Cette grève de l'éducation m'interpelle en qualité d'universitaire et de père d'un enfant scolarisé. Moi aussi je suis fatigué de ce pays. Je sens même une lassitude profonde. Depuis la grève dans ce milieu éducatif, aucun élan de solidarité en faveur des enseignants ne s'est manifesté, ni de l'opinion publique, ni des universitaires, ni des syndicats des enseignants du Supérieur. C'est suffocant ! Cette situation d'impasse atteste de manière patente du caractère criminel et anti-national de certains comportements sur lesquels il n'est plus possible désormais de se taire, sous peine d'être complice, comme l'a rappelé un collègue. Quel est le rôle d'un ministre de l'Education ? Si ce n'est d'appliquer la politique d'un gouvernement. Cette politique se fait-elle à l'encontre des enseignants, des élèves et des travailleurs de ce secteur ? Menacer les enseignants de l'éducation de licenciement ou de radiation serait un crime contre une frange de la population algérienne « en détresse ». Le ministre, en annonçant que ces enseignants percevront leurs arriérés ou leur « dû », avec un effet rétroactif depuis janvier 2008, réalise-t-il qu'il a un retard de deux années dans l'exécution des arriérés des enseignants ? La justice doit sanctionner ou démettre ce commis de l'Etat qui a accusé un retard dans sa mission et qui a causé une grève, un trouble à l'ordre public. Qu'attend le ministre de ces enseignants pour leur donner leur vrai « dû » ? Qu'ils crèvent ? Ils le font par centaines annuellement. Pourquoi les responsables algériens ont fait du salaire un sujet tabou ? Parce que eux, ils sont servis gratuitement. Les enseignants n'ont pas envie de manger de cette « bouffe gratuite » qui donne des complications. Selon la déontologie, les journalistes doivent rapporter de l'information sans influencer l'opinion publique, sauf dans l'article dit éditorial où le journal annonce sa tendance politique ou sa couleur. Pourquoi les quotidiens nationaux ont publié les salaires de ces « gueux » et ils ne l'ont pas fait en affichant au moins les salaires des secteurs touchés par les éclaboussements dus à la corruption ? Aucun journaliste n'a signalé que les rappels octroyés à ces « misérables » ne constitueront même pas la « mensualité » du ministre de l'Education ou d'un haut cadre de l'Etat Algérien ou de son député ou de son sénateur. Monsieur le ministre, si vous êtes arrivé à une situation de blocage, vous devriez démissionner et retourner à l'université pour enseigner vos cours de l'électrotechnique, sauf si vous vous voyez dépassé par la science qui a avancé à une vitesse vertigineuse. Savez vous, monsieur le ministre, que le coût de la vie algérienne est le même que celui en France ? Vous annoncez avec fanfare et sur tous les toits que ces enseignants vont percevoir 48 000 DA, qui n'est l'équivalent qu'au plus de 400 euros. Peut-on vivre avec 400 euros ? En France, des « sans emploi » perçoivent au moins 800 euros ou plus, avec les indemnités sociales. En Suède, les salaires oscillent entre 15 000 et 17 000 couronnes suédoises. La différence des salaires n'est que de 2000 couronnes. Dans ce pays règne la justice sociale. Vous êtes un scientifique, donnez les vrais droits aux enseignants et exigez par la suite des vrais devoirs ! Vous avez paralysé le secteur éducatif. Chaque année, vous brillez par une découverte, en réduisant le premier cycle à cinq années et en rétablissant le second cycle à quatre années, en changeant chaque année des programmes et en imprimant des millions de livres qu'il faut jeter l'année suivante. Vous avez fait de l'enseignant la « machine à examiner ». Chaque semaine un devoir, chaque mois un examen, etc. De quelle pédagogie s'agit-il ? Vous l'avez importée ! Vous ne pouvez pas faire confiance aux cadres de vos départements pour élaborer un « petit programme » où, à la fin d'un cursus, tout élève saura lire, écrire, parler et compter. L'enseignement est descendu à cet état d'abaissement déplorable qui menace de plonger toute la population dans l'ignorance et le fanatisme. Les enseignants malheureux étaient autrefois entourés de considération et vivaient dans l'aisance. Ils sont tous dans la misère, comparativement à d'autres franges de la société. Les études du primaire, du moyen et du secondaire ont été négligées. L'ex-ministre français de l'Education a dit clairement dans une intervention télévisée qu'il n'autorisait pas le passage d'un élève en classe moyenne s'il ne savait pas lire, écrire et compter. Chaque année, les enseignants sont incités à se révolter. Les classes d'examen du BEM et du bac sont mal préparées. Quelle est la résolution après ces semaines de grève ? Vous allez attribuer des baccalauréats de complaisance ? Comme l'a bien fait remarqué le sociologue Lhouari Addi, l'Algérie est le seul pays au monde où l'administration contrôle l'administration. L'affaire est conclue et oust !, tout ce monde de l'éducation va à l'Université chez Derbala et ses collègues qui vont s'arracher les cheveux. Nous recevons à l'université des bacheliers qui ne savent ni lire ni écrire ni parler ni compter !!! Le président de la République vous a obligé à corriger la « pondération » de vos examens du BEF. N'avez-vous pas de pédagogues dans votre secteur, ou bien n'avez-vous pas voulu les écouter, mais vous avez écouté le plus autoritaire ? L'association des proviseurs, les adjoints de l'éducation, les conseillers scolaires, etc. expriment leur mécontentement sur les dossiers des statuts particuliers et des indemnités. Est-ce que ces associations ont été associées aux débats sur « leur sort » ? Vous discutez et élaborez des statuts avec des représentants de l'UGTA, l'Union générale des travailleurs algériens, présidée par un vieil homme qui n'a jamais été dans un « atelier » depuis au moins « trente ans », comme l'a rappelé dans un débat télévisé Lionel Jospin, l'éducateur, l'enseignant universitaire à Georges Marchais, le communiste, le représentant des travailleurs. Les enseignants vont en classe et font leurs cours chaque matin ! Un enseignant est un éducateur, il n'est pas un travailleur ! L'éducation est définie par le développement d'aptitudes intellectuelles et du sens moral. En dehors du domicile parental, c'est à l'école moderne que revient, pour l'essentiel, la responsabilité de prendre soin des enfants qui lui sont confiés. Elle leur donne une culture et un savoir utiles et éduque leur caractère, leur fournit des distractions saines en dehors des heures de classe et veille à leur santé et à la qualité de leur alimentation(1). Là, ne sont donnés que quelques exemples de négligence. N'est-ce pas là un signe que dans votre secteur tout se fait au « pif » ou par autoritarisme ? Malgré les articles abondants parus ces derniers jours dans les quotidiens nationaux, décrivant ce marasme éducatif, criant leurs douleurs sur certains maux qui rongent l'école algérienne, la médiocrité qui s'installe dans le temps et qui se généralise, presque partout le spectacle de l'incompétence désolant, les pouvoirs publics n'ont pas dénié répondre favorablement à la communauté éducative. Mettez sur rails et sur de bonnes voies votre secteur, avec de la consultation des vrais partenaires et de la concertation. C'est votre mission, sinon ayez la grandeur de partir sur la pointe des pieds. Une école, un collège, un lycée ne sont-ils pas les lieux de communication et du savoir ? Pourquoi souhaiter une responsabilité si on est incapable de l'assumer ? Pourquoi baigner sa vie durant dans un univers où il est tant de responsables avides, uniquement occupés d'eux-mêmes, prêts à toutes les compromissions ? La responsabilité à l'éducation est-elle une sorte de sacerdoce au service des élèves, enseignants et travailleurs, ou le prétexte nécessaire pour assouvir des épanouissements personnels, de satisfaire ses fantasmes, de soigner de vieilles inhibitions, d'offrir une compensation à des complexes psychologiques anciens ? Mais à quoi bon une responsabilité inutile, qui ne sert à rien, à personne ? Le responsable de l'éducation a le choix, conquérir une responsabilité afin d'y trouver les satisfactions et les exaltations de l'instant, ou bien pour compter dans l'Histoire, longtemps après sa mort. Il restera dans cette Histoire, malgré les périls qu'il aura encourus. La seule ambition, c'est qu'elle lui permette d'accomplir une œuvre utile, mémorable, donnant à croire qu'il a triomphé du temps qui passe et qui efface ou détruit. Il a pour ambition de survivre à sa mort. Les deux vont rarement de pair ; ils ne font appel ni aux mêmes talents, ni aux mêmes vertus, ni aux mêmes défauts. Les vrais responsables veulent que la puissance qu'ils désirent ait un but, leur action une valeur pour d'autres qu'eux-mêmes, qu'elle leur permette de laisser dans la mémoire des enseignants une marque sinon heureuse, du moins utile. Ils veulent être de ceux qui auront compté dans leur temps et au-delà, qui auront infléchi le cours des événements selon leurs rêves. Quelle différence entre les grands responsables et les autres, avides d'ambitions médiocres ! Ceux-là privilégient leur réussite à court terme, sans voir où ils vont, sans le savoir, sans même s'en soucier ; dans leur marche, ils ont déçu les autres, ils se sont déçus eux mêmes, mais peu leur importe le mépris ou la haine qu'ils suscitent. Le triomphe espéré peut tourner au drame, pis, à la honte. Car l'exercice de l'autorité est cruel à qui ne sait qu'en faire. Valoriser sa situation personnelle aux dépens de sa position de responsabilité est nuisible au bien commun et injustifiable. Le responsable doit non seulement s'adapter aux circonstances, mais il doit aussi savoir se déprendre des habitudes qui font sa pente naturelle pour commander aux événements. Dans le milieu éducatif, il ne faut pas s'imaginer que ce sont les qualités personnelles et le talent qui feront octroyer une charge de responsabilité. Si on pense que la responsabilité nous reviendra pour la seule raison qu'on est le plus compétent, on n'est qu'un benêt. L'histoire nous apprend qu'on préfère toujours confier une fonction importante à un incapable plutôt qu'à un homme qui la mérite. Si on veut une responsabilité, il faut agir comme si notre seul désir était de ne devoir nos charges et nos prérogatives qu'à la bienveillance de notre maître. Pour obtenir une fonction, il faut prendre les devants, promettre des passe-droits à des gens influents, utiliser au mieux les services d'intermédiaires. Ils sont des enseignants qui veulent défendre l'éducation, par l'éducation et pour l'éducation où il n'est fait état d'aucune forme de communication ou de dialogue : au contraire, c'est l'hermétisme total. Il y a un manque flagrant de communication sous quelque forme que ce soit, un refus obstiné d'écouter les enseignants et travailleurs qui n'ont aucun recours ni au ministère de tutelle ni aux syndicats représentatifs qui ne sont pas reconnus. On déplore aussi l'absence totale de cadre d'expression pour l'enseignant. Au lieu de souder les composantes de ce milieu éducatif, des « mains de l'ombre » essayent de « monter » l'association des parents d'élèves contre les enseignants. Ces parents ne sont pas dupes. Ils savent différencier le bon grain de l'ivraie. Si les responsables politiques algériens n'avaient pas transformé notre beau pays en prisons psychologiques, les jeunes n'auraient pas besoin de se jeter à la mer ou trouver refuge auprès des Arabes du Moyen-Orient ou des Européens ou Américains. Aussi étendue que soit l'Algérie, aussi peuplée, aussi opulente soit-elle, il y a toujours pénurie d'hommes. On a même fait appel à des Chinois ! Si les enseignants accordent de l'importance à la grève, c'est qu'elle illustre la nécessité d'agir sans tergiverser lorsqu'il n'y a plus d'autre choix pour rester maître de son destin. Pourquoi a-t-on « algérianisé » le secteur de l'éducation ? Pour mater cette population d'éducateurs sans aucun « témoin », les coopérants techniques étrangers. Si les coopérants français étaient parmi nous, oseriez-vous donner 400 euros à un enseignant français ? On a un besoin urgent d'un audit dans tous les paliers de l'éducation, du primaire au Supérieur. Une participation des coopérants techniques dans le cursus pédagogique et scientifique est indispensable. Seuls, entre Algériens, sans références externes, sans repères ou témoins étrangers, nous avons faibli et sommes devenus médiocres. Nous avons honte dès que le « Roumi » est présent dans nos lieux. Nous remédions à nos lacunes, on rentre dans les rangs et les normes universelles à sa vue. C'est stupéfiant ! Selon mon collègue Ahmed Rouadjia, critiquer et accepter d'être critiqué, même de manière infondée, voilà qui permet d'animer les débats d'idées... L'Algérie est malade, aucun médecin n'est à son chevet. Qui réussira à la guérir ? Libérez les esprits et ne tourmentez pas les cœurs ! A. D. : Universitaire Références : (1) J.P. Martinez, G. Boutin et A. Jeannel. Une évaluation d'aujourd'hui pour demain. Les recherches enseignées en espaces francophones. Les éditions Logiques, 2002.