Il est des mots comme des nuages qui traversent le vocabulaire et renseignent sur le climat et l'état d'esprit, ou du moins sur l'esprit de l'Etat. Telles des épouses usagées, ces mots ont été largement utilisés jusqu'à les vider de leur sens : le « pacte social » n'indique plus aujourd'hui que la simple collusion entre des groupes d'apparatchiks en jet-ski de fonction, la « paix » ressemble à celle des cimetières et la « réconciliation » à un accord serré conclu entre des seigneurs de guerre. Quant au « pardon », il est surtout là pour que les Algériens pardonnent à leurs dirigeants toutes les dérives successives depuis des décennies. En fait, bien loin des mots, les citoyens sont toujours en colère contre leur mairie et les émeutiers contre leur Etat. Les hommes sont encore en guerre contre les hommes, les boulangers contre les prix et le GSPC contre le reste du monde. Les mots ne collent pas, ils ne renseignent que sur un vague projet et non une réalité. Ce n'est que plus tard, avec le recul, que l'on pourra juger, comme on peut a posteriori retracer l'histoire du pays par des mots. Du « hamdoullah » de l'indépendance, repris en chœur par tous les Algériens, El Anka compris, de la période « makach », tube 4 saisons du socialisme où la pénurie faisait office de projet de société jusqu'au « houl » installé par Chadli et l'époque « normal » pour caractériser justement tout ce qui n'est pas normal, les voitures piégées ou les mutilations d'enfants et de femmes. Aujourd'hui, si les termes « tchipa » ou « chriki » indiquent bien la nouvelle orientation des Algériens vers une société d'argent, même si en haut lieu on préfère parler de réformes ou de privatisations, quel terme va caractériser plus tard l'époque actuelle, étrange mixage entre une république islamique, une monarchie constitutionnelle et une démocratie policière ?