Un événement qui a réussi au fil des ans à cristalliser un intérêt certain et à constituer un public diversifié et fidèle pour une musique savante. Cette édition se déroule pour la première fois à l'Opéra d'Alger, don du gouvernement chinois inauguré durant l'été 2016. Malgré une conjoncture économique difficile, le festival s'est adapté et affiche tout de même un riche programme rassemblant des formations venues de 14 pays. Un essai qui semble transformé avec une vente des billets (au prix très raisonnable de 300 DA) et un remplissage plus que respectable de la salle. La chose pourrait étonner, vu que la musique classique n'a pas vraiment une longue tradition en Algérie ni au plan de la pratique ni au plan de l'auditoire. La musique symphonique a certes la réputation d'être «universelle», il n'en demeure pas moins qu'elle est initialement liée à la culture européenne et, plus largement, occidentale. Elle a toutefois été adoptée et développée depuis longtemps, bien loin de son sol natal, comme en Asie et en Amérique latine. La Chine par exemple offre aujourd'hui une bonne partie des meilleurs interprètes de musique classique au plan international. En Amérique latine, des compositeurs se sont emparés depuis près d'un siècle de l'héritage de Mozart, Bach et Beethoven pour le mener dans les territoires insoupçonnés des rythmes des Caraïbes ou des mélodies de la Cordillère des Andes. Si cette musique n'est pas universelle par essence, la variété des interprètes et des compositeurs qui viennent enrichir la tradition lui assure certainement un devenir mondial. Un phénomène similaire se produit d'ailleurs dans le jazz. Aujourd'hui, quand un joueur de luth et un musicien de musique électronique tentent une fusion, ils se réclament de la tradition du jazz, même si l'on est très loin des cuivres de la Nouvelle-Orléans. Aujourd'hui, la musique classique appartient à ceux qui en jouent et qui l'écoutent. Et il est heureux de voir ce festival de musique symphonique s'ouvrir sur des hommages à trois créateurs appartenant à des champs culturels très variés. En effet, l'Orchestre symphonique national (OSN) a proposé trois arrangements sur des musiques de Mahboub Bati (1919-2000), Miriam Makeba (1932-2008) et Ennio Morricone (né en 1928). Le premier est un des plus fameux auteurs-compositeurs de la musique chaâbie et de la variété algérienne ; la seconde est une chanteuse engagée à l'aura internationale et à la nationalité (entre autres) algérienne ; le troisième est probablement le plus grand compositeur de musiques de films encore de ce monde, à qui l'on doit notamment la bande originale de La Bataille d'Alger. Dans la soirée suivante, le programme japonais a donné un bel aperçu des grands compositeurs nippons modernes. Le public algérien a notamment découvert deux pièces du génial Toru Takemitsu (1930-1996). Admiratif de la mélodie française (Debussy, Satie, Messiaen…) au début de sa carrière, ce compositeur a trouvé sa voie en puisant son inspiration dans la musique, le théâtre et la poésie japonaises. Loin de se réduire à une démarche identitaire ou nationaliste, cette quête était plutôt un voyage de Takemitsu au cœur de ses émotions et de sa façon de sentir le monde. Un chemin vers soi qui l'a mené à la plus grande des ouvertures, une ouverture sur l'humanité : «Moi, disait-il, je compose ma musique comme un témoignage de l'amour que je porte à l'existence humaine, en tant que partie du grand tout de la nature, indépendamment des pays et des peuples.» Takemitsu a également composé un grand nombre de musiques de films, dont la bande originale du chef-d'œuvre de cinéma fantastique Kwaïdan de Masaki Kobayashi. Sorti en 1964, ce film inspiré d'histoires d'épouvante traditionnelles sera d'ailleurs visible dans les Cinémathèques algériennes les 8 et 17 décembre 2016. Au programme de l'ouverture également, le désormais habitué Missak Baghboudarian et son orchestre venu de Syrie. Traversant les musiques de Syrie, d'Irak, voire d'Argentine et du Mexique à travers des arrangements de grande qualité, cette formation est une véritable parenthèse d'harmonie internationale dans un monde en proie au chaos et un pays en pleine guerre. Un tel programme pour l'ouverture de ce festival montre bien l'esprit rassembleur et explique en grande partie le succès de cette manifestation. Si la musique classique dispose d'un public et d'interprètes en Algérie, c'est aussi et surtout grâce à l'enseignement de cette musique tout au long de l'année dans les conservatoires, écoles privées, instituts régionaux et à l'Institut national supérieur de musique. Un enseignement qui, souffrant de bien des déficiences au plan de la pédagogie et de la formation des formateurs, a le grand mérite d'éviter tout élitisme social. «Le large public a envie d'écouter d'autres styles. On retrouve d'ailleurs les amateurs de rock ou de jazz dans les concerts de musique classique. Les gens sont curieux d'écouter du nouveau. Rien qu'avec mes 80 élèves du conservatoire et leurs amis, on peut remplir une salle», nous confiait Djebrane, professeur de musique à Constantine (lire : Mozart in the houma, El Watan, Arts & Lettres, 28/12/13). Pour preuve, les jeunes musiciens qui intègrent aujourd'hui l'Orchestre symphonique national viennent de différentes régions du pays et de différents milieux sociaux. Seule la passion de la musique réunit les membres de cet orchestre qui œuvre depuis une quinzaine d'années à promouvoir la musique symphonique auprès du plus large public possible. Ainsi, l'orchestre s'est produit dans quasiment toutes les wilayas du pays. On se souvient notamment du mémorable concert à Djanet en 2015 dans un décor lunaire au pied d'une gravure rupestre préhistorique. Créé en 1992 par le ministère de la culture, l'Orchestre symphonique national a débuté son activité en 1997. Dans le fracas et le sang de la décennie de terrorisme, cette formation commençait déjà à œuvrer pour la promotion de la musique classique. Une entreprise audacieuse qui a été menée sous la baguette de Abdelwahab Salim et de Abdelkader Bouazzara (directeur de l'Orchestre depuis 2001 et commissaire du festival symphonique). L'orchestre a également été dirigé par Rachid Saouli, ainsi que par des chefs d'orchestre étrangers en résidence. Depuis juin 2014, c'est Amine Kouider qui dirige l'orchestre et tente de le mener vers une plus grande exigence artistique. Au-delà du mérite – non négligeable – d'exister, le défi actuel de cette formation est celui de la qualité. L'OSN œuvre aussi à donner plus de lisibilité à son programme (avec différentes soirées thématiques) et à initier le jeune public via des concerts pédagogiques. Outre sa présence continue dans l'agenda culturel national, l'orchestre a également réussi à décrocher quelques dates à l'international en Tunisie, Espagne, France, Ukraine… L'intérêt du festival international de musique symphonique est également de découvrir des répertoires issus d'horizons très différents. Ainsi, le programme mexicain, que l'on pourra découvrir ce soir, comprend une composition de Miguel Bernal Jiménez (1910-1956). Appartenant au courant de musique nationale mexicaine, Jiménez a une expérience pionnière, auprès de Manuel Ponce et d'autres, dans l'adaptation des musiques traditionnelles de son pays pour les instruments et les formations de musique classique. L'Argentin Astor Piazzolla (1921-1992) est également au programme de cette soirée. Principal créateur du Nuevo Tango (Nouveau Tango), Piazzolla a revisité cette musique populaire argentine en s'ouvrant aux influences du jazz et de la musique classique. Cas unique, son répertoire est aujourd'hui joué autant par les chanteurs de tango, par les groupes de jazz que par les orchestres de musique classique. D'ailleurs, rien que dans cette huitième édition du festival symphonique, des pièces d'Astor Piazzolla ont été jouées par cinq formations venues du Japon, de Syrie, de Tunisie, d'Allemagne et du Mexique ! L'art lyrique n'est pas en reste pour ce festival qui se déroule, pour la première fois, dans un opéra aux normes internationales. L'incontournable répertoire de l'opéra italien assurera la clôture en beauté pour demain, avec des extraits de Puccini, Donizetti, Verdi… Signe des temps, l'opéra italien est également porté par un trio de chanteurs lyriques chinois. Invitée d'honneur, la France a été dignement représentée avec des extraits des plus grands compositeurs de la mélodie française. Se distinguant du bel canto italien et des lieder allemands, la mélodie française a largement puisé son inspiration dans la poésie romantique du XIXe siècle qu'elle a sublimée en musique à l'aube du XXe siècle. Descriptive, subtile et souvent audacieuse au plan harmonique, elle a été portée par les plus grands compositeurs, à l'image de Ravel, Debussy, Fauré, Duparc, Poulenc… Parmi les belles surprises de cette huitième édition, on peut également citer le programme espagnol entièrement consacré à la musique baroque. Avec des compositions de Gaspar Sanz, Santiago de Murcia et d'autres, les musiciens espagnols ont transporté le public aux premières œuvres de la polyphonie. Entre les mains des compositeurs espagnols, le luth apporté par les musulmans en Andalousie se joue avec les doigts en faisant vibrer plusieurs cordes simultanément. La musique baroque espagnole est un moment-clé de la musique occidentale (qui deviendra classique). Aujourd'hui, musicologues, luthiers et musiciens sont parvenus à reconstituer les instruments et l'interprétation d'époque et les orchestres baroques nous donnent aujourd'hui un aperçu de ce qu'écoutait le public de la cour d'Espagne, de France ou d'Angleterre. Navigant de pays en pays et de style en style, ce festival est une belle occasion de prendre la mesure de l'ampleur et de la diversité du répertoire «classique». Chaque nation a dignement représenté son art à ce Concert des nations. S'il n'a pas encore joué la musique des compositeurs pour orchestre algériens (voir encadré), notre orchestre symphonique national a donné une belle image d'une jeunesse talentueuse.