Celui qui s'est mis en tête de faire aimer cette musique aux jeunes est l'une des valeurs montantes de l'andalou. Jean's et cravate ouverte... La jaquette de votre album Sérénade souligne une volonté de sortir des limites, parfois étouffantes, du traditionnel... Lors du briefing avec l'agence de communication, j'ai dit au photographe de choisir l'image qui sied aux deux facettes de l'album. Je lui ai parlé de la thématique très bachique avec notamment l'éloge du vin. Je voulais donc une chaise de bistrot et moi, assis à califourchon. Je suis vêtu d'une manière décontractée, je fais de la musiqué médiévale, mais je reste un artiste moderne. Je ne voulais pas d'une tenue en référence au genre chanté. Je voulais que la suggestion se fasse à travers le rebab, posé à même le sol, et le tarbouche. Le mot Sérénade renferme tout ce que je voulais dire dans cet album. Il vient de l'italien, sera, le soir. Dans la musique andalouse, le soir est propice à la rencontre, à beaucoup de bonnes choses. Une « fan » voulait que je titre Aubade, mais le jour n'est pas propice à la rencontre. La sérénade était une composition chantée par les troubadours à l'époque médiévale sous les balcons des belles. Mais c'est quelque chose de léger également. Le hawzi, dans la continuité de l'andalou, reste un genre populaire et léger. Sérénade s'inscrit-il en continuité ou en rupture des albums précédents ? Il n'y a pas de rupture, j'ai déjà produit trois albums en 2003, 2005 et 2007. Le premier, sans titre, regroupe des morceaux empruntés à la nouba mezmoum ; le deuxième, Oumou el hassan, est un florilège de morceaux aroubi et hawzi ; le troisième reprend une nouba rasd edhil intitulé Mechmoum, en référence au mechmoum blidéen, un petit bouquet de fleurs. Je me rappelle que chaque matin, ma grand-mère cueillait des jasmins et les mettait dans un verre qu'elle posait sur la meïda au petit-déjeuner. Des images et des parfums qui me reviennent et soulignent le raffinement culturel de Blida. Pourquoi l'album contient-il quatre programmes ? Quatre, certes, mais avec une succession dans la thématique. J'ai commencé avec Hadi Snine adida, chant aroubi qui évoque la rencontre et la douleur de la séparation. Le fil conducteur est l'amour qui trouve consolation dans le vin. Il y a également Koul menchaf ghezali ka yethou, où celui qui aime va se plaindre auprès du taleb de cette séparation inexpliquée. Il y a également Ochak ezzine et El houb rah fenani. Il n'est question que de flammes et de douleurs. Le deuxième programme est plutôt tlemcénien. Je le tiens de mon ami Salim Hassar. Le texte Lou mal fdhoul de Bensahla est plutôt connu par son histoire. Son titre signifie « si ce n'était ma curiosité ». Son auteur, Bensahla avait vanté la beauté des femmes de Tlemcen. Mais quand il s'est intéressé à l'épouse du gouverneur ottoman, c'en était trop. Il a été exilé à Oran. Il a écrit une lettre au gouverneur, c'est le texte que je chante. Cette missive lui a permis d'être gracié et de rentrer à Tlemcen. Il a expliqué dans sa lettre qu'il s'agissait d'un amour platonique. Dans le chant, j'ai gardé quelques accents et couleurs de Tlemcen, mais je l'ai interprété à la façon d'Alger. Il y a quelques arrangements. Je crois que le texte est plus beau que la musique. Ya Qelbi tsthal el koua est dans la même lignée. L'auteur de ce texte est inconnu. J'adore ce poème d'un anonyme qui s'en prend à son cœur en lui souhaitant d'être brûlé. Le feu de la passion est dans tous les textes que j'ai choisi de chanter. Une thématique fort présente dans la musique andalouse. Dans le troisième programme, il y a un moghrabi… C'est un chant très prisé par les chanteurs chaâbis dont Khelifa Belkacem, Maâ tsmaâ koub ouara rabi gheffar a été également interprété par Hadj El Anka. Je l'ai chanté façon hawzi. Il y a aussi Messaâd dhak nhar djani bechar, le plus bachique de l'album, l'éloge du vin par excellence. Le poète évoque ce beau jour de la venue d'un messager de bon augure… Salef Mkmoulet el bha, de Benali, semble le plus vous toucher... Absolument ! C'est un morceau marocain chanté par le défunt Hadj El Mahfoud. Je l'ai repris pour sa beauté. Le poète souligne qu'une touffe de cheveux peut être un gage d'amour, un souvenir d'une précédente visite. Il a des remords parce qu'il a perdu cette touffe. Nechki kessat hali est une complainte, puisque celui qui a perdu le souvenir va voir le marabout, sachant que celui-ci ne peut rien. Il va juste l'écouter et le consoler. La cerise sur le gâteau est le quatrième programme avec Youm rit el adra… Il a été composé par Bensaïd Tlemçani, juif de Tlemcen, chanté en 1930 et n'a pas été interprété depuis. J'ai mis beaucoup de temps à écouter la bande en raison de la mauvaise qualité du son. Il m'a fallu une année pour détecter la structure de la chanson. Là, je me suis permis un peu de fantaisie, de nouveaux accents, une certaine liberté. Je l'ai mis à la fin, car c'est le plus léger des morceaux de l'album. Le poète y évoque un peu de libertinage. Ce texte est tombé dans l'oubli. Salim Hassar l'a exhumé. Le texte existait, mais sans musique. Il a fallu qu'on ramène le disque de France pour retrouver les mélodies. Avez-vous en projet un nouvel album ? Je mets deux ans à préparer un produit nouveau. Je prends mon temps pour les thématiques et les textes. On me reproche souvent de ne pas produire annuellement. Je préfère peaufiner mon travail. J'aime m'imprégner des textes, les corriger. C'est un travail collégial avec mes amis musiciens, Réda Tabti, Sid Ahmed dit Bono, Mohamed Belkhodja, etc. Je leur demande souvent leur avis sur un air ou une mélodie. Ils me font des propositions. Il y aussi Salim Hassar, chercheur en musique andalouse. Abdelhadi Boukora m'a beaucoup aidé aussi à comprendre et à corriger des paroles. Certaines paroles changent de sens, d'autres sont déformées. On cherche toujours le mot d'origine. Il y a donc une approche didactique. Au risque de heurter certains puristes, on veut ajouter de nouvelles sonorités. Je ne touche pas à la musique andalouse, mais je me permets des libertés avec le hawzi ou l'aroubi pour s'approcher de l'oreille du jeune public. Je veux faire aimer cette musique aux jeunes qui ne la connaissent pas. Ils sont parfois durs avec elle parce qu'ils la méconnaissent. Il y a un problème de transmission et de valorisation. C'est aussi le rôle des médias. Mes premiers auditeurs sont mes élèves du lycée ou de l'institut où je travaille. Je les incite à écouter. Je leur dis : même si ça ne vous plaît pas, essayez d'écouter. A chaque fois qu'ils le font, ils découvrent et commencent à aimer. Je suis surtout content que mes élèves viennent assister à mes concerts. Vous faites de la résistance à votre manière... Absolument ! Nous sommes conscients que nous sommes porteurs d'une civilisation et d'une musique policée et raffinée. On aimerait être plus programmé, qu'on fasse appel à nous sans devoir frapper aux portes. Produire un album exige beaucoup d'efforts. Cela nous désole, on sollicite toujours les mêmes. Il faut peut-être se montrer plus souvent dans certains salons d'Alger ! Le 27 mars dernier, j'ai clôturé le Festival maghrébin de musique andalouse à Koléa. Je suis passé avec l'orchestre féminin de l'association El Fen Oua Nachatt de Mostaganem. C'était une première pour moi. J'ai déjà animé un concert à l'Auditorium de la Radio nationale à la sortie de l'album. Je dois reprendre les contacts pour d'autres concerts. Je n'ai pas fait de concert à Blida, la ville a du mal à se relever de sa torpeur. Nous sommes à la salle Mohamed Touri, froide et fermée. Est-ce normal pour une ville comme Blida ? C'est l'unique salle de Blida. Il ne s'y passe pas grand-chose, si ce n'est quelques petites rencontres politiques. Je suis outré par ce climat morose et cette tendance à réduire la dimension culturelle et civilisationnelle de Blida à une kermesse frénétique. Blida a vu naître des grands noms de la culture : Hadj El Mahfoud, Dahmane Benachour, Mohamed Touri... Elle n'a qu'une petite salle froide ! J'avoue que je ne comprends rien. Je ne sais pas s'il existe une volonté de faire table rase de la culture à Blida. Pourquoi la ville est-elle devenue un gros village et un marché à ciel ouvert ? Il n'est pas normal qu'en 2010, Blida ne possède pas une salle digne de ce nom ou un théâtre régional. Le festival du hawzi est organisé au parc de loisirs, loin de la ville. La salle Mohamed Touri est coincée entre deux cafés. Aussi, les familles ne viennent-elles pas. La relance de la vie culturelle à Blida est de la responsabilité de tous, à commencer par la société civile et le mouvement associatif. Lorsque la culture est gérée par l'administration, il ne faut pas s'attendre à des miracles. |Repère :| |Farid Khodja, 46 ans, ne se sépare jamais de son rebab, cadeau de son oncle, Mohamed Khodja Dziri, qui lui a appris les rudiments de la musique arabo-andalouse au sein de l'association El Widadia de Blida. A 11 ans, il rejoint l'association Nedjma de Blida où il rencontre son maître, Mohamed Tobal. Dans les années 1990, il entre dans l'association Al Andaloussia d'Alger où Mohamed Khaznadji et Nourredine Saoudi, entre autres, l'aident à se perfectionner. En 1994, il revient à El Widadia où il retrouve Mustapha Benguergoura. En 2003, il décide d'entamer une carrière solo avec un premier album. Suivent Oumou el hassan (2005) et Mechmoum (2007), hommage à Blida et à ses roses. En 2010, son 4e album, Sérénade, édité par Soli Music, riche en morceaux choisis, allant du hawzi tlemcenien et algérois au chaâbi, rend hommage notamment à Khelifa Belkacem, Hadj Mahfoud et Hadj Menouer. |