La récente disparition, au Sénégal, du cinéaste Mahama Johnson Traoré a été profondément ressentie. On l'aimait bien et il aimait beaucoup l'Algérie. Peu de temps avant sa mort, il s'acharnait à terminer un film, une coproduction du Festival panafricain d'Alger. Il pensait qu'il était redevable d'une dette envers notre pays parce que c'est à Alger, il y a plusieurs années, qu'il fut désigné à la tête de la Fepaci, la Fédération panafricaine des cinéastes. Une organisation qui a eu la vie dure quand son siège était au Burkina ; aujourd'hui, il est à Libreville, au Gabon, une capitale relativement prospère qui pourrait glisser un peu de pétrodollars au cinéma... Pas de chance, les budgets sont toujours arides. Depuis sa création, la Fepaci n'a pas cessé de faire des démarches officielles, des actions, des colloques pour dire que le cinéma africain rencontre des millions de problèmes et qu'il faut le sauver. La galère n'est pas finie. Vouloir faire un film en Afrique aujourd'hui encore, c'est souvent solliciter un prêt bancaire ou hypothéquer sa maison. Souvent les deux choses à la fois. Après ça, louer une vieille caméra, chercher des acteurs, bricoler le travail technique faute de vrais techniciens. Rares encore sont les pays africains qui jouissent d'une politique de production cinématographique. Et encore plus rares les dirigeants africains qui ne regardent pas les cinéastes comme de dangereux agitateurs. Sauf certains griots de l'image qui se mettent à leur service, à leur entière dévotion. Cette catégorie de « griots gouvernementaux », on pouvait la voir à l'œuvre au Fespaco, jouissant des mannes royales du régime en place et faisant automatiquement et sans état d'âme la propagande du pouvoir. Sus au bricolage La même catégorie tenait le Fespaco à un niveau d'incompétence et de corruption assez habituel sur le continent. Inversement, on voyait aussi des « bricoleurs » partout, contestataires, dignes et indépendants. Ceux-là mêmes qui ont hypothéqué leurs maisons pour tourner leurs films. Ce sont ceux-là qui se lançaient dans la bataille aux rencontres de la Fepaci sans pourtant arriver à secouer les décideurs en Afrique. C'est pour cela que fatigués de bricoler, ils se tournent parfois vers l'Europe, dont les subventions sont octroyées seulement aux travaux sans couleur politique, tièdes, passables et nuls d'émotion. Tant de peine et d'espoir pour se retrouver dans la même situation précaire. Car, les Européens exigent, en plus, au moins 20 copies de chaque film africain subventionné pour les diffuser à travers leurs centres culturels à l'étranger. Ce sont le plus souvent des films sur-mesure pour les bureaux des ministères de la Culture européens. La diffusion non commerciale des films africains rend alors impossible toute sortie commerciale. La boucle est bouclée. Le cinéaste n'a plus qu'à trimballer ses bobines dans les festivals où souvent le piège se referme sur lui. Un beau jour, on a vu le Boubou du Malien Souleimane Cissé sur les marches du palais du Festival de Cannes. Une promesse, un espoir ? Mais dans la salle qui montrait son film, il n'y avait que quelques âmes solitaires, sans comparaison avec l'écrasante foule qui se ruait sur les horreurs de Tarantino.