Minerve couvrant le cou, pas lent et sourire à la bouche, Mohamed Boualem Benchicou, un peu fatigué, est sorti, hier, de sa cellule, à la prison d'El Harrach, pour se présenter devant le tribunal correctionnel de Sidi M'hamed près la cour d'Alger. Le motif : entendre le verdict des deux affaires l'opposant, lui et son journal Le Matin, au ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, et à l'homme d'affaires émirati Ali Al Shorafa. Le directeur de publication et gérant du quotidien Le Matin, journal suspendu depuis le 23 juillet 2004, a écopé ainsi de deux autres peines de prison ferme. Trois mois de prison ferme dans l'affaire l'opposant à Chakib Khelil et deux mois dans celle l'opposant à Al Shorafa et une amende de 50 000 DA. Il n'est pas le seul à avoir écopé de cette peine, puisque quatre de ses anciens journalistes seront condamnés à la même sentence. Il s'agit, pour la première affaire, de Youcef Rezzoug, ancien rédacteur en chef du Matin, et de Yasmine Ferroukhi, journaliste. Nos deux confrères ont été condamnés, chacun, à trois mois de prison ferme et à 50 000 DA d'amende. Cela en plus de la publication à leurs frais d'un encart comportant le verdict du jugement dans deux journaux. L'affaire a été jugée le 15 mars dernier et mise en délibéré jusqu'au 12 avril avant d'être envoyée à la journée d'hier. La plainte a été déposée, faut-il le rappeler, par le ministère de l'Energie et des Mines suite à la publication, le 7 août 2003, par Le Matin d'un dossier intitulé : « Où va l'argent de Sonatrach ? ». Dans ce dossier étalé sur deux pages, des articles évoquaient la nomination de feu Djamel Eddine Khan, quelques mois avant sa mort, à la direction de Sonatrach, l'acquisition, par cette dernière, des deux tours Chaâbani à un prix excessif et l'utilisation de l'argent de cette société publique dans la campagne électorale du candidat Bouteflika à la présidentielle de 1999. Une mise au point du ministre Chakib Khelil a été publiée ensuite par le journal. Mohamed Benchicou avait indiqué, lors du procès, que les écrits publiés par son journal étaient « des reprises et rien d'autre ». « Nous avons dit que Sonatrach avait acheté deux tours auprès de Chaâbani à un prix excessif sans l'accord du conseil d'administration. Ce sont des informations qui n'ont pas été démenties. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de plaintes contre les nombreux journalistes des autres organes de presse qui ont écrit sur le sujet avant nous ? », se demandait-il devant le juge. Youcef Rezzoug s'était défendu de la même manière en précisant qu'« aucun démenti » n'a été fait. Yasmine Ferroukhi a jugé la peine « sévère », car dans son papier dont elle garde une copie, il n'y avait aucun propos ou phrase attentatoire ni diffamatoire. « Je n'ai fait que reprendre les déclarations du secrétaire général du syndicat des pétroliers et celles du ministre en personne publiées par les titres de la presse nationale. Je me suis interrogée sur des faits avérés que le ministère n'a jamais démentis », s'était-elle défendue. « Mon article concernant la nomination du défunt Djamel Eddine Khan n'a été qu'un rappel de faits puisés dans le fonds documentaire du journal. C'est-à-dire j'avais ramassé dans un article les faits déjà parus dans la presse nationale », a-t-elle réagi hier à la sentence en étant convaincue que son article ne contient aucun élément outrageant à l'égard de M. Khan. Le parquet avait requis six mois de prison ferme et une amende de 50 000 DA pour chacun. Affaire Al Shorafa Les deux journalistes incriminés dans la deuxième affaire sont Abla Chérif et Hassane Zerrouky. Ils ont écopé de deux mois de prison ferme et d'une amende de 50 000 DA chacun. Outre cela, ils prendront en charge les frais de la publication du verdict dans deux journaux. Ceux-ci avaient écrit dans le journal, en 2003, des articles citant ce milliardaire émirati comme actionnaire dans Orascom Telecom, société égyptienne ayant arraché, en juillet 2001, la deuxième licence de téléphonie mobile en Algérie. Mohamed Benchicou avait expliqué que son journal détenait des preuves. Preuves qu'il avait remises à la justice. « Il y a les témoignages d'un ancien associé d'Al Shorafa, Ali Borhan, et des articles de la presse internationale. Je me suis interrogé sur le fait que le Président puisse recevoir avec autant d'honneurs un homme d'affaires qui profite de cette amitié pour avoir des privilèges », avait-il indiqué le jour du procès. Les mêmes arguments avaient été avancés par la journaliste Abla Chérif qui évoquait des entretiens accordés aux quotidiens arabophones El Youm et El Fedjr, où Al Shorafa avait reconnu avoir des liens avec Orascom et affirmé avoir pris de nombreux marchés. Hassane Zerrouky, également journaliste à l'Humanité, quotidien français de gauche créé en 1904, avait souligné qu'il exprimait dans son article un commentaire de presse, plutôt un point de vue analytique sur les faits déjà publiés dans la presse aussi bien nationale qu'internationale. Le ministère public avait requis six mois de prison ferme contre Benchicou et les deux journalistes sus-cités, assortis d'une amende solidaire de 50 000 DA. Le verdict a été prononcé en présence, seulement, de Benchicou, sans qu'il soit accompagné de mandat de dépôt exécutoire sur place. Les cinq condamnés feront ainsi appel dans les dix jours à venir. Le tribunal d'Alger a traité plusieurs autres affaires liées « aux délits de presse ». Le procès de l'affaire de diffamation opposant l'ancien directeur de publication du quotidien Liberté, Abrous Outoudert, au maire de la commune de Batna s'est ouvert hier. Après l'explication du prévenu et la plaidoirie de son avocat, la présidente de l'audience a mis l'affaire en délibéré jusqu'au 31 mai prochain. Les deux affaires opposant la journaliste d'El Watan, Salima Tlemçani, à la direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et au président-directeur général de la CA Bank ont été renvoyées au 14 juin pour la première et au 31 mai pour la seconde pour absence de la prévenue. Une autre affaire d'« outrage à magistrat » opposant le directeur de publication du Soir d'Algérie, le journaliste Kamel Amarni, au président de la République a été aussi renvoyée au 31 mai. Idem pour les affaires opposant le caricaturiste Ali Dilem et l'ancien directeur de publication de Liberté, Farid Allilat, au chef de l'Etat. Plusieurs autres affaires ont été également reportées. Benchicou en liberté conditionnelle ? Après le verdict d'hier, peut-on espérer que Mohamed Benchicou sera mis, aujourd'hui, en liberté conditionnelle ? La demande introduite par le collectif d'avocats, assurant sa défense, sera examinée ce matin par le tribunal d'Alger. Benchicou, condamné à deux ans de prison ferme le 14 juin 2004 par le tribunal d'El Harrach - peine confirmée en appel le 11 août de la même année par la cour d'Alger -, pourrait ainsi bénéficier d'une liberté conditionnelle après avoir purgé presque la moitié de sa peine. Le collectif d'avocats a motivé la demande par « une requête du médecin de la prison ». Ainsi, le collectif d'avocats estime que son mandant est dans un état de santé lamentable. Selon un de ses avocats, Benchicou « est atteint d'une arthrose qui se radicalise et qui peut lui provoquer une paralysie ». Ce même avocat s'est montré serein et confiant quant à l'issue heureuse de « cette dramatique situation dans laquelle se débat une grande plume ».