Le ministre de l'Intérieur est revenu, en une semaine, à deux reprises sur le petit écran pour parler du passeport et de la carte d'identité biométriques qui seront bientôt lancés en Algérie, et d'autres choses qui sont loin d'être banales, comme le fait de saisir l'opinion publique à témoin sur la position de l'Etat – qui est avant tout sa position – concernant le bras de fer qui l'oppose à la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme. Il faut dire que pour transmettre son message qui se fige comme toujours dans le politiquement correct, Yazid Zerhouni s'est encore offert (ou plutôt c'est la télé qui lui a réservé presque à titre d'une formalité qui coule de source) non seulement un bon créneau horaire qui correspond à une heure d'écoute idéale, mais aussi un temps de passage où les minutes ne se comptent pas, ce qui ressemble à ne pas en douter à un privilège médiatique auquel seules les « grosses pointures » politiques peuvent prétendre. Zerhouni, de toute façon, ne peut lorsqu'il s'exprime se contenter d'être repris par la rubrique des « brèves » qui reste l'antichambre du programme du JT de 20 heures, car ce qu'il a à dire est toujours important. Fort de son statut de puissant ministre de l'Intérieur, mais aussi du personnage certainement le plus influent du sérail en sa qualité de responsable le plus proche du président de la République – on le classe aisément comme le deuxième homme de l'Etat –, il a besoin que la télévision, les trois chaînes comprises, soit à sa disposition quand il s'adresse aux Algériens. Si donc ses explications, avec force détails, sur la portée des nouveaux documents biométriques n'ont pas capté la même attention des téléspectateurs, comme lors de sa précédente sortie télévisuelle portant sur ce sujet qui semble tellement lui tenir à cœur, car trop « techniques » et ayant la caractéristique du « déjà entendu… », c'est en revanche sa réponse, par écrans interposés, aux déclarations des représentants de la Ligue des droits de l'homme, réponse qui se voulait comme une cinglante mise au point à la virulence des arguments développés par ces derniers pour tenir le 9e congrès de leur organisation malgré les interdictions de la loi, qui a constitué l'élément le plus important mais également le plus suspect de son intervention. A vrai dire, entre le ministre de l'Intérieur et la Ligue des droits de l'homme en prise à des problèmes internes, dont celui du leadership, le conflit ne date pas d'hier. Il a été exacerbé et remis au goût du jour par le coup de force de la ligue qui a bravé l'interdiction pour tenir son congrès et surtout pour montrer aux Algériens que le niet ministériel est foncièrement arbitraire. Deux positions diamétralement opposées s'affrontent sur la question fondamentale des libertés et de la défense des droits de l'homme, celle de Zerhouni qui pense qu'il y a violation flagrante de la loi, et donc un grave refus de se soumettre aux décisions sécuritaires induites par l'état d'urgence qui court dans sa dix-huitième année, et celle des dirigeants de la LADDH pour qui la mesure d'interdiction cache mal les velléités politiques du système à vouloir caporaliser, voire instrumentaliser toute association qui se pose comme contre-pouvoir. Le ministre justifie sa décision par le fait que la ligue n'a pas fait le ménage dans sa maison et donc demeure une hydre à plusieurs têtes qui ne saurait être légalement représentative pour prétendre tenir son assemblée. Version rejetée violemment par cette dernière, notamment par son ex-leader Ali Yahia Abdenour, toujours sur la brèche, lequel dans une contribution à El Watan, considère l'attitude de Zerhouni comme un grave dérapage sur la question des libertés, d'autant que, selon lui, la LADDH ne souffre d'aucun problème interne, bien que tout le monde sait qu'elle n'applique pas toujours en son sein les règles élémentaires de la démocratie, comme le prouve le « coup d'Etat » qui a fait chuter Zehouane. Mais, malgré les luttes intestines qui ont déstabilisé son fonctionnement et son activité, la ligue défend avec autant d'acharnement son indépendance et dénonce le totalitarisme du système qui veut assujettir toute voix qui ne s'aligne pas sur le discours officiel. On pensait que fort de son poids politique et de la « justesse » de sa position vis-à-vis de la loi, Zerhouni allait avoir le dernier mot. Finalement, le militantisme de la LADDH a prévalu puisqu'en dépit de l'interdiction, celle-ci a quand même tenu son congrès, une victoire de principe qui a résonné comme un camouflet adressé à l'homme fort du système. Comme quoi, lorsqu'on a la vérité de son côté, tout devient possible… Au fait, pour la compréhension en profondeur de ce conflit qui traduit toutes les contradictions politiques qui minent notre société, il aurait fallu un débat public à la télévision. Un face-à-face Zerhouni-Ali Yahia Abdenour aurait fait un plateau de choix pour clarifier, aux yeux des Algériens, les argumentations des uns et des autres. Mais…