Elles sont candidates aux législatives, mais on ne les voit pas sur les affiches de leurs partis. Elles refusent de mettre leurs photos. Certains électeurs s'indignent déjà. Si certains partis ont toléré cet état de fait, le FFS vient de les retirer de sa liste. La polémique bat son plein. Du nouveau dans la campagne électorale. Des candidates aux législatives qui refusent de dévoiler leur visage sur les listes affichées. Sur plusieurs listes, on y voit des têtes de femmes voilées et parfois sans visage apparent. De simples silhouettes aussi sont proposées aux électeurs. Une nouvelle fois, la réaction des Algériens ne s'est pas fait attendre. Sur les réseaux sociaux ou ailleurs, tous s'indignent, même si certains affichent leur compréhension. Ammar, 52 ans, infographe a, au départ, pensé que c'était une parodie. Il raconte : «Au début, je n'ai pas pris cela au sérieux. J'ai pensé que quelqu'un l'a fait pour parodier, car pour moi, il est impossible d'arriver à un niveau aussi bas ! Ce qui me révolte le plus c'est l'absence de l'Etat qui n'a pas réagi face à cela. Il est complètement démissionnaire. Comment expliquez-vous qu'un Etat de droit puisse laisser passer une chose pareille dans une campagne électorale d'envergure nationale alors que pour établir un simple passeport, on nous exige des photos biométriques pour assurer une reconnaissance faciale !». Pour lui, c'est simplement un manque de crédibilité. Confiance Pour Souad, une fonctionnaire de 37 ans, «ces femmes n'inspirent pas confiance», avant d'affirmer : «Comment faire confiance à un élu si tu ne peux même pas voir à quoi il ressemble. La politique doit se faire à visage découvert. C'est un gage de transparence, de confiance et de respect pour les personnes dont on sollicite l'adhésion». Une enseignante s'interroge : «Ces candidates dont on ne voit pas le visage sur les affiches, que feront-elles demain à l'APN lorsque la camera fera un gros plan sur elles lors du débat en plénière ? Comment feront-elles pour porter haut les revendications de leurs électeurs et les défendre si elles tiennent à ne pas mettre mettre leurs photos sur les panneaux d'affichage ?». Pour Souad, cela «discrédite la candidate, son parti et toute la politique». Même son de cloche du côté du militant Samir Benlarbi qui estime : «Si une femme se présente comme candidate, elle doit impérativement afficher sa photo pour que les électeurs la connaissent et puissent, par conséquent voter pour sa liste». Selon lui, le cas des «candidates masquées» a deux explications : soit elles ne sont pas convaincues de leurs candidatures, soit que leurs dossiers ont simplement été utilisés pour compléter les listes pour que celles-ci ne soient pas rejetées. Le militant Othmane Aouameur a aussi une explication à cela. Islamisme Il soutient l'idée que cela «nous donne une vision claire de l'état actuel des choses. Ces affiches ont mis la lumière sur les contradictions dans lesquelles est empêtrée notre société. On ne sait pas ce qu'on veut. On cherche la modernité en incluant des femmes au parlement, mais on cherche quand même à conserver une certaine pudeur et de ‘'horma‘'». Ce dernier s'interroge : «Comment voulez-vous que je vote pour quelqu'un censé me représenter, mais que je ne connais même pas à quoi il ressemble ? Quelle sera la prochaine étape ? Des ministres sans visage ! Ce n'est finalement pas une question d'islamisme, c'est juste du conservatisme mal placé. D'ailleurs, certains partis qui ne sont pas conservateurs ont eu recours à ces pratiques comme le FFS. Othmane Aouameur a sa réponse : «C'est le résultat de ces quotas imposés de femmes dans les listes. Ces femmes ne se sont pas imposées pour leur militantisme dans les partis, mais sont apparemment plus utilisées pour remplir les cases vides. Je vois mal une militante qui se bat parmi les hommes et en parallèle, elle refuse d'afficher son visage. C'est un paradoxe». Réda, un fonctionnaire de 34 ans ne partage pas cet avis concernant l'islamisme et soutient : «L'islamisme frappe encore de plein fouet. Ces femmes islamistes, dont la plupart, acceptent leur statut inférieur imposé par l'homme macho et conservateur, songent par hypocrisie à devenir députées et représenter la société». Manque de respect Plusieurs questions, toutefois, le taraudent : «Vont-elles faire campagne avec un visage cachée ? Vont-elles faire campagne tout simplement ? Vont-elles montrer leur visage devant les autres ou devant les caméras si elles seront élues ? Comment une femme, qui n'arrive pas à s'assumer en tant que telle, peut prétendre représenter les autres». Comment en sommes-nous arrivés là ? Réda pointe du doigt le pouvoir en place. Selon lui, c'est lui qui a laissé faire le conservatisme. «Nous avons gagné la guerre politiquement et militairement avec l'islamisme, mais idéologiquement, non. Ce qui me désole le plus, c'est de voir ce phénomène chez les démocrates dont des fiches du FFS. Où allons-nous comme çà ?», conclut-il. Visiblement, cette nouvelle pratique interpelle même les jeunes. Hannane, une étudiante en droit à l'université d'Alger se désole : «C'est l'image de la décadence de l'Etat dans tous les secteurs et la preuve que la réelle élite est démissionnaire.» Sofiane, un étudiant de 22 ans affirme : « C'est un manque de respect envers l'électeur ! Comment peut-on demander au citoyen de choisir un représentant qui ne prend même pas la peine de s'afficher publiquement ? D'autres jeunes ironisent : Faites-moi voir votre visage, vous entendez ma voix. C'est scandaleux !». Idem pour Yasmine, future architecte de 23 ans. Elle confie : «Cela dépasse l'entendement que des femmes à visage caché cherchent à devenir députée. En plus, on les laisse faire. Comment peuvent-elles imaginer qu'on votera pour elles alors qu'elles ne daignent même pas montrer leur visage. Vu qu'elles ne respectent pas le citoyen dès leurs premiers pas, comment voulez-vous qu'elles le respectent une fois élues ?» Côté politique, Fatima Sendid, candidate tête de liste à Ouargla exprime son avis : «La femme doit s'impliquer pleinement dans la vie politique. J'estime qu'on n'a pas à se voiler la face si on veut investir le Parlement». Si cette histoire de femme à visage caché donne le tournis, c'est le FFS qui a surpris tout le monde en dévoilant des affiches avec ces femmes en question. Hassan Ferli, son chargé de communication rassure : «Les affiches ont été officiellement retirées». Ce dernier, qui avoue ignorer les raisons de ces femmes, n'a pas voulu donner plus d'informations sur d'éventuelles nouvelles affiches. Mais la chef de parti, Naïma Salhi avait affiché sa compréhension pour cette pratique, en affirmant, mardi dernier, dans un débat télévisé qu'il s'agit d'une première étape pour ces femmes dans la politique et tout doit se faire graduellement. Pour elle, ces femmes sont contraintes de cacher leur visage. Certaines, dit-elle encore, doivent garder «l'équilibre de son couple ou sa famille».