C 'est ce qu'ont déjà fait des pays comme la Chine et la Russie et que s'apprête à suivre le gouvernement algérien, qui a introduit dans le projet de loi de finances pour l'année 2018, une disposition (article 113) interdisant expressément la possession et l'usage de crypto-monnaies, parmi lesquelles le bitcoin est le plus clairement ciblé, car permissif, affirment ses détracteurs, à divers trafics (drogues, blanchiment d'argent sale, fraude fiscale, etc.) rendus possibles par l'anonymat des transactions. L'article de loi en question stipule, on ne peut plus clairement, que «l'usage de la monnaie virtuelle est prohibée et que toute infraction à cette disposition sera punie conformément aux lois et règlements en vigueur». Les autorités algériennes étant connues pour leur hostilité aux moyens de paiement modernes (l'Algérie étant un des pays du monde qui a réalisé le moins de progrès dans ce domaine), la promulgation d'une loi susceptible de barrer le chemin aux monnaies virtuelles n'est en réalité pas étonnante. Le principal souci des dirigeants algériens étant de préserver le statu quo à tous les niveaux (politique, économique, social) l'introduction d'une monnaie sans frontières, sans banque centrale et sans possibilité de contrôle souverain, est en effet perçue comme une sérieuse menace sur la «quiétude» d'un système politique qui, pour perdurer, s'accommode parfaitement avec le mode de financement archaïque qui prévaut aujourd'hui encore dans notre pays. Pour faire passer la pilule, les rédacteurs du projet de loi évoquent sans retenue les risques d'évasions fiscales à grande échelle que pourrait générer cette bulle spéculative de quelques génies de l'informatique. Ils évoquent également, pêle-mêle, le trafic de stupéfiants, le blanchiment de capitaux mal acquis et l'essor du marché parallèle de la devise que stimulerait la recherche à grande échelle de dollars et euros à convertir en bitcoins. Aucun amendement n'ayant été introduit par nos députés, cet article de loi a été adopté sans surprise et sans aucun changement dans la formulation par l'Assemblée populaire nationale. Il passera très certainement comme une lettre à la poste au Sénat. «Bulle spéculative» Formé des termes anglais «coin», pièce de monnaie, et «bit», unité de mesure informatique binaire, le bitcoin désigne une monnaie virtuelle issue d'un logiciel conçu en 2009 par un informaticien, se cachant sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto derrière lequel agirait, dit-on, toute une organisation à but lucratif. Il connaît dès sa mise en circulation en octobre 2010 un succès phénoménal. Il a vu sa parité avec le dollar, l'euro et le yen, s'envoler très vite. Parti avec une valeur, d'à peine, 6,18 dollars en octobre 2010, il grimpera crescendo de cotation en cotation, dépassant 6000 dollars en à peine 6 mois d'existence. L'engouement pour cette monnaie virtuelle, dont savent se servir à perfection les jeunes internautes, portera sa valeur à des sommets insoupçonnés. De hausse en hausse, il a franchi le 29 novembre dernier la barre des 10 000 dollars. Bien que violemment critiqué par les économistes, parmi lesquels des lauréats du prix Nobel, qui le qualifient de «bulle spéculative», dont l'explosion prochaine serait inéluctable, le succès mondial de cette crypto monnaie est, faut-il le reconnaître, incontestable et, de surcroît, en constante progression. Présageant de nouveaux records de cotations, la presse économique table déjà sur un bitcoin à 15 000 dollars dans les tout prochains mois. Il faut savoir que la création de bitcoins, appelé- «minage» est entièrement numérique et de ce fait réservée à des spécialistes dotés de serveurs d'une grande puissance de calcul. Un logiciel gratuit à télécharger permet, à ces virtuoses de l'informatique, de fabriquer et de gagner au terme de calculs dont ils sont familiers, des bitcoins ou des fractions de bitcoins, lorsque la valeur de cette crypto-monnaie atteint, comme c'est actuellement le cas, des sommets (un bitcoin vaut actuellement plus de 10 000 dollars). Un système de cryptage sophistiqué garantit la sécurité et la traçabilité de ces transactions, d'où la confiance qu'il inspire aux utilisateurs qui redoutaient par-dessus tout l'explosion de cette «bulle» financière qui fait l'objet de nombreuses critiques émises notamment par certains États et banque centrales réfractaires à cette monnaie sur laquelle ils ne peuvent exercer aucun contrôle. Une valeur refuge Les crypto-monnaies, et tout particulièrement le bitcoin, sur lesquels comptaient de nombreux opérateurs économiques algériens et jeunes virtuoses d'internet pour échapper au système financier algérien et passer directement à des modes de paiement plus modernes, n'auront donc pas, du fait de cet article de loi liberticide, droit d'exister en Algérie où il n'y a, comme on le sait, ni marché du change, ni marché financier, ni marché boursier, ni moyens de paiement modernes sur lesquels compter pour gérer du mieux possible leurs affaires. Le bitcoin, qui permet de transcender les difficultés liées à l'archaïsme du système financier en offrant la possibilité d'opérer des transactions financières directement à partir des ordinateurs ou des téléphones portables, n'a donc plus d'avenir dans notre pays, à moins qu'il se développe, comme il est franchement à redouter, dans l'informel que les concepteurs de cette crypto monnaie trouvent comme il est tout à fait probable, une astuce pour contourner les lois liberticides. Il faut savoir que contrairement aux devises matérialisées telles que l'euro ou le dollar, le bitcoin est immatériel. Il n'est régi par aucune jurisprudence bancaire, échappe aux contrôles des Banques centrales et des gouvernements. Il ne doit son existence, sa force et son ampleur, qu'à une communauté d'internautes qui s'élargit chaque jour davantage, notamment auprès des jeunes du monde entier qui créent et échangent cette monnaie virtuelle contre des bitcoins et réciproquement, sans passer par les guichets des banques ou des bureaux de change. Cette monnaie virtuelle sert à payer des services, des biens immobiliers, des marchandises et même à acheter des devises fortes à partir des webs d'échanges qui permettent de gagner des bitcoins ou des fractions de bitcoins en puisant dans le «Blockchain», cette chaîne de réseaux informatiques mondiale au moyen de laquelle les internautes participent aux échanges, à l'enregistrement et à la surveillance des transactions. Et c'est précisément cette possibilité d'acquérir sans formalités des devises, des biens et services partout dans le monde, qui intéressent les Algériens qui, faute de convertibilité du dinar et de bureaux de change agréés, sont contraints de s'adresser au marché parallèle pour obtenir les devises nécessaires aux voyages et aux affaires. S'il soulage quelque peu les voyageurs et les importateurs, le recours au marché informel de la devise est, à l'évidence, trop onéreux et, à certains égards, risqué pour les utilisateurs qui peuvent être arrêtés aux frontières pour trafic de devises. C'est pourquoi le bitcoin, qui peut s'échanger en tous moments et avec une facilité déconcertante à partir d'un ordinateur ou d'un smartphone, est perçu comme une valeur refuge par de nombreux Algériens qui souhaitaient échapper ainsi aux rigueurs d'un système monétaire anachronique et sclérosé.