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L'Assekrem :le paradis minéral…
Quinze mille touristes s'y rendent chaque année pour découvrir ses merveilles
Publié dans La Tribune le 03 - 01 - 2010

Le soleil se lève sur les montagnes de basalte rose qui nous dominent. Un vent glacial traverse le col sur lequel la maisonnette de notre refuge est installée. Cent mètres de dénivelé plus haut se dresse le plateau de l'Assekrem. C'est du haut de ce piton rocheux situé à presque 3 000 mètres d'altitude, qu'un spectacle inoubliable, grandiose aux dernières lueurs du jour ou au lever du soleil, irradie nos yeux émerveillés par une grâce divine. Des rochers, des aiguilles semblables à des orgues, des pics magnifiques, des cratères comme sur un volcan se teintent d'une lumière jaune, orangée, puis rose.
C'est pour savourer cette harmonie de lumières chatoyantes que des milliers de touristes européens traversent des plateaux jonchés de cailloux, de graviers colorés, de gros sable rougeâtre, de terre craquelée. Les simples mortels, en foulant ces lieux, restent bouche bée face à ces paysages aux formes étranges, fantastique décor où se dressent aiguilles et pitons isolés. Des roches noires voisinent avec le granit rose, les orgues basaltiques et autres minéraux passent par des tons de beige, gris, rouge, ocre selon l'heure.
Il faut dire également que les levers de soleil sont splendides quand on a le courage de sortir par un matin froid de son duvet par des températures glaciales. A l'Assekrem, les couchers de soleil sont encore plus merveilleux. Ils embrasent les crêtes découpées, allongent les ombres des acacias, des pierres, des personnes, des dromadaires, de tout ce que le soleil touche avant de disparaître. Le ciel se pare, alors, de teintes pastel, dégradées de bleu, jaune, orangé et, si par hasard quelques nuages égarés viennent à passer, ils sont aussitôt changés en vapeurs rougeoyantes.
Comme si un artiste était passé par là
On comprend à ce moment-là pourquoi le plateau de l'Assekrem draine une foule aussi nombreuse durant cette période de fin d'année où les fêtes de Noël et du Nouvel An donnent une magnifique opportunité aux amoureux du Grand Sud algérien d'accomplir leur pèlerinage habituel à l'Assekrem. Et pour ce faire, ils parcourent 80 km à partir de la ville de Tamanrasset en traversant, à bord de puissantes 4X4 ou à dos de dromadaire des zones où les roches, tourmentées par les vents, le sable, le gel, la violence des pluies et le soleil, ont pris des formes multiples, surprenantes, comme si un artiste était passé par là. Même dans les anfractuosités de la pierre dorment des geckos et autres lézards aux écailles grises, vertes, brun-rouge, pour ces survivants du jurassique. Durant cette traversée, il est impossible de ne pas succomber au calme divin du désert. En effet, le silence règne en maître dans ces contrées désertiques, agréablement rompu par les trilles du moula-moula. Oiseau noir au croupion blanc et dessus de la tête blanc chez le mâle, on le rencontre partout dans le désert. Il aime accompagner les randonneurs à distance. Il va d'acacia en acacia, attendant la levée du camp pour grappiller les miettes du repas. D'autres oiseaux jouent sur les rochers. Perché sur le bord de la falaise, un vautour d'Egypte attend.
Plus farouches, les gazelles fuient à notre approche, leurs empreintes sur le sentier témoignent de leur présence. Les ânes acceptent une distance plus courte avec ces intrus à deux pattes. Les geckos s'immobilisent dans une fente et se fondent avec le rocher. Les têtards nous ignorent, trop absorbés qu'ils sont à devenir grenouilles et le joli insecte bleu, le coléoptère, franchit de ses trois paires de pattes les graviers colorés.
Quand aux dromadaires, ils sont moins discrets car ils n'hésitent pas à blatérer leur mécontentement dès que les touristes désirent lever leur camp. Ces derniers, le temps d'une nuit, sont impressionnés à chaque fois que des ânes sauvages caracolent près de leur bivouac en accompagnant leurs cavalcades de braiments intempestifs. Mais la magie de l'Assekrem commence sans nul doute au moment de cette détente au bord des bassins de la guelta Afilale. Bien qu'on soit dans le désert, comme par mystère, l'eau n'est jamais très loin. Les visiteurs croisent des oueds asséchés dans lesquels en creusant on trouve de l'eau. Une eau claire et fraîche. D'autres oueds gardent encore des poches d'eau de la dernière pluie. Rares pluies, mais soudaines et violentes. Un matin, dans une gorge si étroite que le soleil avait peine à se glisser, l'eau était encore figée par le froid de la nuit. Une couche de glace épaisse résistant aux coups des cailloux. Décidément, le désert ne finira jamais de nous surprendre. Et, à ce propos, les alpinistes peuvent en dire un mot. Eux qui viennent chaque année escalader l'Atakor avec un point d'orgue sur le Tezoulag sud, la Tefedest et son mythique point culminant, la Garet El Djenoun et, enfin, les dômes de Tesnou, s'extasiant devant la majesté de ces montagnes mythiques au pied desquelles les Touareg ont façonné leurs légendes. Des légendes, des mythes et des contes anciens qui ont fait la réputation mondiale du Parc national de l'Ahaggar au point que près de quinze mille touristes européens viennent chaque année se «blottir» contre les parois et les falaises dorées de ces fabuleuses montagnes.
Il faut dire que depuis que Charles de Foucault a construit un ermitage au début du siècle dernier au sommet de l'Assekrem, un ermitage encore habité aujourd'hui, l'austérité de ce décor minéral, avec ses pics culminant à près de 3 000 m d'altitude, fascine les amateurs du Sahara dans le monde. La beauté du coucher du soleil reste gravée à jamais dans leur mémoire. Au cours de leur voyage, des touristes découvrent tous les contrastes du massif de l'Ahaggar, depuis les roches volcaniques à perte de vue jusqu'aux sources d'eau fraîche qui jaillissent au milieu des figuiers au pied du très beau pic d'Imérous.
L'Ahaggar : le joyau du Sahara
Situé au cœur du plus grand désert au monde, à 2 000 km des côtes méditerranéennes, le Parc national de l'Ahaggar est, en réalité, un espace protégé de
450 000 km2. Il comprend des richesses et un héritage naturel et culturel rares et fragiles. Dans ce parc, les espèces, plantes et animaux, les sites paysagers, le patrimoine archéologique et culturel sont spécifiques et présentent un intérêt particulier. Depuis des années, il constitue un important terrain pour la recherche scientifique et l'observation de la nature. Aujourd'hui, il est considéré comme un grand livre de géologie dont les premières formations remontent à plus de 3 milliards d'années. Selon les plus récentes recherches, il y a 350 millions d'années, l'Ahaggar était immergé et la plaine du Tidikelt recouverte d'une forêt équatoriale, aujourd'hui fossilisée. Entre 65 millions et 1 million d'années, la région a connu une intense activité volcanique ayant donné naissance à de grands cratères à l'exemple de Tiguet N'Herhi et formé les reliefs montagneux de l'Atakor comme l'Assekrem et le mont Tahat, point culminant d'Algérie à 3003 mètres d'altitude. Ces activités ont peu à peu modelé le paysage actuel, affiné par l'érosion éolienne.
Il faut savoir que l'une des originalités de l'Ahaggar est la présence de plans d'eau libre permanents. Les gueltate ou «aguelmam» sont des sources d'eau qui coulent, parfois, en cascade. Elles constituent le principal facteur de développement des biocénoses sahariennes. Issakarassen et Afilal sont classées zones humides d'importance internationale par la convention Ramsar.
Les gueltate sont des abreuvoirs naturels pour les animaux et ont un rôle fondamental dans le déroulement des migrations saisonnières d'oiseaux. D'autre part, la richesse floristique de l'Ahaggar est composée de 370 espèces d'origines diverses adaptées aux conditions climatiques extrêmes de la région. La faune est très diversifiée et compte plus de 200 espèces. N'est-ce pas là une toile unique en son genre peinte par le Grand Génie de l'Univers ?
Le tombeau de Tin Hinan tombe en désuétude
Une toile à laquelle les hommes, nos ancêtres les Berbères notamment, ont apporté tout de même leur propre touche. En témoigne la figure mythique de Tin Hinan, dont le tombeau fut découvert à Abalessa à environ 80 kilomètres de Tamanrasset et daté du 4e siècle avant notre ère. Cette reine, qui demeure une légende se transmetant par tradition orale chez les Touareg du Hoggar, n'a jusqu'à aujourd'hui pas encore livré entièrement ses secrets. Il faut savoir à ce sujet que le monument de Tin Hinan occupe la partie supérieure d'une colline située sur la rive gauche de l'oued Tifirt à proximité de l'oasis d'Abalessa. Ses
dimensions sont de 26,25 m de grand axe, 23,75 m de petit axe et 4 m de hauteur.
Lors de sa découverte, le monument était recouvert d'un amas de grosses pierres qu'il a fallu déblayer avant d'entreprendre les fouilles. L'enceinte, régulière, était formée d'un mur en pierres sèches et certains de ces blocs étaient si volumineux que se posait la question de savoir comment leur transport au sommet de la butte s'était effectué. D'où l'hypothèse de l'œuvre de populations étrangères à la région. La fouille du mausolée, unique dans le Sahara, a permis de découvrir onze salles. La plus grande avait pour mesures 6x7 m et la plus petite 3,50x2 m. Une seule porte communique avec l'extérieur. Dans le tombeau, découvert en 1935, où reposait le squelette de Tin Hinan, on a découvert un mobilier funéraire, des bijoux en or et en argent, des pièces de monnaie à l'effigie de l'empereur romain Constantin, des fragments de poterie et des petites statuettes féminines. Aujourd'hui, le squelette de Tin Hinan, celle qui voyage, repose au musée du Bardo d'Alger. Mais cela n'a pas mis fin pour autant aux divergences des archéologues et des chercheurs car sur le site les fouilles demeurent interdites et, semble-t-il, les spécialistes ne savent pas précisément le nom de la sépulture et pas plus que du squelette trouvé. Avec le temps, une autre hypothèse est apparue. Selon ses défenseurs, le monument au départ a été un fortin et une gravure datant du IIIe siècle le prouve. Ce n'est donc guère un monument funéraire. Vrai ou pas, les chercheurs demandent des fouilles complémentaires, puisque, d'après eux, le site a été mal étudié. En revanche, Slimane Hachi, directeur du CNRPAH, veut absolument préserver le mythe fondateur des Touareg qui remonte à Tin Hinan.
Pendant que la polémique enfle dans le milieu restreint des archéologues, le tombeau de Tin Hinan tombe en désuétude et se retrouve livré à lui-même et aux affres du temps. si incroyable que cela puisse paraître, ce haut lieu de l'histoire et de la mémoire de notre pays, et nous l'avons constaté de visu lors de notre visite, n'est même pas surveillé comme il se doit. Un seul gardien veille sur les lieux dont les façades construites en pierres s'effondrent de jour
en jour faute de travaux de restauration et de réhabilitation en bonne et due forme. Par ailleurs, une simple clôture protège ce site des pillards qui sont, de l'aveu même des habitants des environs, de plus en plus nombreux. «Quiconque peut entrer dans ce site, tellement il est ignoré par les autorités locales», confient avec beaucoup de rage au cœur les habitants d'Abalessa qui ne comprennent pas pourquoi le tombeau de Tin Hinan n'est pas valorisé. Et le déclin est tel que même les circuits touristiques mis en place par les tour-opérateurs préfèrent éviter ce lieu devenu un insignifiant site historique ! Qui l'aurait cru ? Et même ceux et celles qui s'y rendent par curiosité ne trouvent même pas un guide pour leur donner la moindre information sur ce monument célèbre dans le monde entier. Force est également de constater qu'aucun représentant des autorités locales n'est présent sur place pour accueillir les délégations de touristes étrangers. Seul un gosse, âgé à peine de 11 à 12 ans, faisant à longueur de journée le pied de grue au bord de la route mitoyenne au site, montre le chemin à des touristes étrangers désireux de connaître cette Tin Hinan reniée visiblement par son pays, l'Algérie. C'est cet enfant aussi qui convie les visiteurs à passer par le petit musée du site où ils pourront apprendre des informations sur le monument grâce aux maquettes et aux photos des pièces archéologiques exposées. Dans quel pays a-t-on vu un enfant pallier les déficiences de toute une direction régionale du tourisme ? «C'est cet enfant qui part chercher
quotidiennement les touristes en les apostrophant sur la route asphaltée. Ils les guide vers le monument et les emmène jusqu'au petit musée. La plupart des guides veulent éviter ce monument à leurs touristes car même eux ne connaissent pas son histoire et sa valeur. C'est vraiment grâce à cet l'enfant que ce site n'est pas encore tombé dans l'oubli», reconnaissent les vieux de l'oasis d'Abalessa. Pourquoi un tel mépris et une telle indifférence pour un tel monument ? La question brûle les lèvres des touristes qui passent par ce lieu secret et mythique. Et dire que le Parc national de l'Ahaggar renferme des sites archéologiques qui témoignent d'une occupation humaine quasi permanente remontant aux âges les plus reculés de l'humanité. Le sol est ponctué de sites, de vestiges et d'outils produits et utilisés puis abandonnés par les hommes préhistoriques depuis plus de 1 million d'années, jusqu'à la fin des temps préhistoriques. L'Ahaggar est aussi l'un des plus anciens foyers d'invention de la céramique au monde (plus de 10 000 ans) et l'un des berceaux de l'agriculture, de la culture du mil sans oublier ces milliers de gravures et de peintures du mode d'expression artistique rupestre. De toutes ces richesses, le
tombeau de Tin Hinan est incontestablement le symbole de ce trésor national qui suscite l'envie de plus d'un pays. Mais à voir comment ce patrimoine est
laissé à l'abandon, on se demande sérieusement si notre pays mérite un patrimoine aussi fabuleux. Voyez-vous, même dans le paradis minéral de l'Assekrem, des taches noires subsistent…
A. S.


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