Cette modeste contribution est une analyse de la tarification des actes au niveau des cliniques privées. Nous nous sommes appuyés sur les référents théoriques et les travaux empiriques en économie de la santé ainsi que sur l'exploitation des données factuelles du contexte algérien. Elle pourrait, nous espérons, alimenter les débats actuels sur la nouvelle loi sanitaire. En Algérie, l'accès au secteur public de soins est quasi-gratuit, la participation financière des usagers est très faible. A l'inverse, le secteur privé est à but lucratif et son accès est payant. La responsabilité des usagers dans ce segment de soins est presque totale, ce qui affecte les personnes les plus démunies où la contrainte financière est forte, mais aussi les individus qui ne disposent pas de toute l'information pour apprécier le bien-fondé des tarifs pratiqués. Les financeurs des dépenses de santé n'exercent pas un contrôle réel sur les prestataires de soins privés. Ces derniers sont libres de fixer leurs honoraires dans un contexte d'absence d'un système de conventionnement intégral avec les organismes financeurs, à l'exception de l'hémodialyse, la cardiologie interventionnelle et la chirurgie cardiaque. En dépit de l'absence d'une grille officielle de tarification, nous constatons que des tarifs se mettent en place. Sont-ils des prix de marché ou le fruit d'une entente tacite entre les cliniques et/ou les médecins ? Dans la première partie de cette contribution, nous décrirons les modalités de fixation des tarifs des cliniques et les systèmes de rémunération des médecins. Dans la deuxième partie, nous verrons comment la tarification est appliquée pour les patients. Tarification des actes par les cliniques et les modalités de rémunération des médecins Les cliniques tentent de trouver des normes de tarification sur un territoire en se comparant avec les autres structures de proximité. Il y a l'idée de se situer financièrement par rapport à l'environnement. Elles déterminent une cible de tarification suivant leurs propres critères : standing, conditions de nursing, notoriété des médecins… elles peuvent être également dans une optique d'alignement sur les tarifs des autres cliniques pour suivre la demande et s'adapter à la concurrence. Il y a le tarif territorial auquel il faut ajouter la complexité de ce que le patient va vraiment payer par rapport aux stratégies des professionnels. La grille tarifaire de la clinique sert de référence pour facturer les prestations aux patients pris en charge par les médecins permanents. Elle est aussi adoptée par les médecins externes qui se conforment aux tarifs de la clinique. Toutefois, nous le verrons un peu plus loin, cette tarification ne va pas être forcément connectée avec ce que les patients vont réellement payer. Elle va dépendre du mode de rémunération des médecins externes, du canal de recrutement des patients et de la pratique des dépassements d'honoraires. Rémunération des médecins permanents Les médecins permanents exercent à plein temps au niveau des cliniques. Dans la majorité des cas, ce sont les patients de la clinique qui sont pris en charge par ce profil de médecins. Contrairement aux médecins externes où la formalisation de la relation de travail n'est pas toujours la règle, les liens avec les médecins permanents sont plutôt régis par un contrat de travail. La clinique déclare ce profil de médecins (ceux qui assurent une activité médicale et/ou chirurgicale) comme salariés. Ils s'entendent sur un salaire que la clinique ne leur verse pas (salaire fictif). Dans la réalité, le médecin permanent est rémunéré à l'acte suivant un système de pourcentage. La clinique lui verse 20 à 25% du tarif de chaque acte réalisé. Il s'agit d'un arrangemnt conclu entre les médecins permanents et les cliniques privées. Nous sommes en présence d'une situation d'économie souterraine par rapport au système fiscal et de protection sociale. Rémunération des médecins externes Deux modes de rémunération sont adoptés par les cliniques dans leurs relations avec les médecins externes. Le premier mode opératoire est appelé «le système du forfait-bloc». C'est une modalité qui permet au médecin de louer le bloc opératoire de la clinique suivant la durée de l'intervention. En général, le coût de la location se situe entre 15 000 et 20 000 DA l'heure. Soit le médecin externe paie directement la clinique, ou bien le patient paie la clinique et cette dernière reverse au médecin ses honoraires. Le deuxième mode opératoire est dénommé «système des pourcentages» (qui s'applique aussi aux médecins permanents de la clinique, mais le partage des honoraires diffère). Le tarif de la prestation est partagé entre les différents intervenants dans la chaîne de soins. Généralement, 40 à 50% sont perçus sous forme d'honoraires par le médecin externe, le reste revient à la clinique. Si l'on compare les deux systèmes de rémunération, on se rend compte que le système des pourcentages est plus avantageux pour la clinique, car elle ponctionne le médecin externe sur chaque acte réalisé. Pour une intervention chirurgicale d'une durée d'une heure et qui coûte 60 000 DA, la clinique percevra 50% du tarif de l'acte, c'est-à-dire 30 000 DA. Par contre, dans le système de forfait-bloc, la clinique va percevoir uniquement le tarif de location qui est de 15 000 DA, soit un manque à gagner de 15 000 DA. Pendant une heure de bloc, le médecin peut réaliser plusieurs actes (dans le cas de certains actes d'ophtalmologie) et n'aura pas à s'acquitter d'un reversement pour chaque acte réalisé pour le compte de la clinique. Ce sont les deux systèmes de rémunération qui dominent sur le marché. Néanmoins, certaines cliniques qui combinent les deux formes de rémunération afin de répondre favorablement aux souhaits des médecins. Des différences territoriales s'observent en matière de choix du système de tarification. Dans l'Est algérien par exemple, c'est le système des pourcentages qui prédomine. Par contre, au niveau du Centre, c'est plutôt le système de forfait-bloc qui prime. Il n'y a pas véritablement de concertation entre les cliniques algériennes pour unifier leurs systèmes de rémunération. Ces modes de tarification couplés à une quasi-absence de prise en charge collective des dépenses dans le secteur privé favoriseraient la recherche d'un niveau d'activité élevé avec comme risque pour la collectivité celui de l'induction et de l'orientation de la demande. Le revenu du médecin externe est directement lié à sa capacité de générer de l'activité qui est en parfaite correspondance avec les intérêts de la clinique, qui dépend en partie du niveau d'activité ainsi générée. L'activité des cliniques en Algérie est instable du fait de l'absence de conventionnement avec les organismes de Sécurité sociale. En France, par contre, l'activité des cliniques est garantie et leur rentabilité est négociée avec les organismes d'assurance maladie. Parce que le financement est collectif et que la nature du bien «santé» rapproche l'activité des cliniques d'une mission de service public, les établissements de santé privés vivent difficilement cet encadrement de plus en plus contraignant. Quant à la redevance dont doivent s'acquitter les médecins envers la clinique, elle fait l'objet de négociations entre les syndicats des médecins et les représentants des cliniques. La tarification aux patients dépend du canal de recrutement, du mode de tarification adopté et de la pratique des dépassements d'honoraires La tarification des actes aux patients dépend du canal de recrutement, du mode de rémunération adopté par la clinique envers les médecins externes mais aussi de la tendance qu'ont ces professionnels à pratiquer les dépassements d'honoraires, tolérés par les cliniques. Quand le patient est recruté par la clinique et pris en charge par le médecin permanent, la grille de la clinique sert de référence dans l'établissement des tarifs. Le patient s'acquitte directement de ses frais de prise en charge auprès de la clinique. Dans ce cas, il n'y a pas de dépassement d'honoraires. En revanche, quand le patient est recruté par le médecin externe, la tarification au patient est plus complexe. Lorsque c'est le système de location du bloc opératoire qui est mis en œuvre, le médecin externe s'entend avec le patient sur un tarif au niveau du cabinet, de l'hôpital public ou de la clinique. Le médecin n'aura qu'à verser le montant de la location du bloc pour la clinique. Cette dernière n'a aucune information sur le prix pratiqué par le médecin. Il est totalement libre de tarifer à sa guise suivant ses propres critères. Cependant, certaines cliniques acceptent que le patient s'acquitte des frais de sa prise en charge auprès d'elles, qui ensuite, reverseront les honoraires aux médecins. Elles servent donc d'intermédiaire ou de caisse pour le médecin externe. En revanche, dans le système des pourcentages, le patient paie la clinique qui ensuite, reversera au médecin ses honoraires suivant les pourcentages sur lesquels ils se sont entendus. Dans ce cas, la clinique dispose d'une information sur les tarifs pratiqués par le médecin. Ce dernier peut se conformer à la grille tarifaire de la clinique, comme il peut pratiquer ses propres tarifs. Concrètement, certaines cliniques imposent aux médecins externes leurs tarifs et ne tolèrent pas de dépassement d'honoraires. D'autres ne se soucient pas de ce que les médecins appliquent comme tarifs. Ce modèle de fonctionnement reste fragile, car les cliniques sont en concurrence pour attirer les médecins. Ces derniers sont très sensibles aux incitations financières, pour ne pas dire qu'il s'agit d'un critère dominant dans le choix de la clinique d'exercice. Ils disposent d'un fort pouvoir de négociation vis-à-vis des cliniques, surtout dans les territoires bien dotés en infrastructures privées. Le recours aux dépassements d'honoraires peut s'avérer périlleux pour les médecins externes et les cliniques. Si les patients se rendent compte des différences de tarifs, le risque de perte de patientèle n'est pas exclu. Le cas des médecins qui ne se conforment pas aux standards de tarification des cliniques peut être interprété comme une stratégie de recherche de maximisation de revenus ou de recherche d'un revenu cible dans un contexte d'absence de contraintes sur le plan institutionnel et corporatif (tutelles, Sécurité sociale et Ordre des médecins). Ces médecins agissent suivant leurs propres intérêts dans la tarification de leurs prestations. L'absence d'une grille officielle de tarification des actes, qui baliserait les honoraires des cliniques et des médecins, a favorisé la mise en place de systèmes de tarification, et de modalités de rémunération, auxquels les acteurs en présence ont souscrit, permettant ainsi la coordination de leurs actions. Pour l'instant, la principale revendication des cliniques reste la généralisation du conventionnement avec les caisses de Sécurité sociale, ce qui permettra un élargissement du marché pour ces prestataires de soins. Si cette revendication aboutit, les cliniques s'aligneront systématiquement sur la grille officielle de tarification qui sera mise en place. Néanmoins, la pratique des dépassements d'honoraires n'est pas à exclure dans le cas où les tarifs fixés par la Sécurité sociale seraient en deçà des attentes des cliniques et des médecins. Quoi qu'il en soit, cette possible solvabilisation de la demande conduira les cliniques privées à revoir leurs stratégies en matière de structuration des activités et de recrutement de la patientèle. En définitive, le besoin d'encadrement de ce pan du système de soins par l'Etat est fort et soulève la question de son rôle et ses modes d'intervention pour assurer l'efficacité, l'efficience et l'équité du système de santé algérien.