C'est bien la première fois que des écrivains coréens rencontrent leurs pairs algériens, du moins en Algérie et de manière organisée, car on peut imaginer qu'à l'occasion de salons du livre dans le monde, cela a pu se faire de manière fortuite et individuelle. Lundi dernier donc, à l'hôtel Sofitel d'Alger, a eu lieu cette Rencontre littéraire organisée par l'ambassade de la République de Corée en Algérie. Si la traduction non simultanée a posé quelques problèmes de rythme, les deux «parties» ont réussi à s'entendre, d'autant que l'assistance n'était pas nombreuse (une trentaine de personnes), un fait exprès, car c'était la qualité et la profondeur des échanges qui étaient recherchées. Dans son allocution d'ouverture, l'ambassadeur de la République de Corée, Park Sang-jin, s'est attaché à expliquer le dessein d'une telle journée à travers laquelle son pays envisage de développer la dimension culturelle des relations bilatérales. Il a développé l'idée, reprise plusieurs fois par d'autres participants, d'une certaine similitude des histoires à travers notamment le fait colonial et la résistance à l'occupant, la lutte contre des entreprises de dépersonnalisation ainsi que par des référents communs au plan des valeurs socioculturelles. La Corée, en effet, a subi de 1910 à 1945 une occupation japonaise féroce durant laquelle, outre l'exploitation économique et la répression allant jusqu'à une entreprise massive d'esclavage sexuel, la langue et la culture coréennes ont été bannies. Comme en Algérie, la littérature de ce pays a constitué un support populaire de résistance à la colonisations avant de prendre, à la faveur de l'indépendance, une dimension sociétale. La question de la mémoire demeure toutefois importante puisqu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la Corée a subi une partition dont l'actualité nous renseigne sur la tension et la frustration qu'elle engendre encore. Ces aspects sont souvent revenus au cours de la journée d'échange qui a consisté en communications croisées permettant aux Coréens et aux Algériens de découvrir les réalités littéraires ou autres des uns et des autres. La dimension algérienne a été inaugurée par l'écrivain Mohamed Magani, président de l'association d'amitié algero-coréenne, qui a développé le principe de cette rencontre et son intérêt pour le développement des échanges littéraires et culturels. L'écrivain et professeur d'université, Lee Gil-won, a présenté une approche de la littérature coréenne et le poète et essayiste, Amin Khan, en a fait de même pour la littérature algérienne. Par la suite, le poète Ra Tae-joo a présenté la littérature poétique dans les époques de transition de l'histoire de la Corée avant que son pair, Sohn Hae-il, n'aborde la littérature coréenne durant la colonisation japonaise. Pour sa part, Mohamed Sari, écrivain, universitaire et traducteur, s'est penché sur les rapports entre roman et société en Algérie à travers diverses époques. L'après-midi a été consacrée à une communication du poète Kim Yong-jae sur la poésie coréenne durant la période de division. Par la suite, Jaoudet Gassouma, peintre, journaliste et écrivain, et Azzedine Guerfi, directeur des éditions Chihab, ont respectivement parlé des rapports entre société civile et culture en Algérie et de l'édition algérienne et du partenariat international. Les communications et débats ont permis de découvrir divers aspects de la littérature et de la culture coréennes. Ainsi, a émergé la figure de l'empereur Sejong le Grand qui, au XVe siècle, a suscité et assuré la création du hangeul, l'alphabet coréen qui met fin aux idéogrammes chinois mais sera ensuite banni avant d'être réhabilité. Cet alphabet représente aux yeux des Coréens (du Nord et du Sud, car il est célébré par les deux) un élément d'identité culturelle fort de même qu'un symbole de résistance et un instrument de modernité de par sa simplicité. Autre découverte, celle de l'importance de la poésie dans la littérature coréenne. Déjà prépondérante durant les anciens empires où l'on ne pouvait accéder à un poste de fonctionnaire sans maîtriser cet art littéraire, elle a pris une dimension marquée avec la résistance à l'occupation japonaise. Mais de nos jours encore, elle est un genre particulièrement apprécié des lecteurs, au point que sur les 15 000 membres de l'Association des écrivains en Corée du Sud, 60% sont des poètes. La demande serait motivée, selon un des intervenants coréens, par le manque de confiance en soi généré par les vagues d'adversité que l'histoire a réservées aux Coréens. D'une manière générale, dans ce pays d'industrie et de haute technologie, la littérature est loin d'être oubliée et chaque région possède de nombreuses bibliothèques, associations, clubs de lecteurs et magazines consacrés à ses expressions. Par ailleurs, selon les chiffres fournis par la KPIPA (Agence coréenne pour la promotion de l'industrie de l'édition), la Corée du Sud a publié en 2015 plus de 35 000 nouveaux titres dont plus de 10 000 pour le scolaire et le parascolaire. Le total de ventes de livres a atteint 3,9 milliards d'euros, ce qui donne une idée de l'importance de cette industrie culturelle où activent environ 6000 maisons d'édition. C'est dire l'intérêt de telles rencontres qui permettent d'envisager de nombreuses passerelles, tant d'un point de vue littéraire qu'éditorial. Au cours de cette rencontre, un groupe d'étudiants et d'étudiantes algériens, qui étudient le coréen à Alger, a attiré l'attention et la sympathie des participants. Plusieurs d'entre eux se sont adonnés à cette passion en découvrant les manhwas (BD et animations coréennes) que le Festival international de la BD d'Alger, à la suite d'internet, a contribué à faire connaître en 2015 avec la Corée du Sud comme invitée d'honneur. A l'issue de la journée, de nombreuses pistes de partenariat et d'échanges ont été explorées dans la coédition, la formation, la traduction, etc. Au fond, le livre et la littérature ne sont-ils pas faits aussi pour diversifier et renforcer les échanges ?