Après une première hausse des prix du carburant, du transport, des produits alimentaires de large consommation mais aussi de l'énergie suite à l'adoption de la loi de finances 2016, les Algériens devraient avoir droit à d'autres augmentations prochainement. Si plusieurs secteurs ont déjà été touchés par des hausses sensibles, il semblerait qu'ils ne seront pas épargnés pour autant. En effet, il se pourrait que le carburant et l'électricité soient à nouveau touchés par la hausse. De nombreux secteurs devraient être concernés, notamment les produits de luxe, l'immobilier, l'électroménager ou encore le tabac. Cependant, hormis quelques indiscrétions publiées par la presse sur de nouvelles taxes, on sait encore très peu de chose sur le texte préparé par le ministère des Finances. A cet effet, l'expert financier Lies Kerrar précise : «Il n'y a pas de document officiel ou de projet de loi de finances que j'ai consulté.» Pour autant, les bribes d'informations rapportées dans la presse laissent déjà craindre le pire pour le pouvoir d'achat. Hausse de la taxe sur la valeur ajoutée La TVA devrait passer de 17% à 19% pour le taux plein et de 7% à 9% pour le taux réduit. Lies Kerrar explique cette augmentation : «L'effet de l'augmentation de TVA sera un renchérissement pour le consommateur final des biens et services.» Selon lui, en économie, il y a un lien direct entre l'inflation et l'augmentation des taxes à la consommation, dont la TVA. Combiné à d'éventuelles dépréciations du dinar, cela mettrait en place des pressions inflationnistes déjà présentes d'ailleurs. Il confie : «La conjoncture implique, dans tous les cas, des pressions inflationnistes. Ce qui est important, c'est une gestion économique experte et très fine pour éviter l'emballement incontrôlable de l'inflation et limiter ses effets. En termes de ressources supplémentaires pour l'Etat, cela représenterait entre 400 et 900 millions de dollars.» Et selon l'expert, cela est peu. Il explique : «Cette mesure n'est pas combinée avec une stratégie de formalisation des secteurs de la distribution. Si on associait cela à la suppression de la TAP et à une stratégie déterminée de formalisation de l'économie (notamment les circuits de distribution), ce sont des ressources supplémentaires en TVA de 4 à 7 milliards de dollars que l'on pourrait aller chercher à court terme. Et ces ressources croitraient chaque année.» De son côté, Kouider Boutaleb, professeur à l'université de Tlemcen rappelle : «L'Algérie a déjà un taux de TVA relativement haut, l'un des plus élevés du pourtour méditerranéen.» Ainsi, selon lui, ce relèvement à une double conséquence : «Le renchérissement des prix entraîne une baisse du pouvoir d'achat et conséquemment une baisse de la consommation. Cette dernière ne sera pas sans effet sur les entreprises qui face à un marché déprimé réduiraient le volume de leur production (et de leur investissement) et conséquemment la création d'emplois.» Et de proposer : «Il aurait fallu, nous semble-t-il, différencier ce relèvement de la TVA pour ne pas toucher les biens de large consommation, ce qui aurait été plus judicieux.» Hausse de la taxe intérieure sur la consommation Déjà augmentée en 2016, la TIC concerne notamment les véhicules de grosse cylindrée, les fruits exotiques, le saumon et le caviar. Selon Lies Kerrar, cette taxe a ses avantages. Il explique : «La TIC sur les produits de luxe a comme avantage d'apparaître comme juste et équitable car elle fait payer plus les gens aisés. C'est une bonne mesure car elle fait participer les plus aisés à l'effort, mais il ne faut pas se faire d'illusions sur son impact budgétaire ou sur notre balance des paiements.» En effet, ce dernier reste perplexe quant à la nécessité de cette taxe. Il confie : «Cette taxe ne constitue pas un apport important en termes de réduction des importations ni en termes de ressources pour l'Etat. Les consommateurs aisés ne sont pas très sensibles aux prix et cela ne diminuera pas de beaucoup les importations de produits de luxe. Ceux qui mangent du caviar n'en mangeront pas beaucoup moins s'il coûte deux fois plus cher. Par ailleurs, les montants en questions sont très faibles et cette taxe n'apportera pas beaucoup de ressources additionnelles au Trésor.» A cet effet, l'expert propose : «Ce qui aurait plus d'effet sur notre économie, ce serait de taxer fortement les produits importés lorsque de la production locale existe. Et c'est sur les produits de large consommation que cela peut avoir un impact. Les produits de luxe ne représentent pas des tailles de marché suffisantes pour que de la production locale soit initiée.» De son côté, le professeur Kouidri défend une autre vision : «La hausse de la TIC telle qu'elle est entendue, touchant les produits de luxe, est légitime. En période de crise budgétaire, on ne pioche pas dans les poches des pauvres mais dans celles des riches (concernés par la consommation des produits de luxe) et la marge de manœuvre sur ce plan est assez large pour augmenter les recettes de l'Etat.» Le tabac coûtera plus cher Le tabac ne sera pas en reste. En effet, la TIC sur les tabacs sera relevée. Elle concernera la partie fixe de la taxe, avec une augmentation de près de 100% pour les tabacs blancs et de 60% pour les tabacs bruns. La cigarette est «très peu taxée en Algérie», souligne Lies Kerrar. «Cette augmentation est demandée depuis des années. Par ailleurs, les prix bas des cigarettes en Algérie ont fait que les cigarettes algériennes sont vendues en contrebande dans les pays voisins et en Europe. Or, nous importons une bonne partie du tabac que nous consommons ou qui est vendu en contrebande : 344 millions de dollars en 2014 selon les données extraites de la base de données de Comtrade.» En outre, l'expert insiste sur l'importance de cette taxe sur le plan santé : «Au delà des ressources fiscales et de l'effet sur notre balance des paiements, c'est l'effet sur nos coûts de santé qui a le plus d'impact positif.» Même avis du côté du professeur Kouider : «La protection de la santé des citoyens s'impose et se justifie et il est du devoir des pouvoirs publics de mettre en place des politiques dissuasives, par l'institution de taxes relevant les prix des produits réputés nocifs pour la santé des consommateurs. Là aussi, les gisements sont importants si on considère d'autres produits tel que les alcools.» Les marges des ventes de biens d'occasion seront soumises à une taxe Cette nouvelle taxe est mise en place dans le but d'organiser le secteur de l'occasion. Mais finalement, est-ce une bonne idée ? Pour Lies Kerrar, «taxer un segment de l'économie qui n'a jamais été taxé demande une bonne préparation des modalités d'application et de leur gestion. Si tout cela est fait, c'est très bien». Sinon, il serait préférable, selon lui, de différer la mise en place d'une telle taxation et de s'atteler dès maintenant à préparer son application et sa gestion. De son côté, Kouider Boutaleb affirme : «La régulation des marchés est fondamentale dans les économies en quête d'efficience. Cela relève des politiques publiques initiées, exécutées et contrôlées par des gouvernements engagés résolument dans la construction d'une économie de marché efficiente. L'objectif étant d'aboutir à une bonne régulation où tous les partenaires, agents économiques, consommateurs et pouvoir publics trouveront leur compte.» Et pour y arriver, le spécialiste soutient que cela ne sera pas possible sans la persévérance des institutions afin d'imposer le respect des lois et des règlements pour minimiser les fuites. La location des habitations individuelles sera soumise à un nouveau taux de 10% d'impôt sur le revenu global (IRG) Elle passera de 7% à 10%. Selon Karim Aouidet, président de l'association des agences immobilières, cette nouvelle hausse posera problème. Il explique : «Le souci de l'Etat aujourd'hui est de ramener de l'argent. Quand on a un marché transparent, on peut toucher les taxes et aucun problème ne se pose. A l'inverse, quand celui-ci est dominé par l'informel, comme c'est le cas en Algérie, cela devient plus difficile. Etant donné que le marché immobilier est dominé par l'informel à 80%, cette nouvelle taxe devient une sanction pour ceux qui activent légalement par rapport à ceux qui activent illégalement et cela va automatiquement engendrer de nombreux problèmes.» Selon lui, le marché informel va s'étendre encore plus car il y aura des sous-déclarations. Pour remédier à ce problème, ce dernier propose : «Il faut se pencher sur la lutte contre le marché informel pour pouvoir arriver à une déclaration totale, qui va engendrer beaucoup d'argent au Trésor public.» De son côté, Kouider Boutaleb soutient : «La régulation du marché locatif se pose depuis de nombreuses années. Il s'agit d'un problème grave aux conséquences coûteuses. Depuis longtemps, de nombreux économistes appellent à une régularisation de ce secteur qui est déterminant pour le marché du travail. Selon certaines données, des centaines de milliers de logements sont soit fermés soit loués en dehors des institutions de l'Etat. Le grand perdant étant le Trésor public.» Malgré cela, l'expert s'interroge : sur quelles bases ces taxes ont-elles été instituées ? Quels seront leurs impacts prévisibles ? Seront-elles acceptées par les concernés ? Il poursuit : «Beaucoup d'observateurs prévoient une augmentation des loyers pour compenser les taxes, et de dissuader les potentiels propriétaires de logements vides à les mettre en location. Et le cercle vicieux du marché locatif qui devrait jouer un rôle important dans l'accès au logement perdurera.» Par ailleurs, il est à noter que les plus-values sur les cessions d'immeubles bâtis se verront imposées à hauteur de 5% (IRG) libératoire d'impôt, et ainsi, ce prélèvement pourra faire l'objet de jusqu'à 100% d'abattements selon la durée de conservation du bien. L'expert Lies Kerrar rappelle qu'il y a quelques années, les plus-values de cession des biens immobiliers et fonciers faites par les particuliers ont été défiscalisées. «C'était une mesure qui pouvait être perçue comme injuste», selon lui. Et d'ajouter : «Par contre, si cette disposition est complète, il est étonnant que les plus values réalisées sur les terrains ne soient pas taxés. D'autre part, la difficulté de ce type de taxe est la pratique de sous-déclaration de valeur.» L'expert propose : «A cet effet, mieux que la taxation sur les plus-values, dont les résultats seront mitigés compte tenu des pratiques de sous-déclaration de valeur, un véritable plan de mise en place d'une taxe foncière assise sur la valeur marchande des biens rapporterait plus de ressources et serait plus soutenable dans sa mise en œuvre. Pour y arriver, il faut d'abord que la Conservation foncière publie sur internet les registres des transactions foncières et immobilières. Cet outil indispensable pour avoir des valeurs marchandes permettra de mettre en place une véritable taxe foncière.» Mise en place de la taxe d'éfficacité énergétique Cette taxe qui varierait entre 30% et 60% serait mise en place afin de réduire la consommation d'energie. Cette taxe bénéficierait à hauteur de 90% au budget de l'Etat. Cette nouvelle taxe est-elle vraiment bénifique pour l'Etat ? Selon Lies Kerrar, ce serait une bonne chose. Cependant, «ses modalités doivent être néanmoins finement et professionnellement déterminées pour prévenir des effets contreproductifs». De son côté, le professeur Boutaleb estime que «ces taxes sont légitimes. En dehors de l'objectif poursuivi, à savoir une augmentation des recettes de l'Etat, la taxation dans ce domaine joue un rôle important dans la transition énergétique qui est devenue une nécessité absolue dans la pespective de l'épuisement des énergies fossiles en raison de leurs effets néfastes sur l'environnement». Cependant, il met en garde : «On ne peut assurer un développement socioéconomique durable que si les modes de production et de consommation énergétivores avec leur cortège de conséquences néfastes sont remis en cause. La prise de conscience de cette remise en cause est désormais entendue, demeurent les stratégies à mettre en œuvre et leur mode opératoire. L'institution de taxes constitue un levier important pour les pouvoirs publics, demeure toutefois la mise en application et, là aussi, on peut se demander si nos institutions de contrôle et de perception sont en mesure de faire appliquer ces dispositifs.»