Préambule L'Algérie est considérée par les grandes puissances comme un pays pivot en Afrique du Nord et constitue un gage pour la stabilité régionale et un rempart contre les menaces, notamment islamistes en provenance des pays voisins (Libye, Sahel essentiellement), en raison notamment de ses capacités de défense et de lutte antiterroriste. Ce discours élogieux, qui présente l'Algérie comme puissance régionale, ne doit pas nous laisser insensibles aux manœuvres et velléités d'accaparement des ressources naturelles dont ont besoin ces grandes puissances pour sécuriser leurs approvisionnements et redynamiser leur économie en crise, et de leur quête permanente de positions géostratégiques comme cela a été fait par le passé, et plus récemment encore au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Afghanistan, Libye, Soudan,…). Pour atteindre leurs objectifs, ils mettent en œuvre des approches diverses, comme la mondialisation et l'implémentation de modèles occidentaux mettant en avant notamment les valeurs démocratiques à travers des ONG pour certaines sous tutelle et susciter «in house» (en interne) des mouvements de fragilisation et de déstabilisation des institutions afin de mettre en place des régimes favorables à leurs intérêts économiques, politiques et sécuritaires. Pour cela, après diagnostic détaillé par les officines et autres «ONG», ils s'appuient sur les vulnérabilités réelles et latentes qui menacent le pays afin de le déstabiliser par des groupes locaux ciblés, en usant de leurs frustrations diverses. Vulnérabilités – Situation économique caractérisée par la dépendance à la rente pétrolière, et l'incapacité à développer des ressources alternatives par une économie diversifiée (industrie, agriculture, tourisme, TIC, …) ; – situation aux frontières (menaces terroristes à l'Est et au Sud, conflit à l'Ouest, …) ; – situation financière précaire conduisant à la mise en place de mesures impopulaires (réduction des subventions, taxes, réduction des importations, gel de projets,…), entraînant mécontentement et pouvant donner lieu à des troubles sociaux et autres déstabilisations aux répercussions imprévisibles, pouvant menacer l'unité et la stabilité du pays du fait de mouvements séparatistes qui s'appuient sur une insuffisante répartition régionale du développement (Sud notamment), et attisés par des organisations étrangères hostiles. Nouvel ordre économique – globalisation Les mouvements de colonisation par les puissances mondiales ont de tout temps répondu à des préoccupations économiques d'accaparement des ressources naturelles (pétrole et gaz, bois, minerais, matières premières,…), et jusqu'à la traite des êtres humains. C'est le cas du partage et de la colonisation de l'Afrique orchestrée par les Européens en 1835, et qui a permis également aux Anglo-saxons par le traité de Sykes-Picot en 1916 de mettre la main sur des territoires immenses, du Moyen-Orient ; il en est de même pour l'Amérique du Sud. Cette mainmise du capital sur les ressources a conduit à favoriser des troubles et des changements de régimes hostiles aux intérêts des multinationales, ce fut notamment le cas en Amérique du Sud (Chili, Argentine, Uruguay, Brésil,…), pour mettre en place des régimes qui sont favorables aux thèses de libre-échange. Les derniers changements intervenus à la tête d'Etats comme le Brésil et ceux en cours au Venezuela et ailleurs semblent annoncer un remake des remèdes déjà adoptés dans les années 1960, 1970 et 1980. Ces pays, pour rappel, contrarient les intérêts des grosses multinationales. Ceci montre l'influence grandissante du capital international dans la conduite du monde, les dirigeants politiques ne faisant qu'accompagner des stratégies plus profondes de la finance internationale. La chute du Mur de Berlin en 1989 et l'éclatement de l'URSS confirment la prédominance du modèle occidental dans la gestion de l'économie mondiale, marquée par la globalisation des échanges, des flux de capitaux et des marchandises. Cette globalisation induit une gouvernance mondialisée répercutée par l'internationalisation de la finance, la mise en place de l'OMC, ainsi que d'autres instruments et mécanismes qui protègent le capital (ex CIRDI) à laquelle adhèrent plus de 186 pays, parmi lesquels la Russie et la Chine. Ce nouvel ordre économique mondial présenté à l'origine comme étant la voie du développement et de l'émergence couvre en réalité une nouvelle forme de reconquête par les multinationales des marchés et de l'exploitation des ressources pour relancer la croissance de leurs propres économies en stagnation, voire en déclin. Dans ce mouvement, un certain nombre de pays qui ont essayé de résister et/ou de perturber les plans préétablis de réorganisation de la carte géopolitique du monde ont subi, malheureusement, de graves dommages allant jusqu'à hypothéquer leur existence en tant que nations (exemples : Afghanistan, Soudan, Libye, Irak, Syrie, …) ; ceux qui continuent à s'opposer subissent des actions permanentes de déstabilisation. En ce qui concerne l'Algérie, malgré les «louanges» de façade, il n'est un secret pour personne et la presse internationale ne cesse de le rappeler qu'elle constitue l'une des cibles potentielles en raison de la richesse de ses ressources naturelles, de sa position géographique stratégique, et de ses positions à l'international, notamment son non-alignement (Syrie, Irak, Yémen, Libye,…), et le refus d'intervenir hors de ses frontières. Stratégie de positionnement L'Algérie doit, au-delà de ses compétences dans le domaine de la sécurité et de son expertise avérée dans la lutte anti-terroriste, être capable de «vendre» un autre rôle aussi important sinon plus, à savoir : – sa capacité à participer à la sécurité énergétique de l'Europe à travers des initiatives favorisant le partenariat en matière d'exploration et d'exploitation, seule alternative à même de permettre d'assurer des engagements à moyen et long termes, y compris en veillant à mettre à niveau les dispositifs législatifs et réglementaires actuels jugés non attractifs (loi sur l'investissement, loi sur les hydrocarbures,…). Pour cela, l'association avec des partenaires maîtrisant les technologies «up date» devrait permettre à notre pays à travers l'accroissement de ses réserves pétrole et gaz de garantir un approvisionnement régulier à long terme, y compris par l'exploitation de ses ressources en gaz de schiste, dans un cadre respectant l'environnement et dans l'objectif de servir de levier au développement ; – dans cette perspective, avec l'Europe et au-delà avec les puissances citées – USA, Chine, Russie – conclure des accords stratégiques globaux, incluant des investissements et un véritable transfert technologique, notamment pour : – assurer le développement (transition économique) en dehors de la rente des hydrocarbures ; – contenir les flux migratoires à travers un genre de plan «Marshall» devant assurer le décollage économique du pays, et ainsi contribuer à fixer les populations ; – jouer un rôle moteur dans la stabilisation socio-économique du Maghreb. Il ne s'agit pas de simples négociations techniques pouvant échoir à des niveaux intermédiaires, mais d'options fondamentales du pays qui doivent être conçues et menées au plus haut niveau de l'Etat et réunir le consensus le plus large possible. Celles-ci doivent être initiées dans le court terme, notamment avec l'Europe, car des options et des alternatives sont en cours avec d'autres pays plus dynamiques sur ces questions, notamment au plan énergétique ; des pays tels le Qatar, les USA, la Russie, l'Iran, l'Australie,… ambitionnant d'investir l'important marché gazier européen, comme le montrent les projets de gazoduc en cours et en projet et les investissements dans les GNL (Qatar, Australie, USA). Des considérations économiques vitales pour l'avenir du pays doivent inciter à une réflexion de fond devant conduire à la conclusion d'accords stratégiques équilibrés avec ces puissances, voire avec des ensembles et devant garantir au pays une stabilité politique, économique, sociale et sécuritaire sur le long terme. Sachant que notre pays n'a pas les capacités de mettre en valeur seul ses immenses potentialités énergétiques, minières, agricoles et industrielles, il faudrait oser de nouveaux modèles de partenariats, associations et même de concessions dans différents domaines, et prendre exemple de certains pays qui ont su, lorsque leurs intérêts stratégiques étaient menacés, faire preuve de réalisme politique et aller au-delà des contingences habituelles. Ces mécanismes pourraient intégrer des partenariats stratégiques avec l'Europe, les USA, la Chine et la Russie dans les domaines de l'énergie, des mines, de l'industrie, de l'agriculture et des TIC. Il n'est un secret pour personne que la Chine a entre autres conclu des accords sur des concessions de terres agricoles avec de nombreux pays un peu partout sur la planète (Afrique, Amérique du sud, Asie, Ukraine, ….), pour assurer ses besoins en produits alimentaires, contre des investissements dans les pays concernés. Le «Tsar» Poutine a même été jusqu'à accorder des concessions portant sur 150 000 ha, sur 50 ans à la Chine, sur des terres «litigieuses» situées en Sibérie orientale, anciennement chinoises et conquises par les troupes russes au lendemain de leur défaite de Crimée contre les forces franco-anglo-prussiennes (1881). Objet de tensions et clivages entre les deux pays, la position de la Russie, au nom d'un réalisme politique rare, pour une nation connue pour être fière, inflexible et jalouse lorsqu'il s'agit de son intégrité territoriale et même au-delà (voir Ukraine et Syrie), renseigne sur l'évolution complexe des relations internationales marquées par la constitution de blocs (ex : Russie, Chine, Inde, Iran,…) pour faire contrepoids à celui jugé hégémonique dirigé par les USA. Il est vrai qu'à travers cet accord, la Russie se donne la possibilité : – de rentabiliser ses terres agricoles, exploitées à moins de 40%, faute d'investissements et de main-d'œuvre, particulièrement dans cette zone au climat difficile ; – assurer des débouchés pour son gaz, (30 milliards de dollars d'investissements avec la Chine) ; – desserrer l'étau qui semble se dessiner à ses frontières ouest. Cette posture d'un pays comme la Russie, inimaginable il y a encore quelques années, montre le dynamisme et la maturité des dirigeants politiques, lesquels, tels des joueurs d'échecs, sont sans cesse en quête de positionnement, qui pour dominer, qui pour se défendre, qui pour se prémunir face au partenaire/adversaire, qui pour fragiliser l'autre partie,… En outre, tenant compte des développements récents, la Russie a entamé son redéploiement sur les anciennes républiques de l'ex-bloc de l'Est, se rapproche du Moyen-Orient (Syrie, Iran) et de la Méditerranée (Libye, Algérie). Ces approches peuvent servir d'exemple pour l'Algérie. Aujourd'hui, il n'existe pas d'alignement total, les nations se concertent, s'unissent et font cause commune lorsqu'il y a une synergie d'intérêts. Elles peuvent dans le même temps et en d'autres circonstances être en compétition et se combattre parfois de manière sournoise sur d'autres sujets. On ne peut pas être d'accord sur tout (ex : cause commune pour les USA, la Grande-Bretagne et la France au Moyen-Orient, et guerre économique totale sur d'autres sujets). Tenant compte des développements géopolitiques hostiles marqués par l'affaissement d'Etats établis et la mise en péril d'autres, il est impérieux de prendre la mesure de l'enjeu pour éviter des scénarios extrêmes à notre pays. Pour cela, il est nécessaire de faire les bonnes analyses pour comprendre les enjeux et menaces géopolitiques qui se dessinent pour la région, notamment du Maghreb, afin de se projeter aux meilleures conditions possibles vers l'avenir. Connaissant par avance les visées des forces actives, leur influence et leur capacité de nuisance, usant de vulnérabilités, la riposte consisterait en la mise à niveau de la gouvernance politique, économique et sociale qui permettrait : 1- de rétablir la confiance et la cohésion sociales internes et constituer un bloc soudé porté par des valeurs et un projet communs ; 2- replacer l'Etat dans son rôle régalien de régulateur, incitateur et facilitateur au plan économique, et transférer la gestion économique aux entreprises publiques et privées pour booster le développement des divers secteurs. 3- prendre appui sur l'extraordinaire réservoir que constitue la diaspora et en faire un véritable levier de décollage (matière grise, gouvernance, sens de l'entrepreneuriat, main-d'œuvre qualifiée, capitaux, lobbying,…) au profit de notre pays, et ce, à l'exemple de nombreux pays ; 4- mettre en place des outils économiques transparents favorisant l'initiative par les opérateurs locaux et à même d'attirer les IDE considérés dans le monde comme un élément de mesure par excellence, et dont notre pays a nettement sous-estimé le poids en matière de développement et de transfert technologique. Pour cela, refonder un modèle de société porté par une véritable société civile agissante, moderne, progressiste et motivée ; 5- débureaucratiser et décentraliser la gestion économique et aller vers des pôles économiques régionaux, tenant compte des spécificités locales ; 6- revaloriser les valeurs du travail, du mérite et de la compétence comme critères de l'ascension sociale ; 7- établir un système de gouvernance et «d'accountability» de la gestion économique du budget de l'Etat. Il est impératif de tenir compte des connexions d'intérêts pour permettre à notre pays de tirer profit dans les meilleures conditions possibles de ce que l'on peut qualifier de véritable offensive tous azimuts des puissances sus-nommées. Pour cela, mettre en avant en lieu et place de nos seules capacités en matière de lutte antiterroriste dans lesquelles on semble vouloir nous cantonner de réelles opportunités d'investissements dans les énergies fossiles et renouvelables, les mines, l'agriculture, le tourisme, les TIC, l'industrie pétrochimique notamment,… Testons les recommandations faites à Donald TRump par le think tank WINEP (The Washington Institute for Near East Policy, rapport de février 2017), qui portent sur les pays du Maghreb, et particulièrement le positionnement vis-à-vis de l'Algérie. Le WINEP «recommande de considérer l'Algérie comme un partenaire avec lequel il faut investir en sus du domaine énergétique, dans l'industrie, l'agriculture,… et non pas le considérer en tant que simple récipiendaire de subsides (aides), et ce, afin de consolider sa stabilité et son développement». Exploitons ces signaux «positifs», qui semblent refléter une nouvelle perception de notre pays, qui émanent à la fois de Washington et de l'Europe (France en particulier), positivons et capitalisons l'intensité des relations commerciales avec la Chine à transformer en investissements, aller au-delà du volet militaire avec la Russie, et en faire des atouts pour tracer une stratégie et se repositionner à l'international dans une optique de transition économique optimisée. Néanmoins, ne soyons pas naïfs, car dans le même temps, des critiques sournoises émanant certes d'ONG, de canaux non officiels et parfois même de parlementaires de ces mêmes puissances ciblent notre pays.