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«Le problème réside dans l'efficacité de la dépense publique»
Publié dans El Watan le 30 - 10 - 2017

Selon le Premier ministre, l'avant-projet de la loi de finances 2018 consolidera le développement local avec un montant qui sera affecté spécialement aux régions montagneuses. Est-il possible de rattraper le retard en cette période de crise ?
Question toujours d'actualité, même si elle revient souvent dans les débats publics. La problématique des inégalités dont souffrent beaucoup de régions du pays et pas forcément montagneuses, mais naturellement moins dotées de toutes ressources confondues, est soulevée dans plusieurs schémas nationaux et régionaux de développement antérieurs, tels que le SNAT et le SRAT, ainsi que certaines études réalisées par l'Agence nationale d'aménagement du territoire ANAT au profit d'organismes onusiens, à l'instar de la carte de la pauvreté en Algérie en 2000 réalisée au profit du Programme des Nations unies pour le développement PNUD dans la perspective de s'inscrire pour bénéficier des programmes d'aide au développement. Des enveloppes financières colossales lourdes ont été consacrées à ces régions durant la période d'aisance financière mais sans que les effets attendus apparaissent sur le terrain, ce qui met à nu toute forme de gouvernance économique et territoriale adoptée par les pouvoirs publics algériens il y a presque 40 ans.
Je reviens maintenant directement à votre question concernant la possibilité de rattraper le retard de développement visible accusé par ses régions, particulièrement dans l'infrastructure de bases et les projets structurants notamment les rails. Il ne semble pas que la conjoncture économique actuelle va aggraver la situation même si on parle aujourd'hui d'une enveloppe de 400 milliards de dinars allouée dans le cadre des Plans communaux de développement PCD et presque 1000 milliards de dinars dans le cadre des plans sectoriels déconcentrés PSD inscrits dans les prévisions pour la nouvelle loi de finances de 2018.
Au-delà de ces montants en termes nominaux, le problème du développement local en Algérie réside, à mon sens, dans l'efficacité de la dépense publique qui nous a été enseignée par la théorie des finances publiques via la méthode coût-avantage, mais surtout dans la problématique de vouloir faire en balayant définitivement toutes les politiques de replâtrage antérieures qui sont budgétivores et accusent une perte de temps irremplaçable indépendamment de toute conjoncture économique et financière.
Il y a lieu également de revoir la logique de ces schémas nationaux et régionaux de développement (Schéma national d'aménagement du territoire SNAT et Schéma régional d'aménagement du territoire SRAT) élaborée pendant la période de l'économie planifiée et qui sont devenus aujourd'hui caducs et ne répondant plus aux impératifs du développement local (même si une bonne intention des pouvoirs publics est affichée ces dernières années afin de rapprocher l'administration des administrés à la faveur de la création de wilayas déléguées qui restent au stade de l'expérimentation !).
En dépit de cette bonne «volonté» des pouvoirs publics, ces nouveaux «démembrements institutionnels» souffrent d'un problème majeur qui est l'absence de transfert d'un réel pouvoir de décision au même titre que les wilayas en plein exercice et par conséquent, ces dernières demeurent jusqu'à aujourd'hui des institutions qui exécutent des décisions centralisées.
Enfin, pour replacer le concept de développement local dans sa pleine signification, il faut passer progressivement à la régionalisation économique (fusion de wilayas) de préférence limitrophes pour la gestion de projets structurants en commun, avec des PME florissantes aux alentours et qui auront pour objectif la création d'emplois durables avec une valeur ajoutée locale. Ce nouveau schéma permettra de rationaliser davantage les dépenses publiques pour amorcer un développement ascendant et limiter le train de vie l'Etat devenu aujourd'hui très vulnérable.
Quelle est la marge de manœuvre pour les prochains élus locaux avec le manque de moyens et des recettes fiscales locales ? N'y a-t-il pas lieu de revoir la gestion des Fonds spéciaux de développement ?
Question pertinente et d'actualité, qui intervient dans une conjoncture économique et financière particulière que traverse le pays. Il me semble que les pratiques héritées des assemblées sortantes et antérieures sont dans leur grande majorité à imputer, d'une part, au laxisme des autorités centrales qui veulent passer des élections à tous prix ! Mais surtout à la nature du fonctionnement de ces structures (les assemblées locales) dont l'écrasante majorité est composée d'élus incompétents qui ne possèdent ni le profil nécessaire ni la maturité et dans la majorité des cas sans programme économique pour pouvoir gérer une circonscription d'envergure d'une commune ou d'une wilaya.
En effet, si on se réfère à l'histoire économique un peu récente du pays, on s'aperçoit vite que même dans une conjoncture des plus favorables avec une manne financière inégalée durant les années précédentes, ces Assemblées continuaient de fonctionner à «fonds perdu» par le principe d'assistanat acquis a priori où ses élus se limitent dans leur fonction à des agents d'exécution et réduisent leur travail à voter des décisions sans la moindre connaissance de leur impact sur le développement de leur collectivité. Naturellement, ces derniers doivent figurer dans la nomenclature des agents d'encadrement et prêter plus d'attention à ces lois et décrets.
Pour bien justifier cette réalité qui n'échappe aujourd'hui à personne, il faut dire que les problèmes soulevés par la population de façon quotidienne un peu partout sur le territoire national, particulièrement dans les régions montagneuses et les régions du Sud (pour cause d'éclairage public, chemin communal, gaz, électricité, eau potable, aménagement des trottoirs, abribus, logement social, ramassage des ordures ménagères, transport scolaire et urbain, etc.) se posent aujourd'hui avec plus d'acuité.
Ces problèmes résiduels devraient être réglés définitivement et laisser place à d'autres besoins de nature plus importante nécessaires à tout développement économique et social. Il faut souligner donc, que ce n'est pas du tout un problème d'élus de majorité, de grands partis politiques, de partis politiques expérimentés ou autre chose et encore moins un souci de ressources financières qui se posent aujourd'hui plus que jamais.
Il faut que les élus du peuple aient le courage d'aller au-delà de ces constats récurrents et trop critiques pendant les périodes électorales pour affronter la réalité du terrain qui est complètement différente de celle des pratiques de gouvernance inefficiente/impertinente, voire absente aujourd'hui, mais surtout face à un besoin incoercible de changement. Bannir toutes ces pratiques rentières et «applaventristes» nécessite à mon sens une volonté politique sans faille et une détermination rare, mais surtout l'implication de nouveaux élus via un «patriotisme local» pour espérer renverser la tendance séculaire ancrée dans la structure mentale des élus, pas forcément tous, qui considèrent que leur mission s'arrête juste à la proclamation des résultats des élections.
Enfin, concernant la gestion des fonds spéciaux de développement, notamment le Fonds communal de solidarité (FCS) et le Fonds communal de garantie (FCG), dont les budgets sont alimentés essentiellement par la fiscalité transférée aux communes, il faut souligner ici que ce travail doit s'appuyer sur des élus compétents et jouissant d'une certaine notoriété locale et qui connaissent bien la spécificité de leur circonscription pour tenter d'attirer le maximum d'investisseurs locaux considérés comme levier principal de richesse. Ce qui permettra de contribuer davantage au développement économique de la région et de ce fait ne plus compter sur les subsides de l'Etat central qui est aujourd'hui fragilisé par l'ampleur de la crise.
De nouvelles lois sont en phase de préparation sur les collectivités locales et la fiscalité locale. Sur quels axes faudrait-il intervenir ?
Effectivement, on évoque aujourd'hui la révision des codes de la commune et de la wilaya pour parer au manque des ressources de l'Etat et qui ne peut plus subventionner les collectivités locales au «même rythme». Pour les axes sur lesquels il faudrait intervenir, la réponse à votre question nécessite de décortiquer brièvement le fonctionnement du système fiscal actuellement opérationnel en Algérie régi par la loi n°11-10 du 22 juin 2011 portant dernier code communal.
En effet, lorsqu'on examine, la structure des ressources financières de la commune, dominée par la fiscalité «transférée», il est difficile de dire, également, malgré les changements intervenus depuis la promulgation de cette nouvelle loi, ce que la commune fait ou «peut faire par elle-même».
Le système fiscal national tel qu'il fonctionne aujourd'hui présente une gamme d'impôts dont le produit alimente simultanément le budget de l'Etat et celui des collectivités locales (wilaya, communes particulièrement) de même qu'une partie de produits de certains impôts est versé au Fonds commun des collectivités locales (FCCL) où sont hébergés à leurs tours les fonds spéciaux de développement que vous avez évoqué à la deuxième question.
Ce schéma de répartition entre les différents budgets du produit des impôts consacre en lui-même la frontière des compétences fiscales entre l'Etat, qui détient seul le pouvoir de créer et lever l'impôt et les collectivités locales qui perçoivent une part de ce «pouvoir» en aval par le seul fait qu'il existe des impôts dont le produit est intégralement versé aux communes mais paradoxalement improductifs, dont leur grande majorité. Néanmoins, l'expression «fiscalité locale» n'est qu'un slogan dans la mesure où la commune n'a aucun moyen d'agir sur les modalités d'élaboration de ces impôts. A titre illustratif, le rapport fiscalité ordinaire locale et le PIB hors hydrocarbure qui affiche un taux quasiment insignifiant de 2,5% est édifiant à ce propos.
Dans ce système d'assistanat et de transfert d'enveloppes, «le pouvoir fiscal» de la commune se mesure au pourcentage de répartition du produit de l'impôt entre le budget de l'Etat et celui de la commune. Cette part se situe aux alentours de 20% seulement du total des recettes fiscales ordinaires. Par ailleurs, les recettes fiscales, qui constituent 89% des ressources de la commune, sont légalement destinées aux dépenses incompressibles de la section de fonctionnement du budget local.
Et même si quelque part, dans le discours officiel il a été réaffirmé que la décentralisation «n'est pas un simple transfert de problèmes du centre vers la l'arrière-pays, mais une opération globale qui concerne simultanément les moyens et les compétences», il ne semble pas à la lecture de la loi 11-10 du 22 juin 2011 portant dernier code communal que «cette opération globale» a été le souci du législateur.
Les réformes fiscales et financières introduites dans le passé et celles qui sont toujours en cours ou encore celles qui viennent d'être annoncées offrent, nous semble-t-il, l'occasion aujourd'hui d'une révision en profondeur des «finances publiques locales», par le biais de textes doctrinaux souples, clairs loin de toute forme d'ambiguïté où l'Etat doit accepter de transférer aux communes certaines compétences sans se remettre en cause dans son fonctionnement actuel en tenant de la conjoncture économique et financière aujourd'hui qui ne maîtrise plus.
Par ailleurs, faut-il que l'Etat se réserve les impôts les plus productifs tels que la TVA et refuse de la sorte à établir un principe de répartition des ressources plus équitable entre lui et ses démembrements institutionnels ? Pour remédier à cette situation, il me semble qu'il ne s'agit pas aujourd'hui d'un problème de disponibilité de moyens financiers mais beaucoup plus un problème de pouvoir créer les moyens. Voici quelques scénarios qui me semblent les plus logiques et réalisables à moyen terme :
– La redistribution de la fiscalité entre les communes doit s'accompagner d'un système de transparence absolu, quant aux destinataires de l'impôt et aux usagers auxquels est réservé cet impôt. Cela passera nécessairement par : la révision de la fiscalité locale et la reconsidération du FCCL par la réduction des concours de ce dernier et éventuellement le recours des communes au financement bancaire.
– La part des ressources qui doivent revenir aux communes doit correspondre aux charges nouvelles qu'impliquent les compétences octroyées.
– Les ressources des communes doivent être mobilisées localement par des élus locaux compétents par le moyen d'une concertation-coordinations régulière.
En définitive, pour améliorer progressivement la gestion des collectivités locales, l'administration communale doit impérativement sortir de ses bureaux pour aller «scruter et parcourir» le territoire de la circonscription afin de découvrir les réserves insoupçonnées de compétences que recèlent la commune ou la wilaya qui peuvent apporter une valeur ajoutée locale. Cette nouvelle pratique pourra à l'avenir bâtir les fondamentaux d'un vrai développement par le «bas» via la démocratie participative.


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