Comment l' « autre », l'occidental s'entend, peut-il avoir un regard unifié sur un monde aussi vaste et bigarré que le monde musulman, lorsque déjà, entre coreligionnaires, l'on a des perceptions biaisées. Les musulmans américains, la plupart issus d'une certaine « caste » de l'immigration, tendent à reproduire les stéréotypes occidentaux, voire carrément colonialistes, envers les musulmans européens. De même, aux Etats-Unis par exemple, il y a une reproduction de l'orientalisme des musulmans « blancs » envers les musulmans afro-américains, issus des esclaves africains. « Il s'est installé un élitisme, qui veut que les vrais musulmans sont les sunnites, orientaux ou nord-africains. Pour eux, l'Islam pratiqué par ces Afro-Américains est une forme dégénérée, un avatar de leur religion à eux », avance Nadia Marzouki. L'on voit donc qu'au sein même de la « ouma », il y a stigmatisation et marginalisation de certains courants ou même de communautés inhérentes à un pays ou à une région. Il est toutefois « évident » que les musulmans américains sont dans des situations plus à envier que leurs coreligionnaires européens, tout particulièrement français. « Un musulman en France est un musulman, tandis qu'un musulman aux Etats-Unis est un citoyen à part entière, qui diffère de par sa religion, et qui porte en lui d'autres références, non pas culturelles, mais traditionnelles », estime la doctoresse. Ce qui s'explique par la différence d'origine de l'immigration dont ils sont issus. Et lorsqu'en France, le débat sur l'identité nationale fait rage, et que se pose de façon aussi récurrente qu'accrue la question de la « solubilité » de l'Islam dans la démocratie, laïque de surcroît, aux Etats-Unis, les musulmans ont su dépasser, et faire dépasser aux autres, tous discours victimaires, afin de tenter de s'intégrer, et ce, même en période post-11 septembre. « Ce qu'il faut observer est la traduction des actes pratiqués dans l'Islam dans les cadres législatif et institutionnel américain », analyse la conférencière. « Dans les tribunaux par exemple, et contrairement aux idées reçues, il n'y a aucune hostilité de principe envers cette religion ou les musulmans. Les juges laïcs, font preuve de pragmatisme afin d'inscrire telle ou telle pratique, mariage ou divorce par exemple, dans le cadre américain », indique-t-elle. La société n'est pas dans une logique de choc ou de confrontation des civilisations et des religions. « D'où la nécessité de nuancer les discours ou les politiques étrangères, qui entrent dans une logique institutionnelle et qui peuvent être perçus comme une hypocrisie, et qui sont, tout au plus, de la rhétorique », conclut Nadia Marzouki.