C'est dans une salle de la bibliothèque communale que l'enfant d'Aokas a animé cette rencontre devant une forte assistance, constituée de ses proches, ses anciens collègues et autres passionnés de la culture dans cette localité balnéaire. Ils sont tous avides de découvrir l'autre visage et l'âme de ce talent retraité de la santé, mais qui n'a cessé depuis son enfance d'écrire des textes poétiques ainsi que des pièces théâtrales. Ainsi, le temps de cette rencontre de trois heures ne lui a pas suffi pour étaler sa philosophie par rapport aux questions ayant trait à sa vie intellectuelle. Tantôt il se laisse emporter par des textes rimés, tantôt il argumente sa vision et relate les conditions dans lesquelles ses œuvres ont été écrites. «Je ne sais pas exactement combien de textes j'ai écrits, mais je compte éditer pas moins de cinq manuscrits dans le futur», déclare le poète, très ému par l'intérêt porté à ses œuvres par l'assistance. Cela dit, il rime difficilement entre les aléas de la vie et sa passion d'écrire et rencontre des contraintes financières pour éditer ses recueils. Des paquets de feuilles dans les mains, Da Mohand avoue qu'il collecte ses poèmes «comme un cueilleur d'olives en attendant des jours meilleurs pour en publier». M. Chabane, la soixantaine passée, est surtout porté par la douceur de la poésie rimée et rarement la poésie libre. «J'ai tendance à écrire des fables kabyles et faire parler les animaux. Je ne suis pas La Fontaine, mais j'essaye de travailler à son style», ironise-t-il devant l'assistance. Appelé par son entourage le «poète de la Révolution», il ne néglige aucun volet dans ses textes, en commençant par les affres de la Guerre de Libération, dont les séquelles sont encore là, l'Algérie post-indépendance, la misère, l'amour et la beauté de la région d'Aokas. Véritable forgeron du mot, il essaie toujours de porter sur ses écrits une image éternelle de notre passé à la fois misérable et glorieux, et figer sur Aokas l'image des plus belles régions au monde. A travers sa fameuse pièce théâtrale Zone interdite, qui raconte les jours du village de Tazrourt dans la commune de Tizi N'Berber pendant la Guerre de Libération, le dramaturge a voulu aussi ressusciter l'amour de la patrie chez les jeunes générations. Concernant ses publications, le poète fait une révélation pour le moins étonnante. Il a brûlé, en 1974, un manuscrit de poésie qu'il devait publier en France, car, dit-il, déçu par l'agissement de l'un de ses proches qui devait en payer les frais, mais qui s'est rétracté à la dernière minute. Mohand Chabane est l'auteur de quatre pièces théâtrales, dont une, La Noblesse, interdite à l'époque du parti unique pour sa tendance critique à l'égard du régime politique en place. «Nous avons souffert pour arriver à la liberté d'expression, nous avons fait passer tamazight à l'époque de l'interdit», se félicite l'auteur de l'Infirmier et l'Avare, des pièces jouées, comme les autres, dans le dialecte de Tassahlit. Outre la publication de ses poèmes, il compte éditer un manuscrit de recueil de poésie de son cousin Saïd Ouali, décédé en 1946. Un travail pas aussi facile à achever, puisqu'il repose sur la collecte des paroles de son entourage.