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Le compromis national-libéral est l'enjeu du dialogue
Publié dans El Watan le 25 - 07 - 2017

Le projet de réforme du code du travail, qui vient d'être retiré, était envisagé depuis 2005 et prétendait atteindre les mêmes objectifs, même si sa présentation s'est faite après avoir perdu bien des années et sans avoir totalement pris la mesure des limites des démarches précédentes. Ce retard est imputable, dans un premier temps, au coup porté au syndicalisme revendicatif par le pacte social et économique signé lors de la tripartite de juin 2006, à l'initiative du gouvernement Belkhadem, puis au Printemps arabe, dans lequel se sont engouffrés certains syndicats autonomes, qui, parce qu'on les poussait vers une lutte pour leur survie, au lieu de participer à organiser le monde du travail, se sont inscrits dans la CNCD.
La démarche politique portée par cette dernière a été condamnée par la société au nom de la stabilité face au danger d'un retour de l'islamisme. Rejet confirmé à l'occasion des législatives de 2012, puis de 2017. Dans un tel contexte, seules subsistaient les revendications salariales autour desquelles les syndicats autonomes allaient refaire la démonstration de leur combativité, tandis que tout débat était récusé de la part du gouvernement. Et en premier lieu celui sur le code du travail. Les choses sont-elles en train de changer ? L'offre de dialogue du nouveau Premier ministre sera-t-elle à la hauteur des exigences ?
La constante pression des forces au pouvoir, aujourd'hui renforcées à la suite des législatives du 4 mai 2017, les indécisions des segments patriotiques et modernistes en son sein, les réticences, ou l'hostilité de ceux dont les sympathies au sein de ce pouvoir vont vers les forces de l'argent sale, l'ont fait hésiter dans son ensemble, malgré l'exigence d'un virage en faveur d'une économie productive et du développement en grand du travail. En effet, le néolibéralisme, adossé à la rente, semble s'épuiser depuis qu'il a été mis en œuvre dans le sillage de l'ajustement structurel, inspiré par les institutions financières internationales.
Les deux moments de recul sur cette nécessité de changer de modèle s'étaient manifestés par le remplacement d'Ouyahia à la tête du gouvernement par Belkhadem, en 2006, et par son départ, en 2012, durant le Printemps arabe, après être revenu en 2008. Alors qu'il s'était tu en 2006, silence cependant significatif de désaccords au sein de la classe dirigeante, l'opinion se rappelle de ses propos fracassants sur les forces de l'argent sale lorsqu'il a quitté à nouveau la chefferie du gouvernement en 2012.
La position équivoque du pouvoir tendait à créer l'illusion que les forces de l'argent sale allaient accepter de bon gré une limitation à l'amiable de leurs activités prédatrices et qu'elles investiraient, «patriotiquement», les sommes colossales qu'elles avaient amassées. C'est le virage espéré avec la loi de finances complémentaire de 2009.
Tout s'est écroulé avec le Printemps arabe, avant que la chute des cours du pétrole, en 2014, n'impose de remettre à l'ordre du jour les exigences de transformation de notre modèle socioéconomique. Entre-temps, Ouyahia s'est rendu à l'idée d'un compromis avec les forces de l'argent sale, et, ce 29 avril 2017, à la salle Harcha, à Alger où il menait sa campagne pour les législatives, il a même déclaré : «Il y a beaucoup de personnes qui n'ont pas payé leurs impôts depuis plusieurs années. Soit on passera notre temps à leur courir après, soit on discutera avec eux afin de les convaincre de quitter le circuit informel.»
Ce recul spectaculaire devant les forces de l'argent sale doit alerter sur le contenu de la réforme du code du travail et plus largement sur la disponibilité de Tebboune au dialogue. C'est aussi à l'aune de la dégradation du rapport de force général que l'on doit apprécier le message envoyé par Bouteflika, à la veille des législatives, et qui soulignait que la prochaine APN «devra également légiférer pour la finalisation de diverses réformes destinées à promouvoir une économie davantage diversifiée, de sorte à réduire la dépendance du développement du pays ainsi que le bien-être de la population envers le marché mondial des hydrocarbures».
Il est à craindre, qu'au mieux, comme pour la réforme de la Constitution, nous puissions observer au plan législatif des progrès quantitatifs, mais pas de changements qualitatifs à la hauteur des aspirations de la société. Et les déclarations de Saadani sur «la grandeur de la future Assemblée, qui sera mesurée à l'aune des textes qu'elle aura à voter pour continuer de traduire en loi la profonde révision constitutionnelle de mars 2016», semblaient n'être qu'un paravent pour justifier ce qui était annoncé : le manque de légitimité des députés.
L'arrogance du pouvoir et des forces de l'argent ne l'ont pas emporté. L'abstention massive et l'avalanche de bulletins nuls ont finalement imposé le dialogue au-delà des bancs de l'APN. Nous sommes en face de ce que dénonce Mebtoul dans un article paru dans un quotidien national : «La violence de l'argent est aujourd'hui rehaussée comme valeur suprême dans la société.
On peut ici identifier un ensemble de faits pervers liés à l'argent comme rapport social. Il renforce les inégalités sociales. Il produit de multiples transgressions et dérives à l'égard du travail qui ne pourra pas — contrairement à tous les discours normatifs des responsables (‘‘Il faut travailler'') — imprimer sa marque dans la société. Les identités professionnelles sont profondément fragilisées, abîmées et non reconnues en raison de l'exclusion du travail comme valeur centrale.» C'est le clientélisme qui demeure à la base des rapports politiques et c'est la prédation qui en forme le socle socio-économique.
Et le projet de réforme du code du travail, avancé puis retiré, ne bouleversait pas encore ce rapport. Il n'offrait pas une revalorisation du travail, qui tienne compte de la réalité des entreprises, à travers un deuxième salaire différé, ni de protections nouvelles aux travailleurs qui devront affronter un marché de l'emploi qui va se caractériser par un bouleversement de sa structure (féminisation, qualification, migrants…) et une plus grande mobilité dans les trajectoires professionnelles.
Les déclarations et les actes des tenants du pouvoir et des membres du gouvernement restent favorables aux tenants de l'argent sale, malgré les démarcations vis-à-vis d'Ali Haddad ou de Sidi Saïd. La poursuite de la politique d'amnistie fiscale démontre qu'ils restent lestés de la volonté de compromis avec ces forces et sont insuffisamment à l'écoute des aspirations et des propositions les plus avancées des travailleurs aussi bien que des employeurs de l'économie productive. Ils agissent sous le camouflage du programme présidentiel, mais c'est ce même programme qui a autorisé l'explosion des importations et qui maintenant justifie la mise en place de quotas.
On peut donc se demander ce qu'il peut encore signifier, si ce n'est qu'il sert à être opposé à l'idée de rupture et à contrarier la mise en place d'un gouvernement dévoué à la cause du travail et aux libertés. Malgré tout cela, l'aspiration au changement radical n'a pas reflué. Aujourd'hui, après toutes les tentatives d'étouffement, nous continuons d'assister, sous la pression de la société et l'action des forces démocratiques les plus conséquentes, à des prises de position plus ouvertes de ceux qui, dans les institutions ou dans les organisations de la société civile, se disent attachés au modèle social algérien et à l'exigence de sortir de la dépendance au pétrole.
Peut-être espèrent-ils pouvoir agir à l'intérieur du compromis national-libéral et le faire évoluer vers une forme plus affirmée de patriotisme économique. C'est impossible sans une mobilisation plus grande de la société. La proposition de dialogue avancée par Tebboune peut en être le ressort.
On a vu comment le contenu de la politique de réconciliation nationale a été infléchi grâce à la résistance de la société, en particulier des différents secteurs qui ont affronté le terrorisme islamiste (familles des victimes, patriotes, GLD, retraités de l'ANP…) et à cause des évolutions mondiales qui ont remis à l'ordre du jour la nécessité de faire face au terrorisme islamiste. Il est donc possible de peser positivement sur le consensus socioéconomique et sur ses suites politico-idéologiques.
Les résultats des dernières élections ont été décisifs. Ils permettent une prise d'initiative. Le MDS avait appelé à voter blanc, massivement, pour dénoncer la manière scandaleuse dont la classe politique tournait le dos à l'exigence du travail et des libertés et n'indiquait pas, à titre d'exemple, de quelle manière ses élus se prononceraient sur la réforme du code du travail.
S'il est vrai qu'une fraction du patronat, aussi bien privé que public, a des intérêts liés aux forces de l'argent sale et de la spéculation, une large partie est prête à sacrifier les intérêts de ces milieux de la prédation, car elle est davantage liée à l'économie productive et aux services qui lui sont associés. Les premiers actes du nouveau gouvernement sont un indice de l'évolution des contradictions entre ces composantes, mais aussi de ce qu'aura réussi à imposer la société, en déjouant les manœuvres électorales des uns et des autres.
Mais si les résultats du scrutin du 4 mai justifient largement des changements à ce niveau, ils constituent paradoxalement, aussi, un succès des adversaires de l'économie productive. Dans le sens où ils sont, au sein de l'APN, le fruit des rapports de force à la veille de ces élections. C'est d'ailleurs ce qu'exprime le large scepticisme qui les a entouré. C'est pour cela que le dialogue que propose Tebboune ne peut pas se cantonner aux seules forces présentes au sein de l'APN. Le projet de réforme du code du travail était porteur du déséquilibre du rapport de force pré-électoral.
Les menaces contre les libertés syndicales qui ne devraient pas dépendre d'un régime d'agrément mais relever d'un régime déclaratif, la grève illimitée et l'occupation de sites qui allaient être interdites dans les faits, les contradictions comme celle liée à la volonté de promouvoir le partenariat public/privé et la faiblesse des mesures proposées dans le projet à propos du travail dans ce cadre, la lutte contre le harcèlement sexuel mais en oubliant d'autres formes de discriminations dont les femmes sont victimes au travail, le renforcement des protections des enfants mais en baissant l'âge à partir duquel ils peuvent travailler, l'obligation de rédiger le contrat de travail en arabe alors que le contrat n'a même pas besoin d'être écrit, en étaient l'expression.
Au point où l'interdiction de fumer sur les lieux de travail était présentée comme une innovation essentielle. Et c'est vrai dans le sens où elle paraissait démontrer une volonté de se soumettre à des règles appliquées dans les pays les plus avancés, et donc dans le sens où elle trahissait une volonté de privilégier la forme au détriment du fond.
A l'issue du scrutin, la tentative de mettre en place un gouvernement d'unité nationale a échoué. Elle visait à ne pas avoir à reconnaître la force de la contestation dans la société et ne pas avoir à mener, avec détermination, le débat sur l'organisation du travail compatible avec les évolutions du monde de l'entreprise aussi bien du point de vue de la gestion que du point de vue technologique, mais aussi avec sa place dans la société qui sous-tend son autonomie et donc sa souveraineté.
La crise de représentation est toujours là, et seule l'avancée sur la question démocratique dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale pourra régler les problèmes vitaux posés à notre pays. Et une exigence verra le jour et devra faire face au consensus autoritaire et national-libéral qui se dessine, celle de rompre avec les conceptions idéologiques obsolètes, aussi bien celles qui font de toute idée de planification un tabou, que celles qui instrumentalisent la religion, y compris dans le domaine économique comme cela reste le cas à propos du week-end. Tous ces débats devront être menés avec sérieux et sérénité.
Malgré des restrictions de droits qui ne sont pas des garanties pour créer plus d'emplois, le projet de réforme du code du travail répondait assez largement aux attentes des employeurs en matière de flexibilité, mais dès qu'il s'agissait d'exprimer clairement les principes et les objectifs d'une nouvelle approche en matière de qualité des emplois et de protection sociale et plus encore de le traduire en termes concrets, on observait d'importants décalages avec les proclamations et les droits octroyés par la Constitution.
L'examen des passages qui ont été modifiés ou supprimés ainsi que de ceux qui ont été ajoutés, travail mené par les syndicats et des experts comme Nouredine Bouderba, indiquait qu'il s'agissait, de façon systématique, d'une tendance à amoindrir ou même rendre inopérant soit le pouvoir des syndicats, soit la limitation des pouvoirs des employeurs.
De plus, même si on considère que des protections importantes avaient été conservées, voire même avaient été ajoutées, il faut considérer l'orientation générale, la confusion et les grandes faiblesses qui caractérisaient les mesures en faveur des travailleurs, sans offrir de véritables garanties aux employeurs d'ailleurs. Ce qui soulignait la volonté du pouvoir de garder un contrôle absolu de la sphère socioéconomique.
Il y avait une grande et dangereuse contradiction pour, d'une part, l'avenir des travailleurs qui devront faire face à une plus grande mobilité professionnelle et, d'autre part, l'avenir de la réforme qui risque de ne pas trouver la base dans les organisations du patronat comme dans celles des travailleurs et plus largement dans la société pour la porter. Le dialogue le plus large est devenu une exigence et l'offre de Tebboune est donc la bienvenue. La réforme du code du travail telle qu'elle avait été entamée était d'autant plus illégitime que le crédit de la nouvelle APN est déjà nul.
Mais, même dans le cadre d'un large dialogue, elle échouera si on ne voit pas qu'elle est d'abord et avant tout une bataille qui met aux prises les intérêts contradictoires des tenants d'une économie productive et ceux de la prédation. Au final, cette bataille ne pourra déboucher sur des succès qu'à la condition de réaliser la jonction des travailleurs, des employeurs et des forces politiques porteuses d'un changement profond.
C'est pourquoi, s'il y a lieu de ne pas sous-estimer les possibilités ouvertes par le dialogue pour une transformation du rapport au travail, il faut faire preuve encore de la plus grande fermeté pour améliorer et faire appliquer le projet de code du travail par un véritable gouvernement du travail. La réforme du code du travail pose non seulement la question de son efficacité, mais aussi celle de son effectivité et de son efficience. Ce contrôle là revient au pouvoir exécutif.


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