Dans votre ouvrage, vous décortiquez le système de santé algérien. Comment l'évaluez-vous ? C'est un système qui assure une couverture sanitaire de pratiquement tout le pays mais qui n'arrive pas à dispenser des services de qualité. Il est en outre dispendieux et répond de moins en moins aux nouveaux besoins en santé de la population, notamment pour les personnes âgées, maladies chroniques… Une réorganisation en profondeur pourrait améliorer son offre de services. Ce système est confronté aujourd'hui à de nombreux défis et il est sujet à de nombreux dysfonctionnements, comment doit-il relever ce défi face aux différentes mutations ? Le système national de santé est effectivement confronté à de nombreux défis tant épidémiologiques que démographiques, il requiert une ouverture vers les secteurs privé et parapublic suivant une démarche plus rationnelle, plus éthique et plus intégrée. Aujourd'hui, la participation de la Sécurité sociale est inférieure à celle des ménages et en l'absence d'une réforme, ce hiatus va s'aggraver davantage dans l'avenir. Il est donc impératif de procéder à une réforme globale qui préserve l'essentiel, c'est-à-dire la prévention, les soins de santé primaires et les familles démunies ou à petits revenus. Vous soulevez aussi dans l'ouvrage les nouvelles maladies dont la prise en charge est onéreuse… Y a-t-il un souci d'inadaptation ? L'accroissement des maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer, maladies respiratoires…), les nouveaux besoins en santé de la population (personnes âgées, prise en charge des maladies rares, FIV, greffes…) demandent des moyens humains plus pointus, des équipements adaptés, donc des financements conséquents. Face à la réduction des moyens financiers de l'Etat, une réforme en profondeur est plus que jamais nécessaire, elle exige une rapidité de mise en place, la préservation des prestations sanitaires essentielles, une réflexion novatrice dans la prise de décision et une vision à long terme. En conclusion, on peut dire que le système national de santé est de plus en plus inadapté, il répond de plus en plus mal aux besoins de la population, car ses dysfonctionnements ne font que s'aggraver. Il convient de confier sa destinée aux professionnels de la santé suivant une politique bien tracée et aux objectifs clairs.
Les bonnes feuilles du livre :
Planification Toute politique de santé doit se baser sur un ensemble de données puisées dans la réalité quotidienne pour pouvoir planifier les investissements en matière de structures et de ressources humaines en fonction des besoins de la population. La planification est donc un moyen extrêmement précieux pour pouvoir répondre aux besoins sanitaires de la population. Le projet de loi sanitaire définit la planification sanitaire : «La planification sanitaire a pour but de déterminer, sur la base d'une évaluation de la santé de la population, les besoins en soins compte tenu de l'évolution démographique et du profil épidémiologique, et de définir les moyens de les satisfaire de la façon la plus rationnelle et la plus équitable. » (Article 14) «La planification sanitaire définit les objectifs et fixe les moyens à mettre en œuvre en matière d'infrastructures, d'équipements, de ressources humaines et financières, de programmes de formation et des programmes de santé.» (Article 15) Une planification fiable doit se baser sur des outils aussi précis que possibles. Ces outils sont constitués à partir des informations prises tant au niveau des structures de santé qu'au niveau des ressources humaines. C'est pour cela que le projet de loi sanitaire fait obligation à celles-ci de fournir toutes les données relatives à leur travail : Les professionnels de santé, quel que soit leur régime d'exercice et les institutions de la santé sont tenus de participer à l'établissement des statistiques et des autres instruments de mesures nécessaires à la réalisation et à l'évaluation de la planification sanitaire. «Ce projet de loi sanitaire, et c'est une première en Algérie, impose au ministre de la Santé d'établir tous les cinq ans un rapport sur la santé de la population.» (Article 16) C'est une mesure excellente sauf qu'elle doit se faire tous les ans pour permettre une réelle évaluation de la santé. Information sanitaire L'information sanitaire, outil nécessaire au développement de tout système de santé, doit faire partie des critères de prise de décision. Ainsi, toute prise en charge d'une pathologie donnée comme le cancer par exemple, il faut de nombreuses informations sur cette pathologie : quels sont les types les plus fréquents? Quelle est leur répartition géographique ? Quels sont les âges les plus touchés ? Quels sont les facteurs de risque ? Pendant longtemps, le système national de santé a souffert de l'absence d'informations. Les décisions prises se sont basées sur des approximations et les résultats n'ont pas toujours été heureux. Aussi, le fait que le projet de loi sanitaire rende obligatoire la mise en place d'un système d'information sanitaire et de documentation, il apparaît comme un nouveau départ pour le système national de santé. L'article 287 stipule qu'«il est créé un système national d'information sanitaire. Le ministère chargé de la Santé est responsable de la conception, de l'organisation et de la mise en place de ce système qui permet à tout moment de disposer des informations nécessaires, notamment à la planification sanitaire et l'évaluation du système de santé». Un système centralisé seul ne suffit pas, chaque structure de santé doit avoir son propre système d'information qui constitue la source pour le système principal. Le projet de loi sanitaire rend également obligatoire aux structures de santé la disponibilité d'un système d'informations propres : «Les établissements de santé publics et privés sont tenus de mettre en œuvre des sous-systèmes d'information en rapport avec le système d'information.»(Article 288) Le projet de loi sanitaire va jusqu'à définir le contenu du système d'information dont doit disposer toute structure de santé : «Les sous- systèmes d'information comprennent, notamment, le recueil les données médicales et comptables relatives aux prestations de santé développées par les établissements ainsi que les informations administratives et sociales ayant trait aux patients.» (Article 289) Plan national de santé A ce jour, l'Algérie n'a jamais disposé d'un plan national da santé. La seule approche dans ce sens, mais qui n'a pas reçu d'application, a été le document sur la santé adopté par le Comité central du FLN dans sa session de décembre 1980. L'absence d'un projet global santé a fait que chaque ministre de la Santé a essayé de marquer de son sceau son passage. Plus il y a de ministres, plus il y a d'initiatives, parfois même antagonistes. Le problème posé aujourd'hui c'est celui d'une vision claire, d'une politique de santé cohérente, d'un programme national de santé quinquennal ou décennal avec des objectifs clairs, des échéanciers précis et des stratégies efficientes pour les atteindre.
Médicament La satisfaction des besoins en médicaments est devenue un des éléments de sécurité nationale. Faute de maîtriser la production du médicament et d'assurer une couverture de la consommation nationale, les problèmes liés au médicament ont constitué un souci constant pour les décideurs. Aussi, l'initiative de l'Etat intervient à tous les niveaux du circuit du médicament : «L'Etat promeut la production nationale, la recherche et le développement pharmaceutiques. Il veille au respect des exigences de sécurité et de qualité en matière de fabrication, d'importation, de distribution et de dispensation, des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. «Il veille au bon usage du médicament, notamment par la rationalisation de la prescription.» (Projet de loi sanitaire, article 26) «L'Etat garantit l'accessibilité aux médicaments essentiels et produits pharmaceutiques et veille à leur disponibilité, en tout temps et en tout lieu du territoire national. Il veille au respect des exigences de sécurité et de qualité en matière de fabrication, d'importation, de distribution et de remise des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Il veille au bon usage du médicament, notamment par la rationalité de la prescription. Il encourage la production nationale, la recherche et le développement pharmaceutiques.» (Article 368) Politique du médicament C'est l'Etat qui définit la politique pharmaceutique nationale. : «Les objectifs de cette politique sont de rendre accessibles, géographiquement, physiquement et financièrement à la population, des médicaments et des dispositifs médicaux de qualité contrôlée, y compris les produits sanguins, sécurisés.» (Projet de loi sanitaire, article 22) Les médicaments portent des noms qui sont les mêmes dans tous les pays du monde : c'est la dénomination commune internationale ou DCI. Il existe trois types de liste de médicaments en Algérie. Aussi, c'est le ministre de la Santé qui arrête la liste officielle des médicaments autorisée pour la mise sur le marché. Les médicaments sont au préalable enregistrés puis homologués suivant des procédures arrêtées auprès de la direction de la pharmacie au niveau du MSPRH. Leurs qualité, innocuité et efficacité sont obligatoirement contrôlées par les laboratoires nationaux habilités en la matière (LNCM). (Article 23) Le ministre arrête également la liste des médicaments essentiels. Cette liste «comprend des médicaments qui couvrent la majorité des besoins de santé de la population et les médicaments prévus par les programmes nationaux de santé et recommandés par les consensus thérapeutiques nationaux de référence». (Article 24) Le ministre arrête aussi la liste officielle des dispositifs médicaux et des produits pharmaceutiques autres que les médicaments. (Article 25) Définitions du produit pharmaceutique et du médicament Le projet de loi sanitaire définit les produits pharmaceutiques : ce sont «les médicaments, les réactifs biologiques, les produits chimiques officinaux, les produits galéniques, les objets de pansement et tous autres produits ou dispositifs nécessaires à la médecine humaine et vétérinaire». Ils sont définis par voie réglementaire. (Article 369) Il définit le médicament comme toute substance, association de substances ou produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal, permettant de traiter, de prévenir ou de diagnostiquer les maladies humaines ou animales ou de restaurer, corriger, modifier ses fonctions organiques. «Sont également définis comme médicaments : les produits stables dérivés du sang, sous réserve des dispositions prévues par la présente loi – Les allergènes, vaccins, toxines et sérums – Les concentrés d'hémodialyse, les solutés de dialyse péritonéale, les gaz médicaux – Les produits radio pharmaceutiques et les produits de contraste à usage diagnostique – Les produits cosmétiques et d'hygiène corporelle contenant des substances vénéneuses à des doses et concentration supérieures à celles fixées par arrêté du ministre chargé de la santé – Les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas par elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d'épreuve. Certaines wilayas, plus que d'autres, sont soumises, en raison de leur étendue à une dispersion des populations et à des contraintes particulières depuis des années. Aucune des solutions envisagées n'a pourtant pu réduire les problèmes auxquels elles sont confrontées, notamment en matière de transport des malades ou de couverture par des spécialistes. Le recours abusif au service civil et à ce qui est appelé le zoning est d'abord une mesure exceptionnelle difficilement défendable au plan constitutionnel étant donné qu'elle ne s'applique qu'aux médecins spécialistes, à l'exclusion de tous les autres diplômés universitaires. Ces dysfonctionnements montrent la nécessité d'innover dans les solutions et de ne plus courir derrière des solutions empiriques et de plus en marge de la loi. L'incapacité du ministère à répondre à ces besoins amène aujourd'hui les wilayas à travers les exécutifs, les élus et la société civile à réclamer chacune un CHU et un centre anti-cancer. Le secteur privé reste marginalisé mais entre-temps il croît de façon anarchique. Il a surtout tendance à se concentrer dans les grands centres urbains du pays, aggravant l'inégalité d'accès aux soins. Cependant, concurrence oblige, il a vite compris que sa survie était liée non à sa performance mais au type de prestations qu'il pourrait développer. C'est donc dans ce secteur que nous assistons à une mutation avec une diversité de prestations : chirurgie cardiaque, onco-cancérologie, ophtalmologie… La pérennité de tout système de soins est liée avant tout à sa capacité d'adaptation à la demande en soins de la population. Créer un système statique et standardisé ne répond pas aux besoins de la population qui le décrie, il est dévoreur de budget et génère des gabegies. In fine, il ne traduit ni les efforts de l'Etat pour une politique de promotion de la santé, ni ne répond aux attentes de la population. L'administration centrale du ministère de la Santé doit se consacrer à son rôle de tutelle du système de santé(réglementation, planification, normalisation et contrôle). Elle doit nécessairement déconcentrer la décision au profit des directeurs de santé de wilaya et des directeurs d'établissement. Au niveau des EPH de l'intérieur et des EPSP, le principe de gouvernance doit prévaloir et le conseil médical doit pouvoir jouer le rôle d'un conseil d'administration pour éviter les dérives administratives ou gestionnaires. Le système de soins est en quête d'un projet d'établissement qui doit assurer la primauté de la gestion managériale sur la gestion administrative. Le financement doit se faire sur la base des activités avec un contrat de performance à la carte pour chaque équipe. Cela suppose un bilan de compétence pour les équipes, voire pour les individus, susceptible de permettre le classement les établissements de soins suivant leurs performances.
Inégalités d'accès aux soins L'examen des ratios et des indices de santé montre de façon évidente, la médiocrité des résultats de santé enregistrés à l'intérieur du pays. Cette situation perdure malgré tous les efforts de l'Etat, lequel a investi de gros moyens financiers en matière d'infrastructures et d'équipements de base. La couverture sanitaire en Algérie peut même être considérée comme l'une des meilleures d'Afrique. Les résultats sont cependant décevants. Si nous retenons les deux principaux paramètres de santé publique et malgré l'absence de données précises par commune, le taux de mortalité infantile est de 40 à 60%, plus élevé lorsqu'il n'est pas simplement le double dans les wilayas de l'intérieur et le taux de mortalité maternelle est pratiquement trois fois plus élevé dans les wilayas du Sud par rapport à celles du Nord… Les disparités intéressent également les ressources humaines : 70% des médecins spécialistes sont concentrés dans treize wilayas du pays, alors que toutes les wilayas du Sud et un grand nombre de wilayas des Hauts-Plateaux ne disposent pas en permanence de suffisamment de spécialistes en pédiatrie, gynécologie obstétrique, chirurgie, radiologie, biologie, psychiatrie, cardiologie, malgré les apports du service civil. Ces données remettent en question le principe de droit à la santé proclamé par la Constitution et rendent compte de l'échec de la gestion ‘au jour le jour' de la santé en l'absence d'une politique claire et d'objectifs précis. Le système national de santé est, en effet, le reflet des valeurs de l'Etat-Nation. Pourquoi alors ce paradoxe, pourquoi tant de disparités ? Notre système de soins s'est voulu très généreux. Des hôpitaux ont été construits presque partout. Mais à aucun moment, les besoins de santé de la population n'ont été précisés ou discutés avec la communauté. Tout a été standardisé au ni veau des bureaux du ministère d'El Madania. La bureaucratisation de l'offre de soins a créé une surcapacité d'offre génératrice de dépenses inutiles au détriment de besoins locaux spécifiques non satisfaits. La conséquence est qu'aujourd'hui, plus de 130 hôpitaux de l'intérieur du pays ont un taux d'occupation inférieur à 50%. Des milliers de lits de santé publique sont inoccupés, les dépenses de santé augmentent de plus en plus, alors que le citoyen de l'intérieur du pays se plaint d'être mal soigné. La raison est certes un manque de rationalisation des ressources humaines. Le service civil coûte cher mais a surtout atteint ses limites. Par ailleurs, les besoins restent toujours identifiés par les directions de santé de wilaya lesquelles procèdent par empirisme ou pour satisfaire des demandes de responsables locaux. Que de fois, les spécialistes envoyés ont créé des besoins, entraîné des dépenses par l'entremise de l'APW qui a financé des équipements. Une fois la durée du service terminée et le spécialiste parti, l'équipement acheté est laissé dans un coin. Si un autre spécialiste de la même spécialité ne vient pas pour remplacer le partant, l'équipement n'est plus utilisé et se détériore rapidement. Par ailleurs, la féminisation de plus en plus poussée de la profession et l'absence de flexibilité du système d'affectation empêchent les spécialistes de rejoindre les postes imposés par le ministère. Il existe une grande déperdition, car de nombreux spécialistes ne rejoignent pas leurs postes d'affectation. Certains font cet effort mais une fois sur place, ils constatent l'absence de logement, ils retournent chez eux tout en restant rémunérés ! Décider de façon absolue que tous les spécialistes iraient à l'intérieur du pays ne sert ni l'intérieur du pays, ni les spécialistes, ni encore moins la santé publique. Face à ces mesures bureaucratiques, toute la santé est en fait pénalisée, car envoyer certains profils de spécialistes à l'intérieur du pays où la masse de travail est relative (c'est le cas notamment des médecins biologistes et des médecins radiologues), alors que de grands hôpitaux en ont crucialement besoin apparaît comme contre-productif ! Pour corriger durablement ces disparités, il apparaît important de prendre en considération trois facteurs. La formation doit être orientée pour satisfaire les besoins des populations.