L'examen du développement dans le temps du système éducatif des divers pays montre une évolution constante dans le même sens : la progression continue des taux de scolarisation au niveau des enseignements des cycles secondaire et supérieur. Il semble qu'à long terme, et quelles que soient les très grandes disparités qui existent actuellement entre les différents Etats, tous les systèmes scolaires, dans la forme où nous les connaissons aujourd'hui, tendent vers un même « point de maturité » imaginaire au niveau duquel le maximum d'éducation sera assuré au maximum de la jeunesse, la seule limitation étant l'aptitude des individus à accéder à tel ou tel niveau des enseignements des cycles secondaire et supérieur. Aucun pays n'a encore atteint, ni n'est proche d'atteindre, ce « point de maturité » : de ce fait, les problèmes de croissance des systèmes scolaires intéressent tous les pays qu'ils soient développés ou moins développés. Les problèmes à résoudre sont évidemment très différents de pays à pays, selon le stade de développement actuellement atteint, mais la préoccupation est générale. Cette constatation explique l'importance que tend à prendre, dans tous les pays, l'étude raisonnée du développement de l'éducation ou, en d'autres termes, la planification du développement des systèmes scolaires. Il s'agit d'un problème aux aspects multiples et complexes, si étroitement liés à la vie sociale, politique et économique de chaque pays que seule une analyse spéciale peut éclairer leur cas particulier. On remarquera que préparer un plan de développement de l'éducation, ce n'est pas tenter de définir un idéal, ce n'est pas encore rechercher ce « point de maturité » précédemment évoqué. C'est plus modestement étudier concrètement les moyens à mettre en œuvre par les pouvoirs publics au profit de l'éducation dans une période de temps limitée (en général 4 à 5 ans) ; c'est définir des besoins (locaux et enseignants) correspondant à des objectifs ou à des prévisions de scolarisation établis à moyen terme. Ces objectifs ou prévisions doivent être établis, non pas dans l'absolu, mais en fonction de tout un ensemble de réalités concrètes, notamment en sachant que les moyens demandés pour l'éducation seront inéluctablement mis en balance avec les besoins des autres activités nationales et que l'arbitrage entre ces besoins, arbitrage qui constitue l'essence même de la planification, ne peut être le fait que des autorités nationales les plus élevées (gouvernement et Parlement). L'évolution de la scolarisation L'établissement de l'inventaire des besoins (locaux et enseignants) exige probablement une prévision de l'évolution des effectifs à scolariser dans les différents types d'établissements scolaires et universitaires ; en outre, l'inventaire des besoins devra le plus souvent tenir compte des améliorations qualitatives à apporter à l'enseignement (amélioration de l'encadrement des élèves, diminution du « taux de remplissage » des classes). La prévision des effectifs constitue la difficulté essentielle du travail des planificateurs du développement de l'éducation ; elle doit, en effet, être basée sur une analyse minutieuse et délicate des multiples facteurs qui agissent sur l'évolution de la scolarisation dont l'accroissement et la demande. L'accroissement de la natalité L'étude de l'évolution de la natalité constitue, évidemment, la base de la prévision des effectifs à scolariser dans tous les pays. Cette étude est relativement aisée quand les statistiques démographiques sont bonnes ; nous n'insisterons pas sur cet aspect du problème sauf pour souligner la grande variété des situations et l'importance, à court terme, de ces disparités du point de vue de la politique possible des différents pays. Il est certain qu'un pays qui doit, dans l'immédiat, faire face à un afflux énorme d'élèves provenant de l'accroissement de la natalité peut difficilement, faute de moyens, mener en même temps une politique d'amélioration de la durée et de la qualité de l'enseignement. Inversement, les pays dont la natalité régresse peuvent plus aisément améliorer l'encadrement des élèves et allonger la scolarité. La demande C'est là un facteur extrêmement difficile à définir et à analyser ; il correspond à la demande spontanée des familles qui veulent faire bénéficier leurs enfants de telle ou telle forme d'éducation prolongée. En principe, ce facteur ne joue qu'au-delà de l'obligation scolaire, c'est-à-dire au niveau des enseignements des cycles secondaire et supérieur. Pour les pays les plus évolués, le problème majeur, c'est l'entrée généralisée des jeunes générations dans les établissements du cycle secondaire et dans l'enseignement supérieur. A ce niveau, l'étude du comportement des populations et de son évolution est l'une des bases fondamentales des prévisions de scolarisation. La politique scolaire A ce problème de la demande sociale d'éducation se rattache étroitement celui de la politique scolaire des dirigeants de l'Etat. Dans une large mesure, cette politique traduit ou sanctionne la demande sociale elle-même. Mais les gouvernants des Etats peuvent agir efficacement pour susciter et encourager cette demande et pour précipiter la prise de conscience du peuple sur l'intérêt de l'instruction. Cette politique favorable au développement de l'éducation se concrétise par : • La gratuité totale de l'instruction ; • la prolongation de l'obligation scolaire ; • la réforme des structures de l'enseignement du cycle secondaire ; • des encouragements matériels (bourses, transport gratuit des élèves des campagnes, organisation d'internat, de restaurants, de cités universitaires, etc.) Inversement, les dirigeants nationaux peuvent, consciemment ou inconsciemment, adopter une politique scolaire conservatrice (recrutement des établissements secondaires par une sélection sévère et précoce qui s'exerce essentiellement dans certaines catégories sociales, droits scolaires élevés, etc.), politique qui freine le développement de l'enseignement prolongé pour les enfants d'origine populaire. Dans ce cas, très fréquent aujourd'hui, d'une politique scolaire dynamique, ses conséquences s'inscrivent très rapidement dans les courbes d'effectifs. L'économie et la croissance La croissance économique constitue, en dernier ressort, le moteur fondamental du développement de l'éducation ; elle se manifeste sous deux angles : • En premier lieu, l'élévation du niveau de vie des familles crée dans les milieux familiaux les conditions psychologiques et matérielles qui permettent la scolarisation prolongée des enfants. Sous cet angle, l'éducation peut être considérée comme une consommation particulière qui s'accroît avec le niveau de vie. En définitive, sous les réserves qui ont été faites ci-dessus, l'évolution de la demande spontanée d'éducation traduit dans une assez large mesure le progrès économique. • En second lieu, le progrès technique, s'il libère l'homme des tâches les plus élémentaires, suscite une demande croissante de main-d'œuvre qualifiée et hautement qualifiée et requiert pour tous les travailleurs une culture générale et professionnelle plus poussée. Les conséquences du progrès technique sur la qualification de la main-d'œuvre implique donc un développement général de l'instruction, spécialement des enseignements des cycles secondaire et supérieur. Sous cet angle, les dépenses d'éducation deviennent des investissements dont les économistes modernes tendent à souligner la très haute rentabilité. Cette double approche du problème montre les interactions qui unissent les deux termes : conséquence du progrès économique, l'expansion de l'éducation est aussi sa condition. La nécessité de former les cadres ou spécialistes indispensables au développement des activités économiques conduit à introduire dans les prévisions de développement de l'éducation la notion de « besoins » de l'économie. Le problème de la satisfaction des besoins de l'économie en personnels qualifiés est devenu depuis quelques années et dans beaucoup de pays le motif (ou le prétexte) d'un subit intérêt pour le développement planifié des systèmes scolaires. Il s'agit encore là d'un problème extrêmement complexe. Nous soulignerons, d'une part, les difficultés de l'introduction de cette notion de besoins de l'économie dans la planification de l'éducation et, d'autre part, le caractère relatif de cette notion. Première difficulté : la difficulté essentielle, c'est le décalage dans le temps entre le plan de développement économique (la mise en place des investissements matériels, et le plan de développement de l'éducation (formation de la main-d'œuvre qualifiée). Les planificateurs de l'éducation ne doivent pas se borner à prendre en considération des déficits actuels, ils doivent se soucier de connaître les besoins de l'économie en 2015 ou en 2020 ; or, il semble que, en ce qui concerne les personnels hautement qualifiés notamment, les problèmes de croissance à 10 ou 12 ans sont d'un tout autre ordre de grandeur que les problèmes de déficits actuels. Cette constatatiion constitue une incitation déterminante pour l'expansion des systèmes scolaires. Mais il faudrait pouvoir connaître 12 ou 15 ans à l'avance : 1) La structure vraisemblable ou souhaitable de la population active par secteur ; 2) à l'intérieur de chacun d'eux, les répartitions par niveau et type (scientifiques, techniques, sciences humaines) de formation, pour pouvoir décider de l'orientation à donner immédiatement aux investissements scolaires et universitaires (calcul des « flux » annuels de jeunes diplômés pour obtenir la population active prévue 15 ans plus tard). La prévision à long terme de l'évolution de la structure et de la qualification de la population active paraît donc devoir devenir un des éléments indispensables de la planification scolaire. Deuxième difficulté : la transposition de l'évolution de la population active en termes de formation suppose qu'il y ait des corrélations suffisantes entre les formations reçues à l'école et à l'université et certains types d'emplois. Or, il est certain que, d'une part, ces corrélations sont mal connues et que, d'autre part, elles n'ont certainement pas un caractère rigide. Sous réserve des études qui doivent être faites pour tenter d'éclaircir cette question, il est vraisemblable que la souplesse constatée dans les corrélations entre la formation reçue et l'emploi occupé ne permet pas de transposer avec précision les besoins de l'économie en termes d'éducation. Dans la période de leur histoire économique que connaissent la plupart des pays, apparaît un grand besoin de personnels qualifiés et hautement qualifiés, et d'une façon générale, l'on constate que le rythme de formation de ces personnels est insuffisant pour satisfaire la demande des entreprises ; dans ces conditions, la notion de besoins peut être analysée par rapport à un minimum indispensable, voire à un optimum. Mais cet encadrement minimum ou cet optimum constitue-t-il en même temps un maximum ? S'il en était ainsi à long terme (la période de pénurie passée), la notion de besoins de l'économie pourrait-elle conduire à limiter l'expansion des systèmes éducatifs, alors que nous avions constaté une tendance à la croissance indéfinie des systèmes scolaires. A la vérité, si cette notion de besoins de l'économie est indispensable, spécialement en période de pénurie de personnels spécialisés, pour orienter efficacement les investissements éducatifs, elle n'en a pas moins une valeur toute relative et ne saurait aboutir à long terme à une limitation du développement de l'instruction. Il n'y a pas, en effet, de règles immuables qui définissent, pour un emploi donné, le niveau et le type de formation générale ou spécialisée correspondant. A la vérité, l'histoire contemporaine montre que les qualifications générales ou spécialisées exigées pour un emploi donné évoluent constamment, notamment en fonction des disponibilités en personnes qualifiées (l'Etat donne particulièrement l'exemple pour le recrutement de ses fonctionnaires). Dans une large mesure, ce phénomène traduit, en termes de qualification professionnelle, la promotion culturelle et humaine généralisée de la masse de la population d'un pays, promotion qui constitue l'un des objectifs fondamentaux des sociétés démocratiques. Le problème de la limitation des aptitudes Ainsi qu'il a déjà été souligné, le développement des systèmes scolaires, dans leur forme traditionnelle, ne peut guère, à long terme, être limité que par l'aptitude des individus à recevoir l'instruction secondaire ou supérieure. Toutefois, il serait erroné de penser que le problème de la limitation des aptitudes intellectuelles n'a aucun intérêt de nos jours du point de vue de la prévision de la scolarisation. Dans de nombreux pays, au contraire, les réformes de la structure des enseignements du cycle secondaire conduisent à rechercher quel est le pourcentage maximum des enfants d'une classe d'âge qui peuvent aborder avec succès les études générales du secondaire. Dans ce cas particulier, le problème de la limitation des aptitudes devient un élément important de la prévision des moyens à mettre en œuvre pour appliquer de telles réformes. Aucun des différents facteurs de l'évolution de la scolarisation qui ont été présentés ne se suffit à lui-même et ne permet de comprendre et de prévoir le développement de l'éducation dans un pays. L'analyse à faire doit être synthétique et c'est là sa difficulté : démographes, statisticiens, sociologues, psychologues, économistes, pédagogues, administrateurs doivent y participer, chacun en ce qui le concerne. Au total, les éléments à retenir pour élaborer les objectifs de développement du système scolaire d'un pays prennent si profondément racine dans les conditions économiques, sociales et politiques particulières à ce pays, qu'ils ne peuvent être appréciés que de l'intérieur et en étroite liaison avec la politique gouvernementale dans ce domaine.