Elle a obtenu son premier prix dans l'interprétation du chant andalou. Elle, c'est l'une des brillantes élèves de l'éminent Abderezak Fekhardji, grand interprète du chant andalou. Un patrimoine musical des plus riches. Kamila s'est placée toute jeune grâce “à son look et sa voix”, comme disait d'elle Mustapha Skendrani, sur le devant de ce style musical ancestral pour se forger et forger son propre style en solo avant de se démarquer. Liberté : Vous avez introduit beaucoup d'instruments, comme le saxophone et la guitare électrique, dans vos récentes chansons tout en gardant le cachet de l'andalou. Comment est arrivée Kamila à conjuguer plusieurs airs musicaux, comme la valse et le classique, dans vos mélodies, avec parfois des touches de jazz, de blues et du moderne ? Kamila Nour : J'estime aujourd'hui que la musique n'est pas un domaine figé. Mon expérience musicale me le prouve un peu plus chaque jour, notamment avec toutes les technologies de pointe introduites dans la composition et les enregistrements. En pensant chanter en solo un style propre à moi, j'ai beaucoup plus investi dans la création, comme le prouve mon premier album du néo-andalou. D'ailleurs, lors de l'enregistrement de cet album, j'ai donné carte blanche à mes musiciens pour s'inspirer de cette création et se démarquer des anciens orchestres, tout en respectant les formes de l'andalou, c'est-à-dire de la base, et introduire des instruments nouveaux pour enrichir cette célèbre musique. Après tout, c'est la première école que j'ai fréquentée. L'école Fekhardjia a formé des élites et j'étais la première femme à figurer dans cet établissement au début des années 1980. En 1983, j'ai obtenu mon premier prix dans l'andalou. Quel a été l'impact sur vos précédentes interprétations ? Avez-vous eu des échos, notamment de la part des musiciens que avez fréquentés dans les différentes écoles et conservatoires de musique ? Trouvez-vous par ailleurs des difficultés à interpréter les anciens tubes avec les nouveaux changements que vous venez d'opérer ? Il y avait des pour et des contres, comme dans tous les domaines, quand un changement vient bousculer l'ordre des choses. Il y avait même des gens qui m'ont demandé de faire mon mea-culpa ! J'estime aujourd'hui que la critique doit exister non pas pour détruire, mais pour construire. Mais, plus tard, j'ai eu beaucoup d'encouragements pour persévérer dans ce que je viens d'apporter. Concernant la difficulté d'adapter les changements et d'adopter un nouveau style, j'ai eu le mérite de travailler seule d'arrache-pied pour arriver à me forger dans cette nouvelle voie. La difficulté réside aujourd'hui dans la compréhension et l'aide que doit avoir l'artiste. J'ai vingt ans de carrière et je me dis toujours qu'il reste des choses à faire et sur la scène et derrière la scène. L'artiste est un tout. Vous êtes une mordue du piano. Pourquoi êtes-vous portée sur cet instrument noble, y compris sur scène ? Le piano est un instrument universellement connu et qui met au diapason les véritables sensations musicales chez les artistes qui ont fait des écoles et des conservatoires. Etant étudiante au conservatoire d'Alger, j'ai eu aussi l'honneur de fréquenter pendant trois ans l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger. J'ai appris à jouer du piano très tôt évidemment, ce qui m'a aidée à exécuter de meilleurs morceaux musicaux aisément, notamment ceux du patrimoine. Mais je dis toujours en jouant ces morceaux, qu'il s'agit d'un héritage noble et riche qu'il faudra porter dans les sphères musicales internationales. Mais avant tout, il faudra l'apprendre à nos jeunes d'aujourd'hui et le fructifier. La perfection musicale se fait de plus en plus rare, comme l'usage d'instruments naturels. Quel regard portez-vous sur la musique algérienne de manière générale et quel comparatif faites-vous aujourd'hui par rapport à l'époque des Skendrani ou des Boutriche ? La perfection musicale est aujourd'hui otage de la logique commerciale. Le marketing tel qu'il est défini par les éditeurs est archi-faux. Si je me suis permise d'appeler mon style le néo-andalou, c'est pour tenter de faire sortir cette musique de son carcan traditionnel et folklorique. Les éditeurs misent beaucoup plus sur la variété. Et je comprends parfaitement nos jeunes artistes d'aujourd'hui qui misent sur la variété. Du temps des Skendrani et des Boutriche, la musique était ce qu'elle était. La perfection, on n'en parlait pas du tout à partir du moment que ces maîtres dirigeaient des orchestres de renom. Cela étant dit, il est de notre devoir de donner au grand public, avec tous les changements qu'on apporte, de la bonne musique et de la bonne parole pour rester sur scène. Il faut aimer et respecter la musique, le reste vient tout seul. Vous avez créé Banat El Andalous, un orchestre qui englobe de véritables talents de la musique andalouse. Vous étiez également membre de l'association musicale El Andaloussia. Quels sont vos véritables objectifs aujourd'hui ? En parlant de femme soliste, je me suis toujours forgée toute seule et pendant mes vingt ans de carrière. Quant à Banat El Andalous, c'était la meilleure époque où de vrais talents jouaient de la vraie musique avec justesse et amour. C'était la vraie perfection. Toutes celles qui étaient dans ladite association étaient sélectionnées sur des bases de perfection et de compétences. Avez-vous dans le passé chanté à l'étranger ou tissé des contacts avec des orchestres des pays de la rive méditerranéenne ? J'ai eu à chanter dans beaucoup de pays comme le Maroc, la Tunisie et l'Italie. En 1998, je me suis déplacée à Lisbonne, au Portugal, pour chanter aussi en solo, et en Belgique, à l'hôtel Sheraton, à l'occasion de la fête nationale du 1er Novembre. Le public belge a été étonné et émerveillé en découvrant la musique andalouse. En 2003 aussi, j'ai eu à animer un gala en solo en Corse (France) dans le cadre d'un festival cinématographique. Je garde de bons souvenirs de la Corse et de sa population. Concernant les chanteurs, j'ai eu l'honneur de rencontrer Enrico Macias à Paris. Là, j'ai eu des propositions de rester et de me produire en France. Hélas ! j'ai choisi de revenir dans mon pays et de chanter pour mon public algérien. Avez-vous des projets ? Aujourd'hui, il faut être rationnel et cartésien dans ses choix. Je prépare un grand spectacle du néo-andalou en Algérie. C'est le premier projet qui me tient à cœur. Je dirais que notre public est lésé. Nous avons la chance d'avoir un public exigeant. Alors, pourquoi pas lui donner ce qu'il veut et lui offrir des spectacles de bonne qualité. Je suis par contre déçue de voir des chanteurs étrangers se produire à guichets fermés chez nous alors que nos chanteurs et nos musiciens croupissent dans l'anonymat. Nos médias doivent bouger et il est temps de le faire pour sauver notre patrimoine et lancer une relève digne de ce nom. En ce qui me concerne, j'ai l'avantage d'être chanteuse et musicienne à la fois et j'ai eu à chanter dans plusieurs fêtes de mariage dans la capitale. C'est pour cela que je pense lancer prochainement un autre tube dans le style de la variété. Ce sera une autre expérience pour moi et une chance pour l'andalou d'occuper la place qui lui revient sur la scène artistique et musicale. Votre meilleur souvenir avec Mustapha Boutriche ? Ammi Mustapha, que Dieu ait son âme, était un véritable académicien. Je ne serai jamais assez reconnaissante envers un maître qui a donné du nectar à la musique algérienne et formé des élites. Ammi Mustapha était un sage, un meneur d'orchestre exemplaire. Mon album que je viens de sortir a été arrangé par son fils Redhouane, à qui je rends un vibrant hommage. Votre meilleur souvenir avec Mustapha Skendrani ? C'était lors d'une répétition et la chanteuse qui devait mener le bal était absente. Alors on m'a choisie. C'était le professeur Boutriche qui m'avait proposé. À l'époque j'étais très retirée. En m'écoutant, Skendrani était tout content. Il disait de moi souvent que j'avais le look et la voix pour percer et me démarquer. Skendrani, que Dieu ait son âme, était aussi un éminent professeur en piano et dirigeait des orchestres d'une manière magistrale. Ce sont de véritables pertes pour l'Algérie et la musique algérienne. Un dernier mot, Kamila… Il faut être optimiste dans la vie. Il faut respecter son métier si on veut demeurer professionnel dans ce qu'on fait. Mon seul souhait aujourd'hui est d'apporter un plus à la musique andalouse dans toute ses dimensions culturelle et civilisationnelle. Mon objectif est de défendre le néo-andalou avec justesse et de le faire aimer du grand public assoiffé d'écouter du nouveau. Bio express Dipômé dans les années 1980, Kamila Nour a fréquenté le conservatoire d'Alger où elle a appris, du temps de Mustapha Skendrani et Boutriche, la musique andalouse. Première femme soliste, elle doit sa grande carrière à Abderezak Fekhardji, éminent formateur qui a incarné l'andalou dans toutes ses dimensions. En 1983, Kamila obtient son prix de la musique andalouse avant de fonder Banat El Andalou. Ayant fréquenté l'Ecole supérieure des beaux-arts, elle rejoindra, pour quelque temps, l'association musicale El Andaloussia. Après 20 ans de carrière, elle se lance, en solo, dans une nouvelle aventure, celle de créer et de défendre le néo-andalou. Aujourd'hui, Kamila a beaucoup de projets pour faire sortir l'andalou de son carcan traditionnel et de l'adapter à la nouvelle politique culturelle du pays. F. B.