– Vous avez été à l'initiative de l'exposition «Pour un musée en Palestine» présentée pour la première fois à l'Institut du monde arabe en 2017. En quoi consiste concrètement ce projet ? Quelle est sa genèse ? Jack Lang : Elias Sanbar est venu me demander il y a un peu plus de 3 ans le soutien de l'IMA pour la création de ce musée soutenu par l'Autorité palestinienne. J'ai bien évidemment immédiatement accepté. En octobre 2015, l'Institut du monde arabe et la Délégation de Palestine auprès de l'Unesco ont décidé formellement de s'engager ensemble pour la création de ce Musée national d'art moderne et contemporain de la Palestine. Le projet d'un Musée en Palestine est fondé sur le principe d'une collection solidaire, constituée de dons d'artistes. Une association de droit français, l'Association d'art moderne et contemporain en Palestine a été créée pour le porter. Coordonnée par l'artiste Ernest Pignon Ernest, la collection souhaite rivaliser avec les grands musées internationaux. L'ambition du futur musée est en effet de couvrir les courants de la création contemporaine de ces cinquante dernières années sur tous les continents. Toutes les formes d'expression y seront à terme représentées. Elias Sanbar : Le projet d'un Musée national d'art moderne et contemporain de la Palestine est inspiré de deux expériences précédentes menées, l'une en Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid et l'autre en Argentine, à l'époque de la dictature militaire. Ces deux expériences furent en leur temps fondées sur un principe simple : tout artiste solidaire de la lutte contre l'apartheid ou la dictature militaire offrait une œuvre au peuple concerné. Cette collecte de dons suscita un grand mouvement de solidarité des artistes à travers le monde et c'est, guidés par ces expériences, que nous avons lancé un appel analogue à l'attention des créateurs solidaires de la lutte palestinienne. Notre projet a été accueilli au-delà de ce que nous pouvions espérer et la collection ne cesse de gagner en importance. – Quel est – et quel sera – le rôle de l'IMA dans le processus de création de ce musée ? J. L : L'IMA héberge la collection du musée dans ses réserves. C'est pour l'instant son point d'ancrage en attendant l'acquisition d'un terrain et la construction d'un bâtiment pour accueillir le musée en Palestine, sa véritable destination. J'espère qu'il pourra s'incarner sur place le plus rapidement possible. Il n'est pas admissible qu'un peuple soit ainsi privé d'un tel musée, et plus largement d'un véritable accès à la culture ! – Quel usage sera-t-il fait de la collection en attendant la construction d'un musée en Palestine ? J. L : La collection est aujourd'hui conservée dans les réserves de l'Institut du monde arabe où le directeur du musée gère la conservation selon les règles : inventaires, établissement des fichiers techniques, catalogage ainsi que la photographie… Il est bien entendu que dans l'attente du transport des œuvres en Palestine, l'Association d'art moderne et contemporain en Palestine ainsi que l'Institut du monde arabe sont tout à fait disposés à la tenue d'expositions temporaires de tout ou partie de la collection en France ou dans d'autres pays. Ces expositions permettent aussi d'accroître la collection qui en une année s'est considérablement étoffée. Elle compte aujourd'hui plus de 140 œuvres issues de dons d'artistes européens et, désormais, arabes également. – Qu'est-ce qui a motivé la participation de l'IMA à ce projet artistique ? J. L : Tout simplement la volonté de soutenir le projet que sont venus nous proposer Elias Sanbar et Ernest Pignon Ernest. Elias Sanbar m'a raconté avoir été bouleversé lorsque, au cours d'un séjour en Palestine, il a rencontré deux jeunes créateurs qui lui ont dit ne connaître les œuvres des artistes d'aujourd'hui qu'à travers des reproductions, car ils n'avaient jamais pu quitter leur territoire. Ce projet m'a immédiatement semblé à la fois légitime et nécessaire. Tout le monde, chaque peuple, doit pouvoir avoir accès à l'art dans toutes ses formes. – Quel écho votre initiative a-t-elle trouvé auprès des artistes et auprès de l'opinion publique ? J. L. : Ce projet rencontre un très fort soutien de la part des artistes. J'en veux pour preuve le fort développement des dons. Mais l'exposition que nous avons présentée à l'IMA l'année dernière a également rencontré un très grand succès public et médiatique.
E. S. : Je vous citerai pour seule réponse le fait que les donations ne cessent de se multiplier et que l'exposition précédente a reçu la visite de plus de six mille cinq cent personnes. Je crois que ces deux faits disent de façon éloquente l'écho positif que nous avons reçu. – Cette exposition a ouvert ses portes au public pour la deuxième fois, le 10 mars. Pourquoi cette deuxième édition ? E. S : Il est tout naturel, au terme d'une année de collecte de nouveaux dons, d'exposer au public les donations que nous avons reçues depuis la première exposition. Tout comme il est indispensable de donner à voir ces œuvres en hommage à leurs créateurs, d'une part, et pour permettre au public de constater l'évolution du projet. – Quelle est la portée politique et symbolique de cette action pour la Palestine et pour son peuple ? E. S. : Cette action est tout d'abord un pari esthétique et politique relatif à notre conviction que nous pouvons d'ores et déjà commencer à fonder une société libre et souveraine. Elle exprime également notre certitude que la vie sera plus forte que le destin mortifère que nous réserve l'occupation. C'est enfin un projet citoyen qui, à travers la création d'un Musée national d'art moderne et contemporain, ambitionne de mettre à la disposition du peuple de Palestine un espace de beauté et de rêve et d'ouverture sur l'art dans le monde. J. L. : Pour l'IMA, ce projet est une façon de montrer notre solidarité avec le Peuple palestinien qui vit une situation terriblement injuste. Je suis pour une solution à deux Etats. Il n'y a pas d'autre alternative et il est urgent d'aboutir à un règlement juste et équitable. Je veux ici condamner à nouveau avec la plus extrême fermeté la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. C'est une décision totalement irresponsable et contraire au droit international. Une fois de plus, le président américain a choisi la provocation plutôt que la sagesse. Le statut de Jérusalem doit être décidé à travers des négociations entre les deux parties sur la base des résolutions des Nations unies.