Il y a visiblement un immense mur de séparation entre les aspirations du peuple égyptien et la volonté des maîtres du Caire. Est-ce l'automne du patriarche Moubarak au pays des pharaons ? Beaucoup sans doute le souhaitent en Egypte et dans tout le monde arabe. Mohammed El Baradei, l'ex-chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), annoncé comme possible candidat à la présidentielle de 2011, se met déjà dans la peau du « sauveur ». En Egypte, cette épithète un tantinet exagérée, exprime le désir d'un peuple opprimé d'éviter de se farcir pour un autre bail le même Moubarak. Ou, scénario tout aussi redoutable, mettre en échec une volonté clairement affichée par le clan de procéder à un transfert dynastique du pouvoir de père en fils. Au Caire et dans tout le pays profond, tout le monde a compris que Gamal, le fils de son père, a commencé les « échauffements » en attendant de descendre dans l'arène pour recevoir les clés de « Oum Dounia ». On comprend mieux dès lors l'accueil triomphal réservé, vendredi dernier, par plus de 2000 personnes à l'aéroport du Caire, à Mohamed El Baradei. Entre El Baradei et son peuple il y a sans doute des atomes crochus. L'image a évidemment fait plaisir. A l'ex-patron de l'AIEA d'abord, mais surtout à ces milliers de partisans qui voient en lui le salut pour un aussi grand pays géré comme une entreprise familiale. Ce retour d'El Baradei depuis sa cure « atomique » à la tête de l'AIEA semble avoir réanimé un peu la vie politique en Egypte trop marquée par les intrigues du palais des Al Moubarak. Beaucoup dans ce pays veulent croire que le changement est enfin arrivé après 29 longues années de règne sans partage de Hosni Moubarak sur fond d'état d'urgence reconduit automatiquement. Atomes crochus Il y a un phénomène de « tous » sauf Moubarak (TSM) qui s'installe durablement dans la tête des Egyptiens. El Baradei incarne admirablement bien cette stature d'homme intègre tout auréolé de son prix Nobel de la paix et qui pourrait tirer l'Egypte vers le haut et redonner espoir à son peuple. « Je suis prêt à être candidat à la présidentielle, si le peuple me le demande, peu importe qui se présentera contre moi à l'élection », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision Dream TV. Mais si le peuple égyptien le réclame comme on l'a vu à l'aéroport du Caire, il n'est pas sûr que l'establishment Moubarak voit du bon œil cette intrusion dans ses affaires « internes » du clan. La preuve ? Les médias gouvernementaux ont tôt fait de mettre entre guillemets sa carrure d'homme d'Etat. Il l'accuse entre autres de « ne rien connaître à l'Egypte ». C'est déjà un signe qu'il n'est pas le bienvenu chez lui en Egypte. Et s'il décide de franchir le pas, Al Moubarak lui ont déjà placé des chausse-trapes légales. En effet, la Constitution impose aux candidats indépendants d'obtenir l'appui de 250 élus, dont au moins 65 membres de l'Assemblée nationale, 25 du Conseil consultatif (Sénat) et au moins dix élus municipaux. El Baradei et Benflis… Cela relève de la gageur tant le Parlement et les municipalités sont dominés par le parti au pouvoir de Moubarak, le Parti national démocratique (PND). El Baradei hausse le ton, espérant être entendu : « Que quelqu'un comme moi ne puisse pas se présenter à la présidentielle, c'est un désastre. Comment une Constitution peut-elle empêcher 99% des gens d'être candidats ? », s'est-il interrogé dans cet entretien dont des extraits ont été publiés par le quotidien indépendant Al Masri Al Youm. Le régime va-t-il concéder une révision de la Constitution pour lui permettre de se porter candidat ? Réponse d'un haut responsable du PND, Moustafa El Fekki : « La stabilité est une bonne chose et ce que nous connaissons est mieux que ce que nous ignorons. » « Le régime n'accédera jamais à cette demande », confirme également Mohammed Habib, une figure des Frères musulmans, principal groupe d'opposition, dans le quotidien indépendant Al Masri Al Youm. Il y a visiblement un immense mur de séparation entre les aspirations populaires du peuple égyptien et la volonté des maîtres du Caire. Le système de Moubarak est tellement bien « réseauté » après 29 ans de « clientélisation », qu'il sera difficile pour El Baradei de secouer une citadelle du pouvoir aussi bien gardée. A moins d'enfiler, sans le vouloir, le costume du candidat alibi pour mieux faire passer la pilule de Hosni ou Gamal Moubarak. Un peu comme Benflis contre Bouteflika en 2004 en Algérie. En Egypte, le cinéma se pratique partout, y compris dans les aéroports…