Tout est clean, le hall d'entrée est décoré avec goût, baignant dans une douce lumière. Non, il ne s'agit pas d'un établissement touristique ou un lieu de villégiature, mais d'une maison d'accueil au profit des cancéreux baptisée Dar El Ihssane. Erigé dans une impasse de la rue Javal, à quelques encablures de la gare ferroviaire de Blida, ce centre d'hébergement de quatre étages est d'une capacité de 45 lits. On doit cette louable initiative à l'association Badr d'aide aux malades atteints de cancer. En 2016, Dar El Ihssane a hébergé 462 personnes issues de 36 wilayas, nous dit son directeur, Réda Baghdadi. Les malades sont logés, nourris, blanchis, sans contrepartie financière. Le transport leur est également assuré gracieusement vers le Centre anticancer (CAC) situé dans l'enceinte de l'hôpital Frantz-Fanon où ils suivent leurs traitements oncologiques. «Près de 80% des malades pris en charge par le CAC de Blida résident en dehors de la wilaya de Blida. Les malades, notamment les plus démunis, renoncent complètement ou partiellement aux soins à cause de l'éloignement. Dar El Ihsane permet de faciliter l'accès aux soins de ces patients et de leur assurer un meilleur soutien psychologique», peut-on lire sur le site de l'association (http://badrblida.net/). Visite guidée Cette maison d'accueil des cancéreux a été inaugurée officiellement le 4 février 2015, à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le cancer. Deux ans après, l'infrastructure est d'une tenue et d'une fraîcheur impeccables, à croire qu'elle a été ouverte seulement la veille. Le centre emploie une quinzaine de personnes et peut compter sur le soutien d'un contingent de bénévoles dont nombre d'étudiants en médecine. Réda Baghdadi nous a gratifié d'une visite guidée qui nous a permis de prendre toute la mesure du caractère exceptionnel de ce projet. L'immeuble compte cinq chambres par étage, chaque chambre comprenant deux lits. Les pièces sont aérées. Dans le hall de chaque étage est aménagé un salon avec fauteuils, frigo et écran de télévision. Le bâtiment est entièrement connecté moyennant une connexion wifi gratuite. En outre, la bâtisse est bien chauffée et bénéficie de l'air conditionné. Une buanderie dotée de plusieurs machines à laver se charge du blanchissage des effets personnels des malades. Le dernier étage donne sur une terrasse qui offre une vue imprenable sur les cimes enneigées de Chréa et les paysages de l'Atlas blidéen. Au premier étage, un salon d'esthétique dispense des soins corporels aux patientes. Une grande salle de restauration offre un chaleureux espace de convivialité où tous les pensionnaires du centre se retrouvent à l'heure des repas. La cuisine exhale des senteurs capiteuses qui ouvrent l'appétit et confortent l'impression que l'on est chez soi et guère dans un lieu impersonnel. Un magasin mitoyen de la cantine permet de stocker tous types de denrées alimentaires destinées à améliorer l'ordinaire des malades. On y aperçoit également des services de table, des piles de couvertures, des produits cosmétiques et autres lots de dons en nature reçus par l'association. Le magasin est équipé d'une chambre froide pour la conservation des produits périssables. Le bâtiment dispose, par ailleurs, d'une bâche d'eau et d'un groupe électrogène dernier cri. Des séjours d'au moins six semaines Dans le hall d'accueil, des sofas multicolores sont disposés avec soin, formant un décorum des plus captivants. «Dans ce salon, les visiteurs peuvent recevoir tranquillement leurs proches», dit M. Baghdadi. Radia, jeune cadre de l'association, sourire à tout épreuve et visage rayonnant, reçoit patiemment les visiteurs qui défilent et veille à les orienter. Comme on peut l'imaginer, le centre ne désemplit pas. Lors de notre passage, Dar El Ihssane hébergeait une quarantaine de patients. Ils viennent d'un peu partout. Mustapha Moussaoui, médecin spécialiste (ORL) et président de l'association, précise : «Notre capacité est de 45 lits, mais cela peut aller jusqu'à 58 places. On ne peut pas dire non à un malade. Au besoin, on rajoute un lit. Le premier malade qui vient est admis, on ne fait aucune distinction entre nécessiteux, pas nécessiteux… Un cancéreux est forcément nécessiteux. Il y a toujours des examens complémentaires à faire, des radios, des déplacements.» Le Dr Moussaoui indique que «la durée de séjour des malades est de six semaines à deux mois. C'est surtout la radiothérapie qui requiert un hébergement à plein temps, la cure dure généralement six semaines.» «Il y en a qui dorment dans le jardin de l'hôpital» Mustapha Moussaoui souligne que dès la création de l'association en septembre 2006, elle s'était fixé comme objectif de mettre sur pied une structure pour l'accueil des cancéreux. «Trois mois après la création de l'association, raconte-t-il, nous avons tenu une conférence de presse et nous avons dit qu'il était urgent de construire une maison d'accueil pour les malades atteints de cancer. On a constaté que beaucoup d'entre eux passaient la nuit dehors, dormaient dans des hammams, certains dans des taxis ; il y en a même qui dorment dans les jardins du centre anticancer. Tous les jours, pendant deux mois, ils ont des séances de radiothérapie. Où est-ce qu'ils vont partir ? Quelqu'un qui vient de Djelfa ou d'une autre wilaya, comment il va faire ?» En juin 2011, l'association a ouvert une maison d'accueil dans une villa mise à sa disposition par un bienfaiteur, à Blida. La bâtisse accueillait une vingtaine de malades. Mais c'était une solution temporaire. L'association a lancé ensuite une campagne de collecte de fonds pour construire un centre d'hébergement dédié aux cancéreux. «Le 27 mars 2012, nous avons organisé un Radiothon sur les ondes de radio Blida et radio Coran. On a collecté des fonds, mais ce n'était pas suffisant pour acquérir un terrain. Une semaine plus tard, le wali (l'ancien wali de Blida, Mohamed Ouchène, ndlr) nous a attribué un ancien bâtiment de la Sempac et on l'en remercie vivement. On l'a démoli et on a construit ce centre. On a entamé les travaux en février 2013, le chantier a duré deux ans. En février 2015, la maison était prête.» Le processus de construction de cet établissement est un modèle de citoyenneté active et mérite d'être homologué et reproduit aux quatre coins du pays. Il faut savoir que ce n'est pas un entrepreneur unique qui a réalisé les travaux, mais plusieurs petites mains qui se sont bénévolement et passionnément investies dans le projet, et qui ont permis que l'édifice sorte très vite de terre. Ce projet participatif a ainsi généré un extraordinaire élan de solidarité impliquant toute une chaîne d'intervenants qui se sont livrés à une véritable compétition caritative, chacun se chargeant d'un segment du chantier, depuis l'architecte qui a conçu le plan et suivi le gros œuvre jusqu'au dernier maçon qui a fait les finitions. Il n'est dès lors pas possible de risquer une estimation financière du bâtiment. Les matériaux, les équipements, la maçonnerie, tout a été pris en charge par des donateurs. «Prenez par exemple la faïence. On est allé voir des fabricants de faïence. D'emblée, chacun nous disait : ‘‘Je vous donne la quantité que vous voulez''. Pour ne pas faire de jaloux, on a partagé cela entre eux». Notre hôte cite cette autre anecdote édifiante : «Cinq jours avant l'inauguration, un bienfaiteur qu'on ne connaît pas, qui vit à Alger, nous appelle et nous dit : ‘‘Faites-moi la liste de tous vos besoins''. Il nous a offert tous les téléviseurs que vous voyez, les frigos et les autres appareils, le tout pour une valeur de 100 millions de centimes.» Pour le transport des malades vers l'hôpital Frantz-Fanon ou bien vers le centre de radiothérapie et d'oncologie de Ouled Yaïch qui reçoit beaucoup de cancéreux, l'association dispose de deux fourgons, acquis là encore grâce aux dons de citoyens sensibles à la souffrance des malades atteints d'un cancer. Soutien psychologique et visites à l'hôpital Outre l'hébergement, l'association fait venir des médecins pour rencontrer les malades. «Il y a un médecin qui passe chaque dimanche matin. Il y a également deux oncologues du CAC qui viennent pour répondre aux questions des malades», dit le Dr Moussaoui. Le centre peut compter aussi sur les visites de psychologues qui passent régulièrement. Par ailleurs, les locataires de Dar El Ihssane bénéficient de sorties récréatives. «Nous leur offrons des sorties à Chréa ou bien en bord de mer de façon à leur apporter un peu de gaieté», affirme le président de l'association. Autre service — et non des moindres — assuré par l'association : celle-ci a conclu des conventions avec des centres d'imagerie médicale pour des explorations à des tarifs réduits. Les malades paient 1000 DA un scanner et 2000 DA une IRM alors qu'au tarif normal, cela coûte dix fois plus cher. «Il y a aussi deux médecins biologistes avec lesquels nous travaillons. L'un nous prend cinq malades, et l'autre dix malades chaque mois. Une autre médecin s'est engagée à prendre chaque jour un malade gratuitement.» Autre action qui mérite d'être mentionnée : les anges bienveillants de Badr se rendent tous les week-ends à l'hôpital pour voir les malades sur place et s'enquérir de leurs besoins. «Depuis la naissance de l'association, tous les vendredis après-midi nous rendons visite aux malades au niveau du Centre anticancer. Nous leur rendons également visite lors des fêtes de l'aïd. Nous les faisons même passer avant nos proches», témoigne le Dr Moussaoui avec humilité. Médaille de l'OMS Au-delà du volet socio-médical, l'association effectue un travail considérable en matière de prévention et de sensibilisation aux risques du cancer. Tous les 31 mai, à l'occasion de la Journée mondiale sans tabac, elle mène campagne contre les méfaits du tabagisme dans plusieurs gares du pays (Blida, Alger, Oran, Béjaïa, Sétif, Constantine…), en partenariat avec la SNTF. «Nous tenons des stands, nous faisons des campagnes d'affichage, distribuons des flyers, organisons des projections… Cela fait dix ans que nous faisons ce travail», assure Mustapha Moussaoui. Des efforts récompensés par une médaille de l'OMS en octobre 2015. L'association est, par ailleurs, très impliquée dans la sensibilisation autour du cancer du sein. «C'est nous qui avons introduit ‘‘Octobre Rose'' en Algérie. C'était en 2010. Nous avions organisé une course à Alger-Centre en partenariat avec le CPMC», se souvient le Dr Moussaoui. Octobre Rose, rappelle-t-on, est une opération qui est menée un mois durant un peu partout dans le monde, en incitant les femmes à faire une mammographie à titre préventif. A noter que 11 000 nouveaux cas de cancer du sein sont recensés chaque année en Algérie. Nous quittons Dar El Ihssane sur le large sourire de Sihem, vaillante Constantinoise à la bouille joviale malgré les séquelles de la maladie, qui a trouvé ici un second foyer. Chapeau, l'équipe !