Après une grève de 21 jours, les syndicats autonomes du secteur de l'éducation s'apprêtent à mener un nouveau débrayage. Dans ce cas, est-il possible de rattraper les cours et de sauver l'année scolaire ? Il y a des mouvements revendicatifs récurrents dans le secteur de l'éducation qui prennent des formes radicales. Cela exprime un sentiment de désarroi profond auquel, à mon avis, les pouvoirs publics sont en train de tourner le dos. Ce n'est pas bon à la fois pour l'avenir de l'école, des élèves et celui de la corporation des enseignants. Ensuite, avec tous les mouvements de grève organisés par le passé et ceux à venir, il y a une accumulation d'environ deux mois de décalage dans l'avancement des programmes. Cela correspond à près de 10 semaines de retard. Ainsi, pédagogiquement parlant, 10 semaines de retard, quel que soit le secteur, sont irrattrapables. Je vous cite l'exemple de l'université où, quoique les programmes soient moins chargés que dans le secteur de l'éducation, on trouve des difficultés pour dispenser tous les cours. A l'école, avec autant de retard et un volume horaire affolant pour les enseignants, il est quasiment impossible de terminer les programmes. En plus, il faut savoir que les rattrapages pédagogiques sont une pédagogie par le stress. Donc, dans ce genre de situation, l'assimilation est encore plus difficile avec une plus grande tension chez les enseignants. Il est vrai qu'il y a toujours un moyen de rattraper en essayant de jouer sur les échéanciers des examens, les vacances, etc., mais on ne peut pas rattraper quand la motivation des enseignants est au plus bas. Je pense que le point de départ ne consiste pas dans le fait d'adresser une lettre ouverte bien écrite aux syndicats pour ne rien dire dans le fond ; c'est surtout de réunir les gens et de prendre sur place des engagements fermes, au lieu de mettre en place des commissions qui se réunissent et qui ne décident rien. En conclusion, la démarche du ministère a fait qu'on est arrivé à la situation suivante : d'abord les enseignants sont démotivés et dégoûtés parce qu'ils ont l'impression de s'être fait avoir par le ministère qui a promis de régler leurs problèmes en mettant en place des commissions ; ensuite ce type de situation casse aussi la crédibilité des syndicats qui s'accrochent aux promesses du ministère et qui n'auront rien en fin de compte. Tout cela se répercute sur l'enseignement, sur les élèves et sur les résultats des examens. Y a-t-il un risque d'aller vers une année blanche ? Bien sûr. Les grèves annoncées pour cette semaine et la semaine prochaine vont installer le secteur de l'éducation dans une tourmente sociale très sérieuse. De mon point de vue, c'est la première fois que la détermination des enseignants et des syndicats est aussi forte. Cette détermination s'observe sur le terrain, d'autant que les enseignants ne croient plus aux fausses promesses et ils ne se nourrissent plus d'illusions. L'année blanche concernera d'abord les candidats au bac, puis le reste des élèves. Parce qu'il ne faut pas oublier que nous sommes dans une situation de réforme mal configurée, mal appliquée et en plus elle est sujette à des réajustements qui défigurent aussi bien la réforme que le profil de l'élève. Justement, en parlant de réforme, pensez-vous qu'il est possible de réaliser des résultats et de la mener à bien dans ce contexte jalonné par des problèmes multiformes ? Je considère que la réforme a été très mal faite. Parce qu'elle a été élaborée d'une manière bureaucratique et administrative. De plus, les mesures prises au nom de la réforme sont totalement différentes par rapport au contenu de la réforme adoptée par la commission nationale. En troisième lieu, une réforme ne marche pas s'il n'y a pas une concertation sérieuse avec tous les représentants de la société et tous les acteurs du secteur de l'éducation nationale. Elle doit être discutée pédagogiquement et expliquée avant de prendre les premières décisions pour son application. Sur ce plan-là, je pense que c'est un ratage total. Sur le plan pédagogique, l'enseignant dispose-t-il de moyens qui lui permettent de fournir un meilleur rendement ? L'enseignant algérien d'aujourd'hui, qu'il soit à l'université ou dans le secteur de l'éducation, est différent de celui des années 1970 qui n'avait besoin que d'un bouquin, d'un stylo et de cahiers livrés par la tutelle. Aujourd'hui, je rappelle que 50% du savoir est en dehors des circuits éducatifs classiques. Parce qu'il y a Internet où l'on peut travailler sa pédagogie, préparer ses cours et s'approprier de nouvelles méthodes pédagogiques, comme l'approche par compétences qui n'a pas été expliquée et discutée par les enseignants. Globalement, il y a des conditions objectives pour que l'enseignant soit en phase avec les exigences de la connaissance d'aujourd'hui.