Mercredi matin, à Tamanrasset, à 2000 km au sud d'Alger, Mohamed, la trentaine, sans emploi, pense à son fils et aux risques évidents des piqûres nocturnes de scorpion. Son taguelmoust blanc cache pudiquement sa bouche et l'expression d'amertume des nomades dramatiquement sédentarisés dans des bidonvilles, comme à Sourrou, quartier de 300 habitants à la sortie de Tam, vers le pic de l'Adriane. A quelques matraques de CNS, aux yeux rougis de fatigue, et des traces de pneus brûlés, des agents d'entretien s'affairent, sans enthousiasme, à remplacer les lampadaires luxueux devant le siège de la wilaya. Les anciens lampadaires endommagés par des tirs de pierres, l'insomnie des agents de l'ordre et les traces d'incendie de la DRAG, des directions des moudjahidine, du commerce, de la jeunesse et des sports et du siège de l'APW témoignent on ne peut plus clairement de la violence des journées de samedi, dimanche et lundi derniers, avant un retour au calme mardi. Que s'est-il passé ? « Samedi 9 juillet, à 7 heures, nous sommes partis, gens de plusieurs quartiers, à la wilaya dans le cadre d'une manifestation pacifique pour obtenir une réponse à nos revendications de travail et de logement », raconte Mohamed, habitant du quartier précaire de Sourrou. A côté, des femmes sortent des bicoques en toub pour balayer, inutilement, les tonnes de poussières. Dans le sillon des femmes en tenue colorée à souhait, des enfants en haillons chassent en courant la violente lumière du désert. « Nous sommes là depuis plus de 40 ans, vivant dans des taudis, menacés par la pluie et les scorpions. Nous sommes des Touareg mal sédentarisés dans ces bidonvilles, ici à Sourrou, à Tahaggart et à Imechwen. Le taux de chômage ici est de plus de 80% », lance Mohamed. « On a demandé à voir le wali, mais il n'était pas là. Nous avions déjà déposé nos revendications à la wilaya, chez les élus... En vain... », se plaint-il. Le wali, Djari Messaoud, bénéficiait, ce samedi-là, de son premier jour de congé, affirment des cadres de la wilaya, et devrait regagner Tam aujourd'hui. « Il s'est sauvé au bon moment », commente Mohamed. « Nous avons insisté pour le rencontrer malgré tout, et là un policier a frappé un des jeunes manifestants. D'autres policiers nous ont insultés. Par la suite, on ne pouvait plus contrôler les jeunes. Nous étions organisés au début, mais des voleurs et des casseurs ont profité de la situation », dit Mohamed, qui regrette que les responsables n'aient pas « au moins bluffé les jeunes rien que pour calmer les esprits ». « La patience a des limites », lâche un voisin de Mohamed, alors que les enfants continuent à s'amuser avec des bouts de bois longilignes improvisés en montures galopantes. « Samedi, ils ont refusé le dialogue, même avec des notables, des sages et des élus. Ils disaient vouloir rencontrer, sinon le wali, le ministre de l'Intérieur, le chef du gouvernement ou le président de la République », explique le secrétaire général de la wilaya, Habib Benbouta, qui parle d'une soixantaine de manifestants qui ont passé la nuit de samedi à dimanche devant le siège de la wilaya. « Dimanche au petit matin, nous leur avons réitéré notre volonté de dialoguer. Rien. A 10 heures, des bidons d'essence ont fait leur apparition et des gens ont incendié le siège de l'APW (à quelques dizaines de mètres du siège de la wilaya) et les directions adjacentes, comme celles des moudjahidine, du commerce... », indique Benbouta. « Là, on a demandé aux forces de l'ordre d'intervenir », dit-il. Mardi dernier, 64 jeunes ont été présentés devant la justice, selon des sources judiciaires sur place. Le procès a été renvoyé au mardi 19 juillet. « Certains adolescents n'avaient pas de papiers d'identité sur eux. Leurs parents ne se sont pas présentés. En plus, c'est un gros dossier, les pertes matérielles sont importantes et c'est une première à Tam », déclare notre source qui précise que la majorité des mineurs ont été relâchés. Dimanche dernier, à partir de 10 heures, des groupes ont procédé à l'incendie des différentes directions citées, ainsi que du bureau de main-d'œuvre de l'annexe de l'APC à Sourrou, le siège de la direction de la réglementation et de l'administration générale (DRAG) où le bureau des associations et la salle d'informatique ont été ciblés. « On dirait que Tam est gérée par le Mali ! » A 11 heures, quatre voitures et un minibus de transport des travailleurs de l'ENOR (société des mines d'or) ont été saccagés et un véhicule a disparu. A 13 heures, c'est au tour de la direction de la jeunesse et des sports d'être attaquée. Les vitres de la toute proche direction du transport ont été touchées. Lundi, le marché de l'Assihar, de l'autre côté de l'oued Tamanrasset, subit une tentative d'assaut repoussée par les commerçants. Ce n'est pas le cas au marché de Tahaggart où des témoins rapportent des scènes de pillage. La nuit de lundi a connu sa part d'anxiété : attaques contre des commerces aux quartiers Sersouf et Tafsit. A la place du 1er Novembre, des magasins sont attaqués, des témoins signalent le pillage d'un point de vente de téléphones portables. « Nous n'avons aucun lien avec les casseurs », répète Mohamed et ses amis qui le rejoignent au café. Lundi soir, la rumeur gronde. « On en veut aux Blancs, aux Chnawa ! ». « Jamais on a eu de problèmes avec les gens du Nord. Ils viennent eux aussi comme tous les Algériens et les étrangers gagner leur pain », indique Mohamed, qui nous invite à un café-crème à côté de Sourrou. « Non, ils n'ont rien contre les Nordistes. Ce sont des Touareg blessés dans leur honneur qui réclament leur part de dignité. Si au moins leurs propres élus targuis les avaient écoutés », dit cette Kabyle installée depuis des années à Tam. « Comment expliquer que des sociétés ramènent des agents de sécurité du Nord, leur paient billets et prise en charge et n'emploient pas des gens d'ici ? », s'étonne un Chaoui entrepreneur qui dit employer 20 manœuvres de Tam sur la trentaine composant le personnel de chantier. Mardi, selon une habitante de Sersouf, une tentative d'assaut contre la poste a échoué. « C'est normal que les gens se révoltent. Personne ne nous écoute. On dirait que Tam est gérée par le Mali », explose-t-elle. Des rumeurs de la venue d'une délégation officielle font le tour de la capitale de l'Ahaggar et c'est la colère. « Non, le ministre de l'Intérieur n'est pas annoncé, mais il est tenu au courant chaque matin », révèle un fonctionnaire local. « Nous sommes là pour favoriser le dialogue avec tout le monde », atteste le député RND, Edaber Ahmed, natif de Tam, arrivé d'Alger mardi soir après un vol de cinq heures. Le FLN laisse les portes en fer forgé du siège de sa mouhafadha ouvertes la nuit. Mais personne ne semble sortir de la nuit. Depuis mardi donc, le calme semble s'être réinstallé dans cette ville nichée aux abords est du somptueux plateau du Hoggar. Les rues sont nettoyées, les bilans des dégâts patiemment rédigés par les membres de l'APW qui refusent de s'exprimer, les passants nonchalants sont sous les platanes ombrageant des murs de pierre d'une teinte brune orangée. Le soir, des équipes du Groupe d'intervention rapide (GIR) de la gendarmerie et des renforts de CNS de Ouargla quadrillent la ville et les inquiétudes. « Le calme n'est revenu que grâce aux renforts des services de sécurité », affirme un élu local en basane grenat. Matraques et masques à gaz à côté, des policiers sirotent le thé sous un ciel étoilé. Les boulangers, eux, menacent d'une grève si la sécurité n'est pas rapidement rétablie. « On manque de pain, c'est l'état de guerre ! », commente un restaurateur sétifien du côté du marché du centre-ville. Les magasins n'osent pas encore ouvrir. Le rationnement des épiceries est menacé de pénurie. Car les camions de ravitaillement n'osaient pas entrer à Tam ces trois derniers jours. Et demain ? « S'il continue à nous ignorer, nous nous soulèverons une deuxième fois », dit Mohamed, sans colère, à travers son chèche immaculé. Maintenant, après le café du mercredi matinal dans une ville ouverte aux magnifiques pics du Hoggar, il préfère parler de son fils, trop jeune pour aller à l'école, mais concerné par les piqûres de scorpion, de l'hiver et de l'été. Vent de panique au marché de l'Assihar Hier, à Tamanrasset, 2000 km au sud d'Alger, le marché dit des « Souk souwadin », site de la foire annuelle de l'Assihar, a connu, à 17h30, un vent de panique après des rumeurs de risque d'attaque contre les commerçants. Le cordon de gendarmes du GIR présent à l'entrée a été vite renforcé par des dizaines d'éléments antiémeute de la gendarmerie et de la police. « Les commerçants sont sur les nerfs, ils n'ont pas dormi ces derniers jours après la tentative d'assaut contre ce marché, lundi dernier, et le pillage du marché de Tahaggart », explique un officier de la gendarmerie. « Avec ce vent et ces bâches en nylon que nous utilisons pour protéger nos étals, une braise suffira pour tout emporter », indique un commerçant. Un quart d'heure après la panique, les choses sont rentrées dans l'ordre. « Nous maintenons nos patrouilles pour que les gens se sentent sécurisés », dit l'officier, l'œil sur le déploiement des 4x4 verts vrombissants. Les marchands de tapis, de vêtements, etc. ont regagné leurs étals, gardant tout près de leur main gourdins et barres de fer. La tension restait vive en fin d'après-midi à Tam.