Elles racontent toutes le même combat, celui d'une semaine à faire réviser les sourate, les tables de multiplication et à répéter les mêmes consignes. L'une n'arrive pas à expliquer la différence entre «synonyme» et «antonyme» à son enfant de sept ans, l'autre avoue glisser «douaâ ennadjah» (prière de la réussite, imprimable sur internet) à son fils dans l'espoir qu'elle lui porte chance. Et la troisième confie son désarroi : «J'ai passé une semaine à lui faire réviser, j'ai appris par cœur toutes les leçons, et à la fin, il dit qu'il n'a pas bien travaillé.» «Ce n'est pas grave, ajrek hand rabi (Dieu te récompensera pour tes efforts», lui répond une autre. Ici, on se soutient comme on peut, en échangeant les adresses des sites internet ou des groupes Facebook sur lesquelles il sera possible de dénicher les meilleurs sujets ou en décryptant les cours enseignés. «Il y a des exercices sur lesquels j'ai moi-même des difficultés. Comment voulez-vous que nos enfants s'y retrouvent», nous dit Naïma, mère de deux enfants scolarisés. Lorsque la pression est trop forte, on rejette systématiquement la faute sur les nouveaux programmes dits de "deuxième génération" jugés trop difficiles aux yeux de certains parents d'élèves. «En deuxième année primaire, à peine ont-ils appris les lettres qu'ils font déjà l'étude de texte. On leur demande plus que leur âge. Les niveaux ont été revus à la hausse», peste une mère de famille. L'approche globale, prônée dans les nouveaux programmes scolaires, est encore un élément nouveau auquel les enseignants eux-mêmes ont encore du mal à s'adapter. «C'est un programme qui s'appuie sur l'intelligence des élèves. Les enfants ne sont pas tous au même niveau. Il y en a, et c'est naturel, qui sont plus futés que d'autres. Certains enfants sont mieux suivis par leurs parents que les autres. Force est de constater que le suivi joue un rôle primordial. Si certains enfants s'adaptent très bien, d'autres restent à la traîne», estime une enseignante du primaire. Selon la rhétorique officielle, ces programmes pédagogiques de deuxième génération reposent sur le développement des capacités cognitives et l'esprit d'analyse et de déduction. «Il est vrai que les différentes matières se répandent, évoquant le même sujet, qu'il n' y a plus les récitations bêtifiantes, et que l'esprit et la logique sont mis en avant, mais c'est surtout un programme qui repose sur l'interactivité et l'implication de l'élève en classe. Il est impossible d'atteindre nos objectifs avec 35 élèves en classe.» Soit. Mais les mamans n'en feraient-elles pas trop ? Les parents seraient-ils plus inquiets qu'autrefois ? A quoi serait dû cet investissement exagéré ? Les réactions sont-elles disproportionnées par rapport à l'enjeu ? A ces questions, les mamans peuvent se montrer déterminées : «Je veux que ma fille réussisse, dit Naïma, qu'elle ait de bonnes notes dès son plus jeune âge, qu'elle apprenne à compter sur elle-même pour construire son avenir et ceux qui trouvent que c'est abusé, j'aimerais bien les voir avec leurs enfants.» «Tu réussiras mieux que moi !» D'autres avouent leur démesure. «Ma fille de sept ans avait omis de répondre aux exercices se trouvant sur le dos de la feuille. Lorsqu'elle m'a vue pleurer, elle est venue m'embrasser, ne comprenant pas la raison pour laquelle j'étais dans cet état, c'est là que j'ai compris que je prenais les choses trop à cœur», dit Radia, maman de deux enfants et enseignante au lycée. D'aucuns reconnaissent volontiers que la vie s'est organisée au rythme des révisions et des colères foudroyantes. «Pour dire la vérité, j'ai été impitoyable avec eux cette semaine. Il y a des enfants qui ne comprennent et n'assimilent leurs leçons qu'avec la violence, c'est pour leur intérêt que je le fais. Le primaire est la base et je ne veux pas qu'ils ratent le coche. Nous avons nous-mêmes été élevés de manière sévère et cela ne nous a pas traumatisés.» Certaines mères disent clairement par des raisons profondes, projetant –inconsciemment ?- leurs rêves sur leurs enfants. «Oui, je suis mes enfants de très près parce qu'aujourd'hui, les profs ne donnent plus le meilleur d'eux-mêmes. Je n'ai pas eu la chance de faire de longues études, j'ai été mariée jeune, je veux un avenir différent pour mes filles», affirme Farida, dynamique mère au foyer. Et d'ajouter : «Les programmes sont difficiles et c'est à moi de combler les lacunes du système éducatif. Si mes filles y arrivent c'est grâce à moi et si elles échouent, j'en suis la principale responsable.» Pour autant, elles ne perdent pas le sens de l'humour : «Maintenant que je connais tous les cours par cœur, je pense que je suis apte à passer le concours des enseignants.»