Une étude passionnante sur ce que cachent les différents usages du français dans le monde. Dans cet essai, Carmen Boustani relie plusieurs problématiques qui ont été explorées individuellement et de manière séparée. Se plaçant dans l'espace littéraire francophone, par l'intermédiaire d'un choix d'auteurs appartenant aux deux sexes, elle tente de montrer comment et dans quelle mesure chaque culture et chaque sexe représentent ses mouvements, sa différence ethnique, sexuelle dans le discours littéraire. Elle propose donc une étude de l'écriture de la différence verbale, gestuelle, sexuelle, en cherchant à faire ressortir une interaction entre la linguistique et les données kinésiques et à établir une grammaire des gestes. L'essai montre la diversité du/des français en fonction de l'ère géographique et linguistique et aussi en fonction de l'histoire des relations du pays d'origine des auteurs avec la France. Les anciens colonisés n'entretiennent pas le même rapport avec la langue française que ceux qui l'ont choisie volontairement. Les Québécois, immergés dans un environnement anglophone, n'ont pas la même relation au français que les Belges ou les Suisses qui sont voisins de la France. Carmen Boustani explore cette diversité en montrant comment certains auteurs tissent leur idiome d'origine alors que d'autres cherchent à écrire une langue épurée de toute trace d'altérité. On perçoit donc plusieurs strates dans ces textes qui se trouvent à l'intersection de plusieurs langues dont une des manifestations les plus perceptibles est sans doute leur place aux confins d'une langue écrite et d'une langue orale. L'oralité devient alors une manifestation de transgression, une forme de créativité textuelle. Ces textes d'auteurs francophones renvoient souvent à la question de l'identité. Carmen Boustani cherche à montrer les différences entre l'expérience féminine et masculine de l'écriture en faisant ressortir quelques éléments spécifiques aux uns et aux autres, malgré la diversité des origines culturelles. Alors que les écrivains masculins semblent s'intéresser davantage à la création d'une théorie du roman, leurs collègues féminines, par une nouvelle approche des mots, par leur transgression textuelle et une pluralisation du « je », font de l'écriture une libération, une jouissance ; elles innovent dans la langue en érotisant et oralisant celle-ci. L'auteure, partant du principe que l'analyse des gestes dans les textes littéraires, est restée jusqu'à présent négligée, cherche aussi à établir une poétique du geste. Le corps est lui-même un carrefour où se reproduisent une société, une culture, des mythes collectifs. Si les textes de femmes sont plus tactiles, si l'image du corps est étroitement liée à son appartenance sexuelle, si le décodage sexué des communications non verbales diffère selon le sexe, il ne faut pas pour autant minimiser la signification culturelle des gestes en littérature, et, par exemple, leurs liens étroits avec des pratiques rituelles ou religieuses selon les pays. Par son étude d'auteurs venant de diverses régions du monde, tous unis par leur appartenance à la francophonie, dont Carmen Boustani souligne le double statut d'extraterritorialité et de déterritorialisation, en faisant ressortir la cohabitation culturelle dans la diversité des usages du français, elle montre comment les auteurs de son corpus en font un signe de contestation politique ou sexuelle. Le corps littéraire, corps regardé ou corps touché, est intimement lié au geste d'écriture. *Boustani, Carmen. Oralité et gestualité. La différence homme/femme dans le roman francophone. Paris : Karthala, 2009. 291p.