Cette même sentence critique et menaçante et bien d'autres, aussi violentes les unes que les autres, ont noirci bien des panneaux dans nombre de communes du pays : «Non aux élections mensongères», «Qui sera le prochain voleur ?» «La France est partie et a laissé ses enfants, les harkis !» «On ne vote pas pour les traîtres». Avant même le début officiel de la campagne pour les législatives 2017, dimanche 9 avril, dès leur installation au mois de mars, les panneaux d'affichage n'ont pas tardé à être pris pour cible. Tag, graffiti y ont très vite fleuri pour dire la démission populaire face à un scrutin qui peine, encore une fois, à susciter l'adhésion. On y retrouve des messages politiques, des moqueries, de la dérision et même des insultes. Des citoyens n'ont pas manqué l'occasion de prendre en photo ces panneaux d'affichage. Photos relayées, à souhait, sur les réseaux sociaux, certaines d'entre elles montrent avec beaucoup d'humour le discrédit dont souffre la classe politique, d'autres dénotent d'un rejet exprimé avec violence. A peine placés par les services des communes, plusieurs panneaux ont, aussi vite, été arrachés. A certains endroits, la contestation est allée encore plus loin : des poubelles ont été accrochées sur certains panneaux, en accusant, noir sur blanc, l'APN d'être «un ramassis d'ordures». Une véritable démonstration de force qui vient démentir tous ceux qui affirment que les Algériens ne s'intéressent pas à la chose politique. De l'avis du sociologue Nordine Hakiki, «les Algériens n'adhèrent pas au discours officiel, mais s'intéressent à tout ce qui touche le domaine politique. Ils s'y intéressent en jugeant les politiques parfois même violemment». Pendant que les 11 334 candidats engagés dans la course électorale enchaînent meetings, rencontres et sorties de proximité, sur le Web les photos de cette contestation spontanée et surtout anonyme circulent comme une traînée de poudre et viennent enrichir une campagne parallèle qui bat déjà son plein sur les réseaux sociaux : celle des fausses affiches et des photomontages toutes plus insolites les unes que les autres. «Fais entendre ta voix !» Dès la convocation du corps électoral, le 4 février, le ministère de l'Intérieur a lancé une campagne de sensibilisation pour inciter les Algériens à voter. Les affiches grandeur nature ont été placardées un peu partout dans le pays, mettant en scène des personnes souriantes brandissant leurs cartes de vote. Pour faire barrage à la menace du boycott, le ministère de l'Intérieur opte pour un slogan court et percutant : «Semaa soutek» (Fais entendre ta voix, ndlr). Mais c'était compter sans l'absence dérangeante d'un Président qu'on n'entend plus (au sens propre). Justement, le slogan a été une véritable aubaine pour les trublions du Web. L'affiche du ministère a vite été parodiée, en mettant en scène le Président lui-même brandissant une carte de vote avec comme slogan : «Semaa Soutek.» Sur la même image, une foule d'Algériens le montre du doigt et répond : «Toi, d'abord.» Pour Belkacem Mostefaoui, professeur à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information, cette violence est une réaction naturelle à une violence subie dans l'impuissance. «Les dispositions sociales de réactions dans l'espace public physique algérien en face de décisions autoritaires, en particulier du feuilleton d'élections tronquées, se manifestent souvent par la dérision, la colère, un détournement de rage exprimant un refus en face d'une mascarade, d'une farce… ou alors un mépris/évitement/silence sidéral de réaction», commente-t-il. Le rire semble devenir un réflexe inconscient de survie à une situation socialement et politiquement intenable. Sur une autre image de campagne parodiée, en réponse au slogan «Fais entendre ta voix», dans un phylactère, on peut lire : «Impossible, j'ai une bronchite aiguë !» L'allusion à l'annonce «d'indisponibilité temporaire» du président Bouteflika pour «bronchite aiguë» en février dernier, expliquant le report de la visite de la chancelière allemande, est évidente. «Montre ton visage !» Pour alimenter leurs attaques et moqueries, les agitateurs du Web exploitent toutes les failles. Même la hausse des prix des bananes, qui a marqué ces dernières semaines, inspire. Sur un fond gris portant le sigle du FLN en rouge, un homme en costume brandissant ostentatoirement une banane. Sur cette affiche, on peut lire : «Votez FLN et vous ne manquerez plus de bananes.» Contrairement à bon nombre de fausses affiches qui circulent sur la Toile, celle-ci est signée. Elle a été produite et publiée par EL Manchar, un site d'information parodique et satirique qui excelle dans le détournement. «On tourne en ridicule ce scrutin pour faire rire et pour répliquer aux politiques qui eux-mêmes nous tournent en ridicule», assume son fondateur, Nazim Baya. Autres images qui font le buzz, celles de ces candidates qui refusent de montrer leurs visages sur les affiches. Les potentiels électeurs n'ont droit qu'à des formes de têtes voilées et sans visage. Ces affiches n'ont pas manqué d'inspirer un nouveau slogan d'anticampagne : «Montre ton visage !» «Mieux vaut en rire qu'en pleurer», semble nous dire la Toile algérienne. C'est chose faite.