 - 2007

La gouvernance constitue l'ensemble des coutumes, des institutions et des règles légales servant à gérer, administrer une entité déterminée. La définition de la bonne gouvernance politique et économique, communément admise mais contestée par les « culturalistes », procède du concept de liberté. Aux yeux de ses partisans, lorsque -dans le champ économique- certaines hypothèses, purement théoriques pour ne pas dire imaginaires, sont réunies, un marché de libre concurrence mène à l'optimum économique, c'est-à-dire à la meilleure situation possible, compte tenu des contraintes. Puisque cette approche est libérale, c'est à travers ce prisme, à caractère mondialiste, universaliste, que seront évoqués l'Afrique, sa gouvernance et son développement.
A l'indépendance, la plupart des économies africaines, aux frontières découlant des hasards de l'histoire coloniale, ont un ratio population/terres satisfaisant mais la qualité de ces terres est souvent médiocre ; la pluie y est inégale, imprévisible voire rare. Leur offre de main-d'œuvre est abondante mais celle-ci est couramment sans couverture sanitaire, sans instruction, sans qualification et donc, à faible productivité. Leur coefficient d'ouverture sur le reste du monde est élevé mais la composition, très vulnérable, de leurs exportations est dominée par l'output du secteur primaire (phosphate et biens agricoles au Maroc, minerai de fer et produits de la mer en Mauritanie, coton en Egypte, bauxite en Guinée, cacao au Ghana, etc.) ; au niveau technologique, ces économies sont dépendantes vis-à-vis de l'extérieur; leurs structures de production sont dualistes et consacrent une distribution inégale des revenus et du patrimoine. Au plan politique, l'Afrique hérite du concept d'Etat-nation, supposé transcender les rapports précapitalistes, de type clanique; c'est autour de cette notion, importée et qui, dans certaines régions, ne résiste pas au temps, que se cristallisent les nationalismes en Guinée, au Kenya, à Madagascar, etc.; bien que les migrations et l'urbanisation provoquent désorientation morale et course au gain voire au simple revenu de subsistance, l'allégeance de l'individu à son ethnie, à son village, à sa communauté religieuse est une des mamelles de la mal gouvernance.
Les nécessités de reconstruction dans l'après-guerre européen et de développement des pays de la périphérie, accédant en nombre accru à l'indépendance, donnent lieu à des réflexions sur le rôle de l'Etat, la manière de combler le retard technologique et d'améliorer les conditions de vie des populations, etc. Ainsi naissent en Occident, des théories du développement, plus ou moins, fondées sur le culte du marché alors que le monde communiste, de son côté, propose une conception standard du développement, reproduisant des pratiques soviétiques. Cette diversité des modèles économiques et sociaux n'est pas sans interpeller l'évaluation et l'arbitrage des pouvoirs publics, c'est-à-dire du pouvoir politique. L'Algérie du milieu des années 60 a bien consulté la Banque Mondiale, d'une part et le Gosplan russe, d'autre part avant d'opter pour son développement planifié, autocentré privilégiant l'industrie lourde.
Dans ce contexte général, deux grandes stratégies de développement différentes sont déployées bien que leur clivage ne soit ni toujours net, ni absolu. La première est étatiste et introvertie ; elle se caractérise, au Ghana, en Egypte, en Tunisie, en Zambie, etc. par l'africanisation rapide des personnels, l'éclosion d'une large bureaucratie (l'Etat s'imposant comme le principal ou le quasi unique employeur formel), l'érection d'un secteur public industriel associé à un degré élevé voire forcené d'éviction du capital privé productif, un taux d'investissement élevé (financé, couramment, par une création monétaire soutenue), un effort intense d'industrialisation (avec ou sans la présence préalable d'une demande locale) avec en prime la « dutch disease », le « mal hollandais » se traduisant par une marginalisation de l'agriculture. En dehors de la Tanzanie, ayant opté pour un socialisme agraire, les effets sur l'agriculture de cette politique industrialiste sont néfastes : l'Afrique subsaharienne voit ses importations de céréales se multiplier par deux en 1974-87; le Nigeria s'aventure, les restrictions quantitatives aidant, dans une substitution à l'importation de blé alors que ni la nature de ses terres, ni son climat n'y sont favorables: ses résultats défavorables occasionnent une pénurie de pain qui devient (en 1987-89) un produit de luxe ; ce même pays, connu pour être le leader mondial de l'exportation de l'huile de palme, en devient importateur ; le Nigeria et la Côte d'Ivoire se tournent vers l'Europe et l'Amérique latine pour acquérir des viandes que le Sahel ne parvient plus à leur livrer. Quant à la seconde stratégie, elle est davantage impulsée par le marché (comme moteur de la croissance économique) mais ce marché est « impur », n'est pas exempt d'interférences étatiques. La spécialisation coloniale est préservée à l'aide, par exemple, de mesures de stabilisation du prix des denrées traditionnelles. L'industrialisation est, dans cette hypothèse, réprimée par la taille de la demande solvable, essentiellement locale. L'agriculture est moins ignorée par les décideurs (cas du Maroc ou de la Côte d'Ivoire, première productrice et exportatrice mondiale de cacao). L'africanisation de l'emploi, fonction publique incluse, est intense (pour des raisons sociales) sans être exclusiviste tandis que les Etats concernés attendent le développement économique de l'extraversion, du commerce extérieur traditionnel et de l'investissement direct étranger ; c'est ainsi qu'en Côte d'Ivoire, la branche du textile est entre les mains du capital étranger. Quelques rares pays (Afrique du sud, Tunisie et Kenya), après avoir fondé leur développement sur la substitution à l'importation, se lancent, avec succès, début de la décennie 1980, dans une politique de diversification des exportations en tirant profit du faible coût de leur main d'oeuvre et des préférences commerciales accordées par les pays industrialisés au Tiers Monde. Cette performance de la Tunisie, entretenue par les délocalisations d'industries européennes, est désormais menacée sur la rive nord de la Méditerranée, son principal débouché, par la compétition asiatique et la venue à expiration, début 2005, de « l'Accord Multifibres » ; cette expiration compromet même l'efficacité de l'accord de libre échange, conclu par les Etats-Unis et l'Egypte ; pour sauvegarder ses exportations industrielles et compte tenu du statut spécial aux Etats-Unis des produits comportant un minimum d'intrants d'origine israélienne, l'Egypte s'est mise ( dans le cadre d'un partenariat industriel et commercial avec l'Etat hébreu) à employer de tels intrants dans ses produits destinés au marché américain.
D'une intensité variable selon les économies, l'interventionnisme marque le continent noir jusqu'aux années 80, au moins. Il s'explique par :
– l'imitation des pratiques des deux dernières décennies de la colonisation, de 1944-45 à l'indépendance ; c'est donc, dans une certaine mesure, un héritage n'ayant subi aucun bouleversement significatif et assumé avec moins de moyens, autres que ceux d'un personnel pléthorique et inefficace;
– le besoin de pallier aux carences ou à l'absence du secteur privé ; des entreprises publiques surgissent partout, mais leur administration laisse à désirer et débouche sur des pertes persistantes d'exploitation;
– la nécessité de compenser la « myopie » du marché qui, tout en faisant fi de la justice sociale, n'encourage que les investissements induits par les besoins solvables à court terme; pour contourner une telle « myopie », l'Etat malien surinvestit dans l'industrie textile, lors de la décennie 70, en ciblant, avec un optimisme irréaliste, tout le marché ouest-africain ;
– le désir d'élargir les débouchés domestiques par le gonflement des effectifs des fonctionnaires et des dépenses d'équipement public, le contrôle des prix, etc. Cette action découle d'une analyse erronée ignorant la rigidité de la production nationale et selon laquelle la hausse du pouvoir d'achat des masses allait déclencher le cercle vertueux de l'investissement productif, de la croissance économique auto-entretenue et de l'élévation du niveau de vie collectif. En effet, en l'absence d'une offre locale flexible, ce surcroît de pouvoir d'achat ne peut qu'alimenter l'importation (comme le démontre encore, de nos jours, l'évolution des comptes extérieurs de la Guinée équatoriale ou de l'Algérie). Ces pressions sur le compte courant ne sont pas sans alourdir, dans certaines circonstances, en Afrique, l'endettement et la dépendance financière externes ;
– le souci d'éloigner le spectre de l'éclatement d'Etats multi-ethniques, multi -confessionnels, etc. où opèrent des forces centrifuges ; de plus, la présence, même tatillonne, de l'Etat est parfois le gage d'une fourniture aux populations d'un service public minimal (aux niveaux de l'éducation, de la santé, des infrastructures de base, etc.).
Dans certains pays (à l'instar de ceux du Maghreb), des politiques redistributives sont mises en œuvre pour répondre aux anticipations de mieux être après l'indépendance. La période post-coloniale immédiate est, en effet, celle de la croissance économique et du relèvement du niveau de vie, porteurs d'espérances. Les pays du Tiers-Monde (avec la participation active de pays africains, comme l'Algérie et l'Egypte) en viennent, après le premier choc pétrolier, à contester le système économique international, qualifié d'injuste; en 1974, le « groupe des 77 », jouant de la solidarité de ses membres, fait admettre, au niveau de l'ONU, la nécessité d'un nouvel ordre économique international et le droit des peuples à contrôler et à valoriser leurs ressources naturelles. Cet élan étatiste et nationaliste, considéré -par certains auteurs- comme « subversif » pour l'ordre dominant, s'essouffle rapidement.
La Guinée attend, depuis cette époque, plus de trente ans, que les firmes concessionnaires de ses riches mines de bauxite y installent des unités de raffinage et de production d'aluminium. En réalité, le dynamisme, l'âge d'or de l'Afrique et, particulièrement de ses pays à revenu faible s'évanouit rapidement : après l'amélioration des termes de l'échange du début des années 1970, la régression socio-économique s'amorce (sauf dans quelques rares « îlots ») parallèlement à la fin des « Trente Glorieuses » en Occident et à la progression du libre échange dans le monde. Plusieurs facteurs sont responsables d'une telle évolution négative. Le premier d'entre eux est d'ordre endogène et tient à la médiocrité de la gouvernance politique et économique, la plupart des régimes en place usant de la force ou de prébendes pour compenser leur absence de légitimité.
Despotisme, régionalisme, clientélisme, tribalisme, négation des droits de l'homme et des libertés, insécurité, guerres, violences civiles, instabilité politique, corruption, détournement de fonds publics, investissements de prestige sont quelques tares marquant, à des degrés variables, le continent africain et en font un lieu de redistribution inéquitable des richesses et de méfiance pour l'investissement privé productif. Au Nigeria, les sommes détournées, au cours des quarante dernières années d'exploitation pétrolière, atteignent des montants vertigineux en comparaison à l'aide financière occidentale à l'Afrique sub-saharienne. Les deux autres facteurs sont d'ordre exogène. A côté de phénomènes naturels (invasion de criquets, sécheresse, cyclones, pandémies, etc..), affectant le système productif ainsi que les ressources humaines, il y a une tendance à la détérioration des termes de l'échange dans des pays s'étant avérés incapables d'éradiquer la mono-exportation. Certains pays africains rejettent même l'idée d'une diversification des exportations en prêtant l'oreille aux économistes qui, à l'instar de l'égyptien S.Amin, prônent en Afrique et ailleurs, dès les années 60, une utopie, celle de l'autarcie et de la rupture avec le marché mondial capitaliste. Le mouvement hostile des revenus extérieurs et la nécessité de couvrir, un tant soit peu, les besoins des populations en biens alimentaires ou en services de base, contraignent les Etats africains, en l'absence quasi- généralisée de marchés financiers, à solliciter des « aides » et à s'endetter (parfois, même, pour réaliser des projets peu rentables, suggérés par des bailleurs de fonds mus, en dehors des organisations multilatérales, par des soucis politico-stratégiques ou purement mercantiles).
Dans certains pays, une partie de cet endettement, « la dette odieuse » est même détournée, sans vergogne, sous le regard complaisant des bailleurs de fonds (à l'ère de la guerre froide et de la compétition entre les camps soviétique et occidental), léguant son remboursement ultérieur à des peuples minés par la misère.
Le piège de la dette se referme, peu à peu, sur l'Afrique, Libye exceptée, de sorte qu'il y a un quart de siècle environ, les cessations ou les quasi-cessations de payements s'y multiplient. Face à cette crise financière humiliante, les réactions diffèrent, au départ, avant de converger, sous l'influence du réalisme politique. Bien que les pays-membres de la zone-franc aient librement accès (en contrepartie de leur monnaie locale) au franc français et donc, à toutes les devises fortes, ils jouissent mollement de ce privilège à cause de leurs maigres ressources budgétaires, leur base fiscale étroite se juxtaposant à la pratique quasi-généralisée de l'évasion devant l'impôt. Leurs finances publiques accusent, fréquemment, des déséquilibres qu'ils tentent de couvrir, au moins en partie, par des emprunts au Trésor français; certains d'entre eux ne parviennent même pas à honorer les traitements de leurs fonctionnaires, les conditions d'emprunt des Trésors locaux auprès des banques centrales régionales étant très restrictives.
En dehors de cette zone monétaire, les Etats africains sont enclins à adopter des politiques monétaires plutôt laxistes, source de tensions inflationnistes ; ainsi, pour assurer son autosuffisance, le Ghana, favorise, par le biais d'une politique monétaire et financière expansionniste, une substitution à l'importation tout azimut, hautement protectionniste et reposant sur un large secteur public productif traînant de lourdes pertes et sacrifiant l'agriculture; dès les années 70, il fait face à une expansion démographique rapide, à un déclin de sa production (même vivrière), à une hyperinflation et à une évolution négative de ses comptes, internes et externes ; à ces difficultés s'ajoutent, en 1983, le retour d'un million de ghanéens, de « sans papiers » expulsés par les autorités du Nigeria, une pénurie alimentaire(occasionnée par la sécheresse) et un épuisement des réserves de change. Le pays adopte un programme d'ajustement structurel vigoureux forçant « l'admiration » du FMI. Au début de la décennie 80, un groupe de pays du continent (Maroc, Côte d'Ivoire, Zambie, etc.) se tourne, parfois au moyen de négociations difficiles et conflictuelles (Soudan, Madagascar, Tanzanie, etc.), vers l'assistance conditionnelle du FMI ; en 1985-86, un second groupe (Nigeria, Tunisie, etc.), victime également d'un « étranglement extérieur », sollicite, à son tour, le soutien du FMI. D'autres pays, produisant du pétrole, affectés en 1982-86, c'est-à-dire plus tardivement, par la détérioration de leurs prix à l'exportation, font face à la contrainte externe en usant volontairement de variables d'ajustement (socialement coûteuses également) que sont la compression de la dépense publique et des importations. Algérie et Libye, où l'Etat domine l'économie, sont d'excellents exemples de telles actions d'adaptation, d'ajustement.
Cette autodéfense reste pathétique dans l'ensemble. Les deux derniers Etats débiteurs (Algérie et Egypte) et hostiles à la conditionnalité des institutions financières internationales, finissent par se plier à la thérapie du FMI et de la Banque Mondiale. Les quelques tentatives d'ajourner l'ajustement (qui avortent toutes) s'expliquent par le fait que celui-ci, signe d'échec, aliène quelque peu la souveraineté nationale et repose, essentiellement, sur une compression, parfois dramatique de la demande solvable et du niveau de vie (qui n'est pas sans risque de violence sociale ou de déstabilisation politique) ; Tunis et Casablanca vivent des émeutes de la faim. Depuis la levée, en 2003-04, de l'embargo international l'ayant sanctionnée pour des raisons politiques, la Libye, où la contribution du secteur privé à l'investissement global est encore négligeable (3%), emprunte délibérément le chemin de l'économie de marché et de la désétatisation du système productif (élargissement de son programme de privatisation, ouverture de son marché bancaire aux établissements étrangers, etc.); dans ce mouvement, elle invite même, le FMI à lui suggérer une stratégie économique à moyen terme. De son côté, le Nigeria qui, il y a deux décennies avait des rapports tendus avec le FMI, est, fin 2005, le premier pays à adhérer à la «policy support instrument », nouvel arrangement biennal autorisant le FMI à assister un pays-membre, sur sa demande, à formuler une politique économique appropriée, sans apports de fonds. Ainsi, les organismes financiers internationaux, et spécialement le FMI, sont devenus durablement des partenaires incontournables de l'ensemble du continent où ils sèment les règles de « l'orthodoxie » libérale.
Au-delà du FMI, l'appui de la communauté financière internationale, à l'Afrique est conditionné par le ralliement de cette dernière à la libéralisation économique (voire politique). Car, aux yeux des bailleurs de fonds, la cause majeure de la crise financière, externe et interne, de l'Afrique réside dans sa mauvaise gouvernance, synonyme de son interventionnisme et de son exclusion, plus ou moins sévère, selon les pays, de l'initiative privée et des règles de la concurrence au profit de l'économie étatique monopoliste. En acceptant de réviser cette gouvernance, suivant les recommandations des institutions financières de Bretton Woods, il était « promis» aux économies africaines le retour de la croissance économique et le rétablissement, à moyen terme, de la solvabilité externe (avec une possible diversification de la structure des exportations).
En fait, l'inaptitude de l'Afrique à honorer son passif amplifie son immersion dans une économie mondiale qui s'est transformée, de façon prodigieuse, depuis le recours, en 1973, des Etats-Unis au flottement du cours du dollar, l'effondrement du camp soviétique, l'obsolescence du non-alignement entre les deux blocs, la fin du mythe du nouvel ordre économique international et l'extension de l'audience et des compétences du GATT, transformé, en 1994, en Organisation Mondiale du Commerce. C'est dans ces circonstances que se forge la notion de bonne gouvernance et que la corruption jusque là, tolérée, y compris par des systèmes fiscaux permissifs, est combattue ; les droits de l'homme et la démocratie reprennent leurs titres de noblesse. Cette mutation du monde (associée à la conviction que l'aide financière déversée sur le Tiers-Monde, plus de 2.000 milliards de dollars, en 1950-93, est pure perte) ébranle les doctrines politiques et économiques socialistes, fait voler en éclats les illusions du « tiers-mondisme » et réduit pratiquement à néant toute réflexion spécifique sur le développement. Aujourd'hui, l'idéologie dominante est celle du néo-libéralisme, de l'individualisme où la compétition économique (et politique) puise sa justification. Mais quoiqu'en disent les néo-libéraux, la stratégie de développement ne peut être réduite à la gestion orthodoxe, bâtie sur les équilibres monétaires et budgétaires et la loi du marché. La seule concession (qui n'est est pas une) des néo-libéraux est d'admettre, début des années 80, que les programmes traditionnels du FMI, dits de « stabilisation économique », ont, au travers de leur forte compression de la demande locale, un coût humain et doivent être complétés par des actions « structurelles » orientées vers la stimulation de l'investissement et de la production et donc, de l'emploi. L'Afrique est, de ce fait, orpheline d'une pensée susceptible de guider son progrès économique et social.
Les interférences du couple FMI-Banque Mondiale dans les économies africaines y provoquent, avec une intensité variable, une restructuration des activités, une désindustrialisation appauvrissante basée sur :
– la déréglementation du marché intérieur (comme l'abandon des prix administrés) ; le Bénin, par exemple, démantèle graduellement le monopole public sur sa filière coton tout en privatisant les usines d'égrenage ; le système de régulation cotonnière, en se dégradant pousse les paysans vers d'autres cultures ;
– la dérégulation des échanges extérieurs (démantèlement des contrôles quantitatifs et allégement des droits de douane) ; après une élimination des monopoles publics d'importation, en 1991, et un retour à des contrôles quantitatifs, en 1993, l'Algérie décide , une année après, de libérer brutalement le commerce d'importation, lors de la conclusion avec le FMI du troisième accord de confirmation;
– l'allégement (comme au Maghreb) ou la suppression (à l'instar de l'Egypte) des contrôles de change et l'assouplissement du taux de change ; la Mauritanie déprécie, de façon dirigée, l'ouguiya alors que l'Egypte s'oriente, en 2003, vers le flottement de sa monnaie couplé ultérieurement à l'abolition de l'obligation de cession des recettes d'exportation à la banque centrale;
– la lutte contre le déficit des finances publiques par l'alourdissement de la pression fiscale et la diminution de la dépense ; cette diminution affecte, fréquemment, les dépenses redistributives (qui tissent pourtant les solidarités sociales);
– une politique restrictive de la monnaie et du crédit; l'Etat cesse d'être un consommateur vorace d'avances de la banque centrale ; quant au secteur productif, il enregistre un renchérissement voire même un rationnement du crédit bancaire, comme en Algérie, en 1991-92 ;
– un blocage des salaires pour mieux maîtriser l'inflation par les coûts ;
– et la mise en place d'un «filet social », en faveur des groupes sociaux vulnérables, quand la volonté politique et les moyens financiers existent.
Parallèlement à cette nouvelle politique macroéconomique, homogène et convergente, des réformes structurelles sont opérées: soumission des entreprises d'Etat au risque de faillite, sortie du marché de certaines firmes publiques par le biais des dissolutions et pour les autres, élaboration d'un programme de privatisation, révision du système d'imposition et des règles du contentieux fiscal, ouverture du marché à l'investissement direct étranger, promotion d'un secteur privé local, adoption d'un dispositif à même d'ancrer les règles de la concurrence et d'éliminer les monopoles, flexibilisation du code du travail, réforme fiscale et douanière, promulgation de textes légaux relatifs au développement durable, etc. L'ensemble de ces actions a pour finalité l'instauration d'un climat d'affaires propice à investissement productif privé, domestique et étranger.
La privatisation du système productif, assise sur la garantie du droit de propriété privée, est imposée par la Banque Mondiale et forme, à ses yeux, le garde-fou de l'économie de marché et un facteur déterminant de l'efficacité et de la compétitivité. C'est ainsi que la Banque Africaine de Développement écrit, dans son rapport 2004, que la plupart des pays du continent voient leur gouvernance progresser puisque dans leurs choix stratégiques, il y a la reconnaissance du « rôle pivot du secteur privé dans la croissance économique », sans s'interroger sur la nature effective de ce secteur privé, ses pratiques et ses mobiles.
Ces transformations systémiques, présentées comme une « fatalité historique », sont le produit d'un procès sans appel fait, au nom des vertus, plus ou moins, supposées du marché, à l'Etat interventionniste. Ceci étant, de telles transformations (dont profite l'Ile Maurice qui passe du statut d'économie mono-exportatrice de sucre à celui de vaste zone franche industrielle) ambitionnent d'injecter, en Afrique, des règles de gestion macro et microéconomiques qui sont celles de l'économie capitaliste libérale et constituent les éléments d'une bonne gouvernance (comme la comprend le marché financier international). Mais l'intériorisation de telles règles requiert un contexte politique approprié. Au plan politique, le triomphe des valeurs libérales portées par l'Occident et la propension de celui-ci à les dicter (spécialement aux pays qui sollicitent son assistance) et l'émergence de nouvelles élites, économiques et intellectuelles, incitent la plupart des régimes africains à valoriser davantage, de façon plus ou moins convaincante, la démocratie, à adopter le multipartisme et à faire du système électoral concurrentiel la source du pouvoir.
Cette position s'inscrit dans le sillage de la bonne gouvernance telle que retenue par la Banque Mondiale : choix par le peuple de ses dirigeants (eux-mêmes soumis à contrôle), séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, exercice des libertés de conscience et d'expression, présence de médias autonomes, préservation de la stabilité politique et exclusion de la violence politique, promotion d'une capacité à formuler des politiques performantes, à offrir des services publics de base à travers une fonction publique compétente et indépendante des pressions politiques, adoption d'une législation et d'une réglementation adaptées à un fonctionnement transparent et loyal du marché.
Abstraction faite de l'Afrique du sud (qui renonce à son régime ségrégationniste de l'apartheid), plus de 40 pays du continent organisent, depuis 1994, des élections présidentielles et parlementaires multipartites. Le droit des peuples à choisir librement leurs dirigeants (comme au Bénin, en Mauritanie) et le respect des droits civiques sont plus largement consacrés ; en effet, dans le préambule de l'acte constitutif de l'Union africaine, signé en 2001 à Lomé, 27 chefs d'Etat expriment leur résolution «à protéger les droits de l'homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques et à promouvoir la bonne gouvernance et l'Etat de droit ».
Cependant, cette évolution politique, faisant suite à une conversion à l'orthodoxie économique est, en Afrique, loin d'avoir les effets escomptés sur le développement; contrairement aux thèses des néo-libéraux, les politiques d'ajustement structurel, redoutables dans la maîtrise de l'inflation, ne sont pas, par nature, suffisantes à stimuler le développement. La restauration des équilibres financiers internes, au moins, est allée de pair avec le déclin de l'industrie et la paupérisation des masses, comme le révèle le cas de l'Algérie.
Pour le continent, la dernière décennie est, globalement moins morose, en raison d'une amélioration des prix à l'exportation; les économies nord-africaines, à l'exception de l'Algérie, pliant alors sous le poids du service de la dette extérieure, sont alors les plus performantes. Depuis le début du présent siècle, l'inflation est à son niveau plancher (en dépit du renchérissement de l'énergie) : exception faite du Zimbabwe (où la récession cohabite avec une pénurie de devises) et de l'Angola, le taux moyen de l'inflation recule de 18% à 7% en 2000-06, en Afrique sub-saharienne. La croissance, bien que non synonyme de recul de la pauvreté, y est plus ferme grâce à la reprise de l'output agricole en Afrique de l'est (après des années de sécheresse), à la hausse des prix des produits de base sur les marchés extérieurs et à la découverte de nouveaux gisements pétrolifères (Angola, Guinée équatoriale, etc.) ; de 3,5% en 1997-2001, le taux de croissance se relève à 5,2% en 2004-06 tandis qu'un taux supérieur à 6% est attendu, en 2007. En Algérie, où il y a une nette relance de l'équipement public, une bonne pluviométrie et une extension du secteur des hydrocarbures, le mouvement du produit global redevient ascendant, ces dernières années ; « l'explosion » de ses recettes extérieures sur hydrocarbures autorise même, en 2006, l'allègement par anticipation du boulet de sa dette rééchelonnée. Le Maroc, à croissance instable, affiche, en 2006, un redressement dû à une récolte record de blé et à une expansion des services et du bâtiment ; pour la sixième année consécutive, son compte courant est positif grâce au tourisme et aux transferts des émigrés (s'élevant bon an, mal an à 1,5 – 3,5 milliards de dollars) ; ses réserves de change, bien qu'atteignant 20 milliards de dollars en 2005 restent inférieures à la dette étrangère (24,6 milliards de dollars). Néanmoins, le royaume chérifien persiste dans son déficit budgétaire structurel qu'il envisage de réduire en comprimant, au risque d'aggraver la fracture sociale, ses subventions aux prix des produits énergétiques et des biens alimentaires. Mais la situation globale du continent n'est pas aussi « idyllique». L'Afrique du sud, moteur -par ses investissements et la taille de son marché- du développement dans la région australe, ne croît qu'au rythme de 3% ; de plus, elle continue à traîner les graves inégalités de richesse et de revenu de la période de l'apartheid. L'Angola, en s'adonnant à une politique monétaire expansionniste, souffre d'une inflation galopante, entraînant une forte dépréciation du taux de change et une dollarisation de l'économie. Quant à l'Egypte, nonobstant son redressement récent, avec son déficit budgétaire et sa dette publique (respectivement, 9% et 70% du produit global) et son taux d'inflation à deux chiffres (16%, en 2005), a tendance à souffrir d'un marasme économique et d'une expansion du chômage.
Au plan extérieur, l'Afrique sub-saharienne ne parvient pas à s'extraire de son surendettement, ni à s'éloigner durablement des risques nouveaux de défaut de payement. Après avoir éclaté, en 2002, en deux régions hostiles (nord et sud), qui font fuir certains investisseurs étrangers, la Côte d'Ivoire accumule des impayés la privant de l'aide extérieure. Le Nigeria a du rééchelonner son passif, en 2000 ; son ratio dette/produit global est de 63,2% ; ce fardeau est de 72,4% et 78,3%, respectivement, au Togo et au Niger ; il avoisine 800% au Liberia qui sort d'une guerre civile de quatorze années. Malgré son taux de profitabilité compétitif, l'Afrique est boudée par l'investissement direct international que n'attirent que le secteur minier (pétrole du Soudan, bauxite de Guinée, etc.) et quelques « îlots » de croissance et de solvabilité (comme l'Afrique du sud et maintenant, l'Algérie). Fin des années 90, le FMI met au point la « Facilité pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté » (FCRP) en remplacement de «l'ajustement structurel renforcé » et « l'Initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés » (IPPTE) qui intéressent éminemment notre continent; à fin juin 2006, sur 30 pays bénéficiant de la FCRP, 18 sont africains (Ghana, Mali, Bénin, Zambie, Sierra Leone, etc.). Ces deux mécanismes (FCRP et IPPTE) consistent à accompagner le temps qu'il faut, par des actions d'ajustement triennales, « revolving », les pays à faible revenu très endettés jusqu'à ce que leur balance des payements devienne viable, y compris par l'effacement de créances étrangères. Dans la pratique, le déploiement de ce programme n'est pas sans difficultés ; ainsi, en 2003, le Tchad adopte, dans le cadre d'une FCRP, un « Document Stratégique pour la Réduction de la Pauvreté », couplé à des rapports d'étapes et à une « stratégie nationale pour la bonne gouvernance » ; mais les faibles capacités institutionnelles du pays entravent la mise en œuvre de ce dispositif. En 2005, le G8 fait un pas en avant en incitant des institutions financières multilatérales (comme le FMI) à effacer leurs créances (jusqu'ici remboursables, quelles que soient les circonstances) sur les pays pauvres, ayant atteint le point d'achèvement de la réduction de la dette au titre de l'IPPTE, c'est-à-dire la restauration de leur solvabilité, la « soutenabilité » de leur dette extérieure.
Etant parvenu à un tel point, en 2006, le Cameroun, obtient l'annulation de plus d'un milliard de dollars, comme fruit de cette décision du G 8. Les ressources, libérées par l'allégement de la dette, alimentent un compte spécial, le fonds des « pays pauvres très endettés », destiné à la lutte contre la pauvreté, sous la supervision d'un comité composé de représentants de l'administration, de la société civile et de créanciers étrangers. La nouveauté de ces programmes réside dans l'allégement de la conditionnalité et la démocratisation de leur élaboration : ils sont supposés être, non plus le fruit exclusif de la pensée hégémonique du FMI mais celui de l'Etat débiteur et de sa société civile ; cette inflexion, inspirée du risque politico- social véhiculé par ces programmes, est toute relative puisque ces derniers sont tenus d'observer, quelques principes irréductibles de l'orthodoxie libérale (comme la recherche ou le maintien de l'équilibre budgétaire). En participant à la conception du « Document Stratégique pour la Réduction de la Pauvreté », la société civile apporte sa caution à l'ajustement structurel et amenuise les risques de réaction sociale brutale, la dissuade ; son rôle, comme celui de la presse locale, est alors crucial, tant pour les gouvernants que pour les institutions financières internationales. En 2001, à Monterrey, la Grande Bretagne et d'autres donateurs estiment que cette nouvelle démarche de la communauté financière internationale, où le pays pauvre débiteur définit ses priorités dans la lutte contre la pauvreté, augmente l'efficacité de l'aide ; en réalité, si elle permet à certains pays pauvres de desserrer leur étranglement extérieur, elle n'est pas toujours compatible avec leurs intérêts : la Zambie privatise, sous le regard du FMI, l'exploitation de ses mines de cuivre en consentant aux concessionnaires une forte exemption fiscale, pendant 25 ans, le temps peut-être d'écrémer et d'épuiser ces mines.
La même année, H.Kohler, alors Directeur Général du FMI, adhère à l'idée que la stabilité et la croissance ne suffisent pas à faire reculer la pauvreté ; il souhaite que les pauvres participent à la conception du programme économique afin qu'ils puissent améliorer ou protéger leurs moyens d'existence; cette position est peu éloignée de celle de la Commission des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU qui préconise de mieux intégrer les droits de l'homme dans les stratégies de développement. Parmi ces droits, l'équité est essentielle comme l'établit, avec acuité, l'exemple de l'Afrique du sud où prévaut un dualisme social frappant: il n'y a aucune commune mesure entre le niveau de vie moyen des « blancs » et celui des « gens de couleur »; elle est classée dans le groupe des pays à revenu intermédiaire alors que la majorité de sa population possède un niveau de vie comparable à celui du Zimbabwe ou du Botswana. Eponger une telle inégalité, c'est corriger les atteintes aux droits de l'homme longtemps commises, dans ce pays, au nom de la politique raciale.
C'est l'instant, où sous les auspices du G8, est lancé le New Economic Partnership for African Development (NEPAD) pour modifier substantiellement les relations entre les donateurs étrangers et les bénéficiaires africains de l'aide, ces derniers désirant substituer le partenariat à l'aide liée et éloigner le «syndrome du chômeur de longue durée » (selon l'expression d'un premier ministre éthiopien, Meles Zerawi). Car l'Afrique reste dépendante de ses partenaires au développement, y compris pour combattre la grande corruption, fléau, essentiellement, transnational. C'est autour du NEPAD, que devrait se construire une nouvelle vision de l'Afrique fondée sur la liberté, la démocratie et l'Etat de droit (c'est-à-dire sur les valeurs promues par les donateurs, les «partenaires au développement de l'Afrique » et qui constituent l'armature idéologique historique de leurs propres régimes politiques). Ainsi est établie l'interaction du politique et de l'économique, si longtemps occultée par les libéraux au motif que le marché serait neutre, apolitique.
Dans ce sillage, est introduit, en 2003, un mécanisme africain « d'évaluation de la gouvernance par les pairs », traduisant l'engagement volontaire des Etats adhérents à observer « des normes minimales » de gouvernance politique et économique ; ce mécanisme est appelé à permettre une appréciation franche de la situation prévalant dans les pays adhérents et consolider la paix, la sécurité, la démocratie et, par conséquent, la bonne gouvernance. Bien qu'il soit trop tôt pour l'évaluer, des voix commencent à s'élever au niveau de l'OCDE, comme sur notre continent, pour dire que le NEPAD n'a pas apporté la dynamique de changement attendue.
Malgré sa rupture systémique et son insertion dans le cours historique de la mondialisation, l'Afrique ne bénéficie pas des fruits de celle-ci et continue à afficher un taux de mortalité élevé (175, 145 et 138 pour mille habitants respectivement au Sierra Leone, au Liberia et en Angola), une espérance de vie peu enviable (46-47 ans en Afrique du sud et au Tchad, par exemple) ; dans certains cas, cette espérance régresse même : elle passe de 56 à 37 ans, au Botswana de 1970-75 à 2006. Le taux de scolarisation primaire, toujours faible, progresse lentement (35% au Niger, 44% au Burkina Faso, 59% au Soudan et en Erythrée) alors que l'investissement humain contribue à terme à la construction démocratique en préparant les citoyens à comprendre les problèmes de leur société et à mieux apprécier les actions de leurs dirigeants. Ce continent, qui recèle encore nombre de conflits (Soudan, Tchad, Somalie, etc..), regroupe la majorité des pays pauvres de la planète. Près de 28% des africains souffrent de la faim ; la plupart d'entre eux ont un revenu quotidien inférieur à un dollar et sont exposés à de nombreuses et graves maladies.
Ainsi, exception faite du nord de l'Afrique (hors Maroc), l'indice de développement humain, prévalent sur le continent, est dérisoire, est largement inférieur à 1. La situation la plus inquiétante est, abstraction faite du Soudan, est celle des pays du Sahel et de la République démocratique du Congo, comme l'établissent les données du PNUD.
En dehors de l'Afrique du nord et de l'Ile Maurice, les chances de diminuer de moitié la pauvreté, sur le continent, à l'horizon 2015 (fixé par les Nations Unies) sont minces, malgré une hausse sensible de l'aide financière étrangère. Ce diagnostic est confirmé par le rapport d'étape sur les Objectifs du Nouveau Millénaire, rédigé par le FMI et la Banque Mondiale, en 2004. H.Kohler abonde dans le même sens et soutient que la mondialisation, tout en véhiculant des progrès pour une grande partie de l'humanité, «a fait trop de laissés pour compte, en particulier l'Afrique subsaharienne, dans presque sa totalité ». Ceci explique que le PNUD, dans son rapport 2006, n'hésite pas à souligner que « les enthousiastes, qui mettent l'accent sur les aspects positifs de la mondialisation, se laissent parfois emporter ».
Comment expliquer cette extension de la pauvreté en Afrique ? Les facteurs d'antan sont encore en action. Il y a, d'un côté, les aléas naturels et, d'un autre côté, la volatilité des prix à l'exportation des produits de base ; les répercussions de cette volatilité sont amplifiées pour les produits primaires par les subventions des pays industrialisés à leurs biens agricoles (cas du coton qui intéresse le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, le Bénin, etc.) et pour les produits non traditionnels par le protectionnisme non tarifaire du nord, la concurrence des continents-Etats (que sont la Chine et l'Inde) et le mouvement des changes (quand le cours de la monnaie locale est lié à celui d'une monnaie forte, à l'instar de l'euro ou du rand sud-africain).
Au plan endogène, l'exiguïté des marchés nationaux africains, y compris ceux des pays à revenu intermédiaire, est restée un facteur historique de freinage du développement; l'Afrique du Sud exclue, le marché de l'Afrique subsaharienne ne dépasse pas celui de l'Australie ; quant à la taille du marché sud-africain, elle équivaut à peine à celle de l'Autriche. Cette dimension est un désavantage compétitif qui restreint le champ des investissements rentables possibles. En dépit de l'existence d'une trentaine d'accords commerciaux de libre commerce, source de superpositions et de confusions, les échanges interafricains sont modestes (10% du commerce global). Alors que l'Union africaine aspire à construire une «auto dépendance collective », ces accords sont loin d'être des vecteurs de relèvement de la productivité et de la compétitivité ou de traduire des espaces véritables de coordination des politiques économiques nationales, de défense des intérêts communs et de préparation à une intégration harmonieuse au processus de globalisation. L'exemple du Maghreb est significatif, à cet égard ; l'Algérie, la Tunisie et le Maroc concluent séparément, entre 1995 et 2002, un accord de libre échange avec l'Union européenne, amoindrissant leur capacité de négociation. Mais au-delà des barrières à l'échange interafricain, aux niveaux de la réglementation, des politiques de change, de l'indisponibilité des moyens de transport, du manque de routes et de la mauvaise qualité de celles qui existent (10% sont bitumées contre 30% dans les autres pays en développement), les vraies questions sont celles-ci : de quelles complémentarités peuvent se prévaloir les économies africaines pour stimuler ou organiser l'échange entre elles ?
En l'absence d'investissements directs étrangers, massifs et diversifiés, de quelle «technical building capacity » disposent-elles pour innover et/ou produire des biens compétitifs à destination du marché africain ou du reste du monde, dès lors que la compétitivité (nourrissant la prospérité du commerce international) prend sa source dans l'économie de la connaissance ?
Quant à la mauvaise gouvernance politique, elle est encore courante. Tout d'abord, la tentation autoritariste voire la personnalisation du pouvoir sont, couramment, des tentations irrésistibles. Les réformes politiques sont fréquemment décoratives ; même si les guerres civiles sont plus rares (depuis la fin des grands conflits d'Angola, du Mozambique, de Guinée Bissau, de la Sierra Leone, du Liberia et du sud Soudan), les antagonismes régionaux, ethniques , etc. sont loin d'être révolus. Certains Etats supportent mal le choc de la libéralisation politique (parfois dictée de l'étranger). Dans plusieurs pays, le risque de déstabilisation ou d'implosion, induit par l'ouverture politique, se traduit par une réaction, une « crispation » autoritaire, favorisant la mal gouvernance alors que la gouvernance politique de qualité est un préalable à la bonne gouvernance économique. Le nombre de partis (140 en Afrique du sud, 91 au Mali, 79 en Ethiopie, 71 au Tchad, 17 au Maroc, au Nigeria et au Botswana, etc.) n'est pas toujours synonyme d'émergence de contre-pouvoirs ou de pratiques électorales crédibles; le multipartisme ne garantit donc pas la légitimité de la direction politique, les partis étant fragiles, sans ressources financières et reposant sur quelques personnalités quand ils sont indépendants du pouvoir en place. Des institutions politiques décisives se prévalent, en Egypte, au Sénégal, etc., d'une légitimité populaire et démocratique alors qu'elles sont élues avec des taux d'abstention supérieurs à 50% voire au moyen de manœuvres frauduleuses. De telles manœuvres associées à l'atteinte aux droits de l'homme excluent le Togo de l'accès à des emprunts concessionnels. En 2004, les Etats du continent ont des indices de liberté économique médiocres ; le mieux classé d'entre eux est le Botswana (39e rang), les deux derniers étant le Zimbabwe et la Libye (154e place).
Dans le domaine économique, l'Afrique, qui pense que la mondialisation entraîne automatiquement plus d'investissement direct étranger, de transfert de technologie et une plus grande pénétration des marchés extérieurs, se trompe. En 1994, l'Algérie lève brutalement tout contrôle à l'importation sans préparation préalable ni de l'environnement institutionnel, ni des entreprises existantes, accélérant ainsi la désindustrialisation, amorcée plus tôt. Les réformes ultérieures amplifient la libéralisation du marché au profit d'un secteur privé domestique, de type spéculatif et de quelques firmes étrangères. En dépit de cette ouverture unilatérale, sans contrepartie, l'administration économique est restée telle quelle, sans mise à niveau malgré la disponibilité d'une expertise nationale. Alors que beaucoup de pays (y compris aux Etats-Unis), la PME, facteur essentiel de cohésion sociale est encouragée par des dispositifs lui conférant des avantages exceptionnels, en Algérie, rien ne la distingue légalement des grandes entreprises. De plus, depuis 2005, les microentreprises, éligibles à l'agenda Ansej et ne dégageant qu'un revenu dérisoire, sont tenues de se doter d'un commissaire aux comptes, au motif qu'elles sont constituées sous forme de sociétés à responsabilité limitée ; or les pays (comme la France) ayant soumis ce type de sociétés à une telle règle, y ont associé un seuil minimum de chiffre d'affaires. En matière d'importation, en 2002, deux mesures restrictives sont successivement édictées qui sont abolies, en 2003, par l'ordonnance sur le commerce extérieur ayant restauré la liberté pour tout commerçant d'importer ; en 2005, le législateur efface cette liberté et revient aux dispositions de 2002, ignorant l'ordonnance sur la concurrence. Ces mesures sont, pour la plupart, diluées dans des lois de finances qui sont, de plus en plus, employées à amender le code de commerce, le code pénal, etc. alors que de tels amendements, ne présentant aucune urgence, auraient du donner lieu à des projets de loi séparés pour mieux en organiser transparence et débat. Des entreprises publiques, souvent locales, sont cédées à prix fort à leurs salariés sans que les lourdes dettes bancaires historiques de ces entités ne soient allégées et sans que les repreneurs ne soient autorisés à en ouvrir le capital social à de nouveaux partenaires; cette posture, très éloignée des pratiques des pays développés eux-mêmes, est celle d'une faillite annoncée. Ces quelques exemples tirés de la politique économique algérienne illustrent la nécessité d'éradiquer les mentalités bureaucratiques du passé, d'associer davantage l'expertise locale aux prises de décision et de renforcer les capacités de pilotage d'une véritable économie de marché. En Afrique, il est rare que les formalités administratives soient simples y compris à l'ère du « laisser faire, laisser aller » ; cet excès de formalisme peut s'expliquer par le besoin de conforter l'Etat national ou plus simplement, de remédier aux pressions démographiques en accroissant les sureffectifs de l'administration, le « chômage déguisé », que la situation de l'Egypte illustre bien. Un tel formalisme a un coût apparent pour l'Etat et la société ; il a aussi un coût caché, celui de la corruption qui décourage l'investissement productif et même, la compétitivité. En pratique, la libéralisation économique africaine s'accompagne soit d'un capitalisme débridé faisant de la concurrence, même déloyale, le régulateur du marché, soit d'un «capitalisme de copinage » («crony capitalism ») où des avantages, des passe-droits sont consentis à des éléments du même clan, de la même ethnie, etc., au sein d'un partage de rentes. L'affaiblissement des Etats africains par l'ajustement structurel refoule, par conséquent,le jeu de la libre concurrence, les pratiques commerciales loyales sur le marché. Ce système opaque produit une économie inefficiente où le système bancaire peut être capté, par une minorité d'hommes d'affaires au mépris de la règle prudentielle de diversification des risques, où la privatisation ne s'effectue pas de façon rationnelle et transparente et exprime plutôt une dilapidation ou un accaparement d'actifs collectifs, où la gestion des finances publiques n'est ni équitable, ni performante, etc. Ainsi, s'édifient des économies de rente, des situations, plus ou moins, monopolistiques privées. D'un autre côté, le blocage des traitements et des salaires à un faible niveau (aux fins de parer aux pressions inflationnistes), le renchérissement du coût de la vie (consécutif à l'ajustement structurel) et le creusement des inégalités sociales conduisent à une explosion de la corruption telle que certains fonctionnaires africains confondent, quand ils le peuvent, leur mission de service public avec la gestion d'un fonds de commerce privé.
Contrairement aux attentes, la remise en cause du dirigisme économique et du népotisme politique, la libéralisation économique et le multipartisme ont pour effet non d'endiguer mais de diffuser la corruption; en 2004, la moyenne de l'indice de perception de la corruption dans 36 économies africaines, établi par Transparency International, à partir d'enquêtes de perception auprès des milieux d'affaires et des agences d'évaluation (Freedom House, Banque Mondiale, Economist Intelligence, etc.), n'est que de 2,93 et correspond à une corruption généralisée ; le niveau de corruption est plus élevé dans les pays riches en pétrole (Angola, Nigeria, Soudan, Tchad, etc).
Cet état des lieux révèle, finalement, une subordination de l'intérêt général à l'intérêt privé bien que l'Afrique se soit dotée, à Maputo, en 2003 -parallèlement à la communauté des Nations Unies- d'une Convention continentale de lutte contre la corruption (découlant du plan d'action contre l'impunité, adopté, sept ans auparavant, à Yaoundé). Quand la corruption, pénalisante pour les pauvres (qui se voient exclus de l'accès à certains services) et l'économie (en tant que «taxe « supplémentaire mais illégitime) se généralise, elle réduit amplement les capacités institutionnelles et compromet tout progrès dans la gouvernance et dé-crédibilise le pouvoir ; de surcroît, elle affecte, défavorablement, le développement économique : à titre d'exemple, un marché public surévalué (par la corruption) génère des prestations de basse qualité et la distraction de ressources financières d'autres projets potentiels. Pendant que se produit ce mouvement adverse qui forme, de plus en plus, une des préoccupations centrales des institutions financières internationales, les représentants des pays donateurs, à l'instar de la Grande Bretagne, estiment que dès lors qu'ils rendent compte à leurs électeurs, aux contribuables, il serait juste de requérir des pays bénéficiaires de l'aide qu'ils en fassent de même devant les bailleurs de fonds ; elle vient d'ailleurs de geler son aide à la Sierra Leone à cause de la corruption endémique y sévissant encore (alors que celle-ci a, précédemment, favorisé le déclenchement de la guerre civile). Un surcroît d'aide, à des Etats dont les capacités de gestion et la nature des politiques économiques sont médiocres, est susceptible de se transformer en gaspillage. La responsabilisation, réciproque et transparente, du donateur et du donataire est devenue partie intégrante d'une bonne gouvernance. Afin de renforcer les assises de cette transparence et surveiller l'affectation des recettes externes, tirées des ressources minières, le FMI lance « l'Initiative de Transparence du Secteur des Industries Extractives », obligeant les Etats adhérents (à l'exemple du Cameroun ou du Nigeria) à publier périodiquement les données sur leur production, le volume et le prix de leurs exportations, les ressources tirées de ces ventes et aboutissant au Trésor public, etc.; le FMI insiste, d'ailleurs, pour que les revenus extérieurs exceptionnels soient mis de côté pour parer à l'instabilité du marché mondial. Cette recommandation procède d'une préoccupation ancienne consistant à engranger une épargne budgétaire lors des années de « vache grasse » pour contrer les difficultés des années de « vache maigre ». Pour avoir privilégié les dépenses militaires aux dépens de son engagement à affecter à la lutte contre la pauvreté 70 % de ses recettes du pipeline le reliant au Cameroun, le Tchad s'est vu aliéner l'assistance de la Banque Mondiale dont le président, P. Wolfowitz, en voyage en Afrique, déclare, peu diplomatiquement, en 2005 : «ces dirigeants rapaces du continent noir, corrompus jusqu'au cou et qui détournent les aides à leur profit, ceux-là, il faut leur tordre le cou ». Cette position des donateurs, assimilant la mal gouvernance à la seule corruption et corrélant celle-ci à l'absence de développement économique, est excessive; la mal gouvernance est un phénomène beaucoup plus vaste que la corruption, la présence de cette dernière n'ayant pas empêché une croissance économique rapide, à retombées sociales positives, dans certains contrées d'Asie.
Pour espérer sortir progressivement de sa pauvreté, l'Afrique doit, d'après les organisations internationales, réaliser un taux de croissance soutenu de 7% l'an, au moins. Atteindre un tel objectif signifie, pour notre continent, l'introduction d'une gouvernance politique et économique de qualité, celle-ci impliquant que les dirigeants rendent des comptes à leurs citoyens, agissent de façon responsable, soient à l'écoute de leurs administrés (sans distinction d'aucune nature) et respectent l'Etat de droit.
Ce cheminement seul, donne un sens à l'Etat-nation et lui permet de formuler une vision quasi-consensuelle de l'avenir, une stratégie de développement économique traduisant une certaine cohésion sociale. La bonne gouvernance politique ouvre la voie à une bonne gouvernance économique; toutes deux sont les conditions indispensables à un développement rapide de l'Afrique, comme l'admet le mécanisme du NEPAD. Bien que nécessaires, elles n'en sont cependant pas une condition suffisante. D'autres facteurs, comme la géographie, les ressources humaines, etc. y influent, positivement ou négativement. Par conséquent, il y a lieu de se rappeler que si l'insertion dans le processus de mondialisation peut hisser le niveau de vie moyen des populations (comme l'atteste l'expérience de la Tunisie, depuis 1986), elle ne garantit ni une telle performance, ni que les changements (qu'elle produit) soient toujours favorables.
L'auteur est Ancien ministre


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