Se peut-il que le désert révèle l'homme pour lui-même ? C'est sans doute là l'une des raisons qui ont aligné à 9 heures, en ce matin de lundi, les dizaines d'athlètes de nationalités diverses sous le pic de l'Ahaggar, tous prêts à se lancer dans la course après le coup de starter. Tamanrasset. De notre envoyé spécial Un sourire ingénu d'enfant estampille son visage d'une sérénité désarmante propre aux gens du Sud. Mohamed, la trentaine à peine, veille la théière qui chauffe sur le feu à la lisière de la kheïma. A l'intérieur, une dizaine de personnes formant un cercle et assises à même le tapis sont prises dans le tourbillon des discussions sans fin sur l'actualité de ces derniers jours en Europe. L'ambiance est bon enfant et les tasses de thé de Mohamed achèvent d'installer l'assemblée dans le confort de la palabre pour de longs moments encore de la soirée. Il faut dire que l'endroit ne désemplit pas et mérite ainsi le statut d'une vraie maison d'hôtes. D'attrait irrésistible, ce réduit traditionnel de 3x3 m, couvert d'une peau de chameau, arrive à vider les multiples studios et villas du camp des jeunes d'Adrian de leurs locataires qui viennent faire salon. Pour toutes ces dizaines d'athlètes qui ont fait le déplacement, la plupart venant des grandes villes européennes, se retrouver dans le grand désert de Tamanrasset pour participer au marathon des Dunes, organisé par Sport Events International, est une opportunité à ne pas rater, d'autant plus que cette manifestation intervient à une semaine du nouvel an. N'est-ce pas là une belle opportunité pour joindre l'utile à l'agréable dans la mesure où sport et tourisme y pourront faire bon ménage ? Farida, une Algérienne de Cambridge, n'en pense pas moins. Elle raconte fièrement qu'elle en est à sa deuxième participation. « Venir courir dans le désert est une chance pour moi parce que, déjà, ça me permet de prendre quelques jours de vacances. C'est un moment d'évasion avant tout, et puis j'aime bien courir ; je cours presque tous les jours chez moi. » Farida semble tirer profit doublement de cette opportunité, puisque cela lui permet aussi et surtout de rendre visite à sa famille à Alger. Voilà qui peut bien conforter Abdelmadjid Rezkane, manager général de cette manifestation, qui s'est fixé l'ambition « d'amener en Algérie un grand nombre de touristes sportifs étrangers afin de leur faire découvrir des sites naturels et désertiques propices à la pratique de ce type d'épreuve d'endurance ». Le Marathon des dunes, qui enregistre sa 10e édition, a vu le jour pour la première fois en 2001 à Djanet. « Le plus grand désert au monde en pays touareg », commente Abdelmadjid, qui s'enorgueillit de ce que l'organisation qui a commencé dans des conditions très difficiles, s'améliore progressivement au fil des ans. Cette fois-ci, pas moins de trois cents athlètes d'horizons divers se sont joints à la partie. Garçons et filles de tous âges, qui par amour du marathon, qui par amour du désert, quand ce n'est carrément pas les deux à la fois, ont été du voyage, à la recherche de sensations fortes, comme seule l'immensité du Sahara sait en procurer. Le pic du Hoggar ! Tel un phare qui éclaire la mer du désert, ou le seul « être » toujours debout, maintenu à la verticale telle une stèle dédiée au temps dans un milieu tout défini à l'horizontal, plutôt à plat ventre. Ou comme qui s'est prosterné devant l'éternité. On aurait dit tout simplement que le paysage tout entier est une espèce de mémorial qui comporte l'inscription du temps dans chaque pierre, grande ou petite, posée à terre ou érigée dans le ciel comme autant de vestiges, ou des miraculés d'une fatale obsolescence du milieu. Se peut-il que le désert révèle l'homme pour lui-même ? De la roche partout C'est sans doute là l'une des raisons qui ont aligné à 9 heures, en ce matin de lundi, les dizaines d'athlètes de nationalités diverses sous le pic de l'Ahaggar, tous prêts à se lancer dans la course après le coup de starter. Nombreux qui, parmi eux, sont des professionnels du marathon. A l'exemple de cette jeune et athlétique italienne que l'esprit de compétition a ramenée pour la première fois dans le désert algérien. Son dernier titre, elle a dû aller le chercher au Brésil. Tam ne l'a d'ailleurs pas moins récompensée puisqu'elle est classée première dans sa catégorie. Elle affirme être venue pour goûter aux sensations du désert, un plaisir qu'elle veut bien connaître. D'autres compétiteurs, par contre, beaucoup moins jeunes, et pour certains en retraite de la vie active, sont tout simplement en quête d'évasion. Leur participation au marathon n'est rien d'autre qu'une promenade de santé. Il y en a qui sont des habitués de cette manifestation. Pour eux, c'est toujours l'occasion de découvrir de nouveaux endroits féeriques du Sahara mais aussi de se retrouver entre amis. Car, le Marathon des dunes a déjà 10 ans (Djanet 2001, El Oued 2002, Timimoun 2003-4, Tinerkouk 2005, Ghardaïa 2006, El Kantara 2007, Benis Abbes 2008, Kerzaz 2009). Cette compétition, qui s'est déroulée en trois étapes, a permis aux participants de découvrir les reliefs particuliers du site, mais d'abord la ville de Tam. Un passage obligé si l'on doit bien rejoindre Oued Terkani en ce deuxième jour de marathon. « Les habitations n'ont de cachet local que la couleur », constate, non sans dépit, Farida, qui clôt une série de commentaires sur une architecture très peu respectueuse des villes du Sud et de leurs normes urbanistiques. Comme quoi, la corruption des goûts n'est pas l'apanage des gens du nord du pays. De l'intérieur d'un 4x4 parcourant la ville, on peut en effet remarquer la face hideuse des maisons mal finies ou l'insoutenable image de murs en parpaing fraîchement érigés au-dessus des rez-de-chaussée. « Même là, l'architecture n'est pas respectée », soupire Nawel, dont le regard n'arrive pas à se détacher du pâté de maisons qui longent l'artère principale. En quelques minutes, le cortège de voitures transportant les athlètes-touristes s'éloigne de la ville et s'enfonce entre les pics qui pavoisent le plateau qui culmine à 1400 m. « Tiens, on n'a pas l'impression qu'on est dans le Sud ; quand on regarde, on se croirait sur les Hauts-Plateaux », lâche Farida, visiblement bien inspirée ce matin à nous livrer ses impressions quelques dizaines de minutes avant le départ de la deuxième étape du marathon dont elle tiendra le chrono. L'oued Terkani, un paysage fantomatique. Point de sable ou presque. Ici, le désert se confond avec de la pierre. En fait, Tamanrasset est le royaume de la pierre. De la roche partout. Des pics multiples aux couleurs basaltiques encerclent le site. Nul besoin d'être expert, on aurait dit que là, un jour, la mer a retiré sa couverture d'eau pour laisser voir les très nombreuses pierres en tous genres qui peuplent l'immense territoire de Tamanrasset dont on dit qu'il est aussi grand que la France. La course devait s'ébranler aujourd'hui, juste au-dessous du Djebel Tenghakli. Le décor est martien. On eut cru que cette surface désertique était façonnée par d'intenses bombardements qui ont donné lieu à cette étonnante décomposition des pierres de divers calibres et dont certains sont presque aussi grands qu'une maison. Un vaste musée à ciel ouvert où chaque pierre est une pièce d'art magistralement entreposée par Dame Nature. Cette manifestation sportive, qui est répartie sur trois étapes, a ainsi permis sur un parcours total de 42 km d'avoir accès au charme de certains sites de la capitale du Hoggar. « Le désert dans la gorge » Difficile de résumer les plaisirs du désert autrement que par ce mot qui pourtant — sensation étrange ! — semble habité par toute une vacuité… Un vide définissant tout une absence quasi-virevoltant avec la plénitude, bref une omniprésence dans une dualité des contraires nécessaires à la vie. En parlant de la vie... Quel triste sort que celui réservé aux habitants de cette charmante ville du Sud qui a cruellement soif. Toute la population attend avec impatience l'acheminement de ce liquide précieux de In Salah. Un vénérable projet auquel on voue un culte presqu'aussi religieusement qu'à l'évocation de la reine bérbère Tin Hinan. Distantes de 750 km, les deux villes sont en cours d'être reliées par une double conduite d'eau longue de 1258 km. Ce système de double voie de canalisation devra permettre de parer à tout risque de rupture d'alimentation en cas d'incident. Le rendez-vous est pris. Ce mégaprojet devant être réceptionné au cours du premier semestre de l'année en cours se décline par un premier pompage d'eau de la nappe de l'albien située à In Salah, son transfert vers le chef-lieu de wilaya, Tamanrasset, par des conduites souterraines à des niveaux d'altitude différents, et un second pompage au niveau du réservoir de réception situé non loin du même chef-lieu. Ce projet prévoit de couvrir les besoins en eau potable des habitants de Tamanrasset ainsi que ceux des régions périphériques, à raison de 50 000 m3 par jour dans un premier temps pour atteindre dans un second temps 100 000 m3/jour à l'horizon 2040. En tout cas, tout le monde ici s'accroche à ce projet qui devra, à coup sûr, améliorer les dures conditions de vie des habitants de Tam. L'approvisionnement en eau reste pour eux le problème no 1. L'on affirme même que l'eau s'achète à prix fort, ce qui fait que la consommation journalière est rationnée. Il est aisé de remarquer que les fruits et légumes y sont une denrée rare. Hormis la piètre qualité de ces produits maraîchers, qu'il faut du reste vraiment chercher à voir sur les étals des commerces de la ville, force est de remarquer que leurs prix restent hors de portée pour la majorité de ses habitants. Des témoignages recueillis sur place renseignent sur le peu de place qu'occupent les fruits et légumes dans l'assiette des ménages touareg. Il semblerait même que le manque d'eau dans la région génère tout un commerce de ce liquide. Les autorités locales gardent d'ailleurs bon espoir de voir aboutir ce projet dont on escompte une amélioration certaine du niveau de vie des habitants de la capitale du Hoggar.