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L'ombre des barons de la spéculation
Publié dans El Watan le 28 - 03 - 2017

Comme à son accoutumée, le marché de gros des fruits et légumes de Chelghoum Laïd, l'un des plus importants de la région Est, ne désemplit pas, avec ses incessants mouvements de camions venus de plusieurs wilayas. En cette journée de mars, par un temps légèrement morose et un ciel peu couvert, les mandataires-grossistes de ce marché, considéré comme un véritable baromètre des prix dans la région Est, affichaient une grise mine au vu de la situation qui règne depuis quelques semaines, où l'on ne parle que de cette flambée incompréhensible des prix des fruits et légumes. «Tout le monde nous accuse d'être à l'origine de cette hausse des prix, alors que nous sommes nous-mêmes à la merci de vrais coupables, qui provoquent une pénurie de produits pour amasser des milliards de gains», nous confie Saâd, le premier mandataire que nous avons abordé.
Le principal fait qui attire dans ce marché demeure la polémique qui fait rage autour des prix de la pomme produite localement. Sur les étals, les pommes de Bouhmama, dans la wilaya de Khenchela, et celles d'Ichemoul, dans la wilaya de Batna, sont cédées entre 250 DA et 400 DA le kg, selon le choix, alors qu'on peut trouver des pommes de bonne qualité à 280 DA le kg. «Il y a une année, nous avions vendu le même produit à 150 DA le kg pour une bonne qualité, car il y avait les pommes importées, mais cette année, il y a moins de production et moins d'offres sur le marché, c'est pour cela que les prix ont augmenté», argumente Saâd.
Pour d'autres, cette explication ne tient plus la route, car le problème réside ailleurs. «Après la décision logique de l'Etat de limiter l'importation des pommes produites en Europe, notamment en France et en Italie, des gens bien placés, et qui semblent bien connaître les rouages du marché, ont décidé d'imposer leur monopole sur ce produit ; les pommes de Bouhmama ont été achetées dans les champs à 120 DA le kg, pour être revendues au marché de gros à plus du double.
Nous-mêmes, nous ne sommes approvisionnés qu'en troisième main, car il y a des intermédiaires qui sont venus se coller comme des parasites dans le circuit de vente, ce qui a fait grimper les prix ; il faut aussi ajouter d'autres intermédiaires entre le mandataire et le consommateur et vous comprendrez le pourquoi de la chose», nous explique Ammi Ahmed, un vieux grossiste rencontré au marché de Chelghoum Laïd.
En somme, nos interlocuteurs s'accordent à dire que la pénurie a été sciemment provoquée, pour maintenir des prix aussi élevés et garantir ainsi des bénéfices toujours aussi énormes au détriment du simple citoyen qui ne peut même pas se permettre de consommer les pommes produites dans son propre pays. Sinon, comment expliquer cette différence frappante entre le prix à la récolte de 120 DA le kg pour atterrir sur les étals au marché du quartier à 550 DA et jusqu'à 850 DA le kg.
Le wait and see de l'État
En faisant le tour du marché de Chelghoum Laïd, on s'est arrêté au «pavillon» de la pomme de terre. Contrairement aux autres, les grossistes de ce coin sont très réticents à parler. Ici, le fameux tubercule, produit de première nécessité pour les ménages algériens et surtout les familles à revenu moyen, se négocie entre 45 DA et 65 DA le kg, selon le calibre de la patate.
L'histoire ne diffère pas de celle de la pomme. «La production a été disponible cette année dans la région d'El Oued où nous nous approvisionnons, mais les choses changent d'un jour à l'autre ; nous dépendons du tonnage écoulé sur le marché. Jusqu'à présent, les quantités qui entrent à Chelghoum Laïd demeurent insuffisantes pour couvrir toute la demande ; nous dépendons aussi de nos fournisseurs qui commandent tout et sont au courant même de ce qui se passe ailleurs dans les autres grands marchés au Centre et à l'Ouest ; les choses sont assez compliquées», déclare un grossiste venu de Khenchela.
En fait, la situation qui prévaut actuellement au niveau des marchés des fruits et légumes est la conséquence d'une démission totale de l'Etat, qui se contente de jouer le rôle d'observateur, distillant des communiqués pour rassurer les citoyens sur la disponibilité de tel ou tel produit à l'approche du mois de Ramadhan, où la consommation atteint des pics.
«Nous constatons, ces dernières années, qu'il y a trop d'intermédiaires qui rodent comme des parasites dans ce secteur, alors que l'Etat est appelé à jouer le rôle de régulateur en instaurant des mécanismes pour lutter contre ces personnes qui profitent pour faire monter les enchères ; mais il semble que l'Etat n'affiche aucune volonté pour le faire, surtout que ceux qui tirent les ficelles de cette pénurie provoquée ont eux-mêmes leurs entrées dans les directions du commerce et des services de contrôle à tous les niveaux ; je peux vous dire qu'il y a même des complicités au sein des cercles de décision ; sinon c'est l'anarchie qui régnera et on continuera de tourner toujours dans des cercles vicieux, et ce sera la loi de ces barons de la spéculation qui sera la plus forte», conclut Ahmed, le grossiste du marché de Chelghoum Laïd.


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