Les deux affaires opposant le journal Le Matin au ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, et à l'homme d'affaires émirati Ali Al Shorafa ont été jugées hier par le tribunal correctionnel de Sidi M'hamed près la cour d'Alger. Tôt dans la matinée, Mohamed Benchicou, directeur du journal, et les journalistes Yasmine Ferroukhi et Youcef Rezzoug sont appelés à la barre pour s'expliquer sur les articles relatifs à la gestion de Sonatrach, objet de la plainte du ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil. « Nous n'avons fait que reprendre les déclarations du secrétaire général du syndicat des pétroliers et celles du ministre en personne publiées par les titres de la presse nationale. Nous nous sommes également interrogés sur des faits avérés que le ministère n'a jamais démentis. Pourquoi les autres journaux n'ont pas été poursuivis en justice ? », a déclaré Yasmine Ferroukhi. Pour sa part, Mohamed Benchicou, qui a regretté l'absence de Chakib Khelil à l'audience, a expliqué que les écrits publiés par son journal étaient « des reprises et rien d'autre ». Nous avons dit que Sonatrach avait acheté deux tours auprès de Chaâbani à un prix excessif sans l'accord du conseil d'administration. Ce sont des informations qui n'ont pas été démenties. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de plaintes contre les nombreux journalistes des autres organes de presse qui ont écrit sur le sujet avant nous ? » Les mêmes propos sont tenus par Youcef Rezzoug qui a indiqué qu'« aucun démenti » ou mise au point n'a été fait par Sonatrach. « Faux », a répondu la défense de la compagnie, précisant que « des démentis ont été transmis mais n'ont pas été publiés ». M. Benchicou a précisé que « le démenti en question était beaucoup plus un jugement de notre travail de journaliste ». Pour les avocats de Chakib Khelil, « les allégations constituent la diffamation », demandant comme réparation un dinar symbolique. La défense des prévenus a pour sa part récusé les accusations, estimant que les journalistes « étaient en droit de critiquer » la gestion des deniers publics. Elle s'est interrogée sur le fait que le ministre n'a pas déposé plainte contre les autres journaux qui ont donné les mêmes informations et a conclu sa plaidoirie en se demandant si la diffamation « était sélective ». Le ministère public a requis 6 mois de prison ferme et une amende de 50 000 DA pour chacun des prévenus, alors que le tribunal a mis en délibéré l'affaire dont le verdict sera connu le 12 avril prochain. Le deuxième procès est celui opposant toujours le journal Le Matin à l'homme d'affaires émirati Ali Al Shorafa. A la barre, Abla Cherif, Hassène Zerrouki, journalistes, et Mohamed Benchicou, directeur de la publication. Le représentant de l'homme d'affaires est Fahim Abderraouf Al Shorafa, entouré de quatre avocats. Le président du tribunal commence par citer les articles objet de la plainte avant de demander à Mohamed Benchicou de s'expliquer sur le contenu. Nos preuves sont toutes dans le dossier que nous avons remis à la justice. Il y a les témoignages d'un des anciens associés d'Al Shorafa, Ali Borhan, et des articles de la presse internationale. Je me suis interrogé sur le fait que le Président puisse recevoir avec autant d'honneurs un homme d'affaires qui profite de cette amitié pour avoir des privilèges », a indiqué M. Benchicou. Interrogée sur les preuves des accusations portées contre Al Shorafa, Abla Cherif a noté que « tout a été mis dans le dossier de fond remis au juge d'instruction. Il y a des entrevues accordées aux journaux algériens El Youm et El Fedjr, où Al Shorafa reconnaît avoir des liens avec Orascom et où il affirme avoir pris de nombreux marchés. Il y a aussi tous les écrits de la presse allemande repris par l'Agence France Presse sur cette société turque Embassen, qui finançait les groupes islamistes radicaux activant en Allemagne, et aussi l'enquête publiée dans un livre sur la banque BCCI et où des liens entre Ben Laden et Al Shorafa sont cités. Il y a aussi le jugement d'un tribunal américain contre ce dernier pour escroquerie et tous ces éléments m'ont permis de faire les articles, sans qu'il y ait l'intention de nuire à la personne d'Al Shorafa et sans que celui-ci réagisse ». Le représentant d'Al Shorafa a rejeté toutes ces informations qualifiées beaucoup plus d'allégations. « D'abord, nous n'avons aucun lien juridique avec Orascom et nous avons un jugement définitif de la Cour suprême américaine annulant toutes les poursuites du tribunal civil à l'encontre d'Al Shorafa. De plus, nous n'avons pris aucun contrat ici en Algérie. » Pourquoi n'avoir pas envoyé un démenti au journal, a demandé l'avocat des prévenus à la partie civile. « Nous l'avions fait, mais le journal est revenu sur le sujet en nous accusant de menteurs », a rétorqué Abderraouf Al Shorafa. « La mise au point ne comporte aucune preuve qui aurait pu démentir le contenu des documents irréfutables en notre possession », a répondu M. Benchicou. Hassène Zerrouki a insisté sur le fait que son article était un commentaire politique et non pas un article de presse ordinaire. « Je suis en droit d'analyser et de commenter n'importe quel événement et l'affaire Al Shorafa en est un », s'est-il défendu. Les avocats du plaignant ont axé leur intervention sur le fait que « les journalistes du Matin ont basé leur enquête sur des sources et non des preuves, argument sur lequel s'appuie le tribunal. Le fait que le nom Al Shorafa a été associé aux groupes islamistes radicaux, au terrorisme et à l'escroquerie a porté gravement atteinte à Al Shorafa », a plaidé la partie civile en demandant le dinar symbolique et la publication du jugement dans deux journaux. Les avocats des prévenus ont de leur côté récusé les accusations, estimant que les informations rapportées par leurs mandants étaient déjà publiées par la presse internationale et sur Internet. « Comment un plaignant, de surcroît étranger, ne paie que 1000 DA de caution ? Nous sommes obligés de croire que tant que l'action publique dirigée contre les journalistes, tout est permis dans notre justice », a relevé un avocat. Le ministère public a quant à lui requis 6 mois de prison ferme contre Mohamed Benchicou, Hassen Zerrouki et Abla Cherif, assortie d'une amende solidaire de 50 000 DA. Le verdict sera connu le 12 avril prochain.